Je ne pense pas que ça va bien aller. Je n’ai pas l’enthousiasme de mon conseiller financier qui m’invite à acheter des actions au rabais parce que « c’est une pandémie, pas une crise économique ». J’envie la légèreté de ceux qui célèbrent, malgré tout, l’arrivée du printemps.
Je n’ai pas l’optimisme béat, car je pense à tous ces gens qui vont mourir, seuls, face contre terre. À ces malades du cancer qui auraient été habituellement sauvés, mais qui ne pourront pas être opérés à temps. Je pense à mes amis qui viennent de perdre leur emploi et dont l’avenir, à court et moyen terme, est bouché.
Je n’arrive pas à balayer ces réalités de la main pour simplement y voir une occasion de croissance personnelle et collective.
Il n’y a pas que des pensées altruistes qui me viennent à l’esprit.
Je pense à la santé de mes beaux-parents. Ils sont les seuls qu’il me reste. Parce que la pastorale, quoi qu’on en dise, n’est pas un service essentiel, je crains que mes élèves l’an prochain ne soient plus mes élèves.
Je m’inquiète pour mon frère qui est préposé dans un hôpital qui accueillera les malades du coronavirus. Il voulait être aux premières lignes et il le sera. Je suis fière de lui. Mais il fume, et c’est un facteur aggravant de la maladie.
Loin de moi le désir de cultiver la peur et l’anxiété. Mais le déni n’est pas un mécanisme de défense qui fonctionne chez moi.
Malgré ces pensées qui m’assaillent, je me sais résiliente. Ce n’est pas la première fois que, comme tant d’autres, je dois m’adapter.
La résilience en deux temps
C’est le neuropsychiatre Boris Cyrulnik qui a démocratisé le concept de résilience dans le monde francophone. Cette notion provient du monde de la physique et renvoie à la capacité d’un matériau à reprendre sa forme après avoir encaissé un choc.
En psychologie, on dira que la résilience nous permet de rebondir après l’épreuve. Seulement, celle-ci ne nous laissera pas indemnes. La résilience ne nous permet pas simplement de faire face à l’adversité, mais de mettre les souffrances passées au service d’une vie meilleure.
Écoutez la chronique de Valérie sur la résilience à On n’est pas du monde:
Pour Boris Cyrulnik, le processus de résilience se vit en deux temps. Il y a d’abord le moment du choc et son intégration, puis la transformation de ses façons de faire et de vivre à la suite de l’expérience vécue.
Ainsi, la résilience ne demande pas d’être un superhéros. Il est normal que l’émergence d’une pandémie, avec tout ce que ça implique, suscite des émotions désagréables telles que la peur, la colère, la tristesse.
Qu’on se le (re)dise : on peut être résilient et paniquer quand même. La foi ne fait pas de nous des êtres désincarnés, détachés de toutes préoccupations humaines. Le Christ lui-même les a partagées tout au long de sa vie, particulièrement lors de sa passion.
Comme le fait d’être en contact avec la dépouille d’un être aimé facilite le travail de deuil, l’acceptation du caractère souffrant de l’épreuve est nécessaire à son dépassement.
Comme le fait d’être en contact avec la dépouille d’un être aimé facilite le travail de deuil, l’acceptation du caractère souffrant de l’épreuve est nécessaire à son dépassement.
Un arc-en-ciel à la fenêtre
Mon pessimisme ne m’a donc pas empêchée d’accoler, moi aussi, un arc-en-ciel à la fenêtre. J’ai utilisé le matériel de bricolage que mon mari m’exhorte à jeter chaque année. Avec raison, il dit que ça prend de la place et que je ne m’en sers jamais.
Je voulais inscrire quelque chose de réconfortant, mais de vrai. L’expérience présente nous rappelle que les figures de ce monde passent. Au-delà du confinement, c’est l’incertitude des temps à venir qui nous bouleverse. Alors lettre par lettre, j’ai minutieusement peint et découpé : « l’amour ne passera jamais ». Pour ne pas avoir l’air d’une opportuniste religieuse, j’ai omis la référence biblique (1 Co 13, 8).
Par le confinement, j’ai l’impression que nous sommes comme ces couples d’animaux réfugiés sur l’arche de Noé. À côté de l’arc-en-ciel, j’ai donc ajouté une colombe.
Même si nous sommes encore en train de nous adapter à l’instabilité provoquée par une première vague de contamination, je vois déjà poindre à l’horizon la possibilité d’une terre nouvelle.
Le plus étonnant pour moi restera le fait qu’on ait accepté de tout arrêter pour protéger les membres les plus vulnérables de la société, dont on parle le plus souvent en termes de fardeau fiscal.
Je découvre que le monde n’est peut-être pas si mauvais que je le croyais.
Et que ça peut bien aller même si ça va mal.
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