par Paul Schmutzschaller.
Toute grande crise a un effet sur la vision du monde de chacun et de chacune, que ce soit conscient ou pas. Cela désécurise et bouleverse. C’est inévitable. Dans la mesure où on a l’ambition d’avoir son propre point de vue sur le monde, on est donc obligé de se mettre – partiellement – en question et de voir si on doit modifier certaines idées. En outre, on est censé intégrer les nouveaux éléments dans sa vision du monde. Les personnes qui prétendent avoir tout prévu et nient l’apparition de facteurs inattendus, ne m’impressionnent guère.
De toute évidence, la pandémie Covid-19 a provoqué une grande crise mondiale – même si on ne sait pas encore si toutes les régions et tous les pays seront touchés de manière similaire. Cette crise pose des questions médicales, politiques, économiques et sociales et je vais essayer de clarifier mon point de vue dans ces différents domaines.
La question médicale
Le monde connait beaucoup de maladies infectieuses. La tuberculose provoque chaque année plus qu’un million de morts ; pour le sida et la malaria, c’est entre 500 000 et un million, chaque année. La tuberculose n’existe pratiquement plus en Europe, la malaria n’est pas un problème en Europe et le sida est assez bien traitable en Europe. Ces maladies sont avant tout un problème dans les pays du sud qui ont été colonisés et qui sont toujours gravement exploités. Il est à attendre que pour le coronavirus Covid-19, cela sera pareil dans le futur. Mais actuellement, ce n’est pas le cas ; ce ne sont ni les pays ni les régions pauvres qui sont particulièrement touchés – pour l’instant. Cela est certainement une raison majeure pour laquelle cette pandémie prend une telle place.
Concernant l’origine et la particularité de cette maladie, beaucoup a déjà été dit et écrit et je n’ai rien à ajouter. Je pense cependant que cette question ne pose pas de problèmes pour ma vision du monde. S’il y a eu des tentatives terroristes d’utiliser cette maladie pour les intérêts de l’Occident, je ne serais nullement surpris. Mais pour l’instant, je classifie la Covid-19 pandémie sous l’étiquette « shit happens ».
Plus urgente me semble la question de la gravité du coronavirus Covid-19. Là, les avis divergent énormément. Une des théories prétend que deux tiers de la population seront infectés ; avec 1% de morts, cela donne des chiffres alarmants. D’autres pensent que le « cirque » autour de cette maladie est largement exagéré et que les mesures fort restrictives prises par les gouvernements ne sont pas nécessaires – même s’ils reconnaissent que la question de la surcharge des hôpitaux peut être un problème sérieux.
Pour moi, la question se pose à qui on peut faire confiance. Alors, on a pu voir les réactions des Chinois et des (Sud-)Coréens qui ont pris cette maladie comme une menace monumentale. On a aussi pu lire le discours de Hassan Nasrallah du 14 mars qui a fait un appel ardent à prendre toutes les mesures pour sauver les Libanais de cette maladie. Ce sont ces gens-là à qui je fais confiance, conformément à ma vision du monde. Je constate en outre que ce sont surtout des personnes d’origine occidentale – ou des personnes qui vivent en Occident – qui mettent en doute la gravité du Covid-19. Évidemment, il n’est à priori pas exclu qu’ils aient raison, mais ils n’ont pas ma confiance.
La question politique
Dès le début, en janvier, il y a eu beaucoup d’efforts de la part des médias occidentaux pour diffamer la Chine. En outre, comme d’habitude, Hong Kong et Taïwan ont été traités comme des pays indépendants, contrairement au point de vue de l’ONU. Plus tard, quand l’Iran commençait à être touché sévèrement, ces diffamations se sont élargies vers ce pays. De toute évidence, les sanctions des États-Unis contre l’Iran aggravent passablement le problème de cette maladie en Iran et aucun gouvernement occidental ne s’est levé pour protester contre l’inhumanité de ces sanctions. La même remarque s’applique par rapport aux sanctions contre la Corée du Nord, la Syrie ou le Venezuela.
Il est tout à fait logique que face à la Covid-19 pandémie, chaque acteur poursuit sa politique habituelle. La pandémie a cependant la tendance d’accélérer les développements existants. On peut constater que les États-Unis s’isolent passablement dans cette crise. Je ne m’en plains évidemment pas. De l’autre côté, un pays comme Cuba gagne davantage de reconnaissance, avec son système médical indépendant et fort développé. Bref, cette pandémie va bien changer le poids des différents acteurs.
Certains pensent que le Covid-19 pourrait provoquer le collapse du système occidental. Je pense que cela serait un peu trop simple. Et actuellement, on ne peut pas attendre qu’un tel collapse donnera des résultats positifs parce que les forces en Occident qui luttent pour un monde post-occidental, sont encore bien trop faibles. La meilleure chose qu’on puisse espérer, c’est que les pays déjà plus ou moins libérés de la domination occidentale se renforcent.
La question économique
Les changements économiques, provoqués par cette pandémie, vont être géants. On peut compter sur une plus forte monopolisation. Certains grands vont devenir encore plus grands. Actuellement, on a l’impression que le secteur des vacances et des loisirs sera le plus touché, y compris le secteur des transports lié aux vacances.
« Tout le monde » attend une récession. La recette traditionnelle, c’est-à-dire une baisse des intérêts, ne sera pas possible cette fois, vu que les intérêts sont déjà à zéro. Donc, l’impact de cette récession pourrait être bien plus important que celui de la pandémie. L’actuelle « guerre des prix » sur le marché du pétrole s’y ajoute.
Donc, une deuxième grande crise est fort probable durant cette année 2020. Elle ne sera pas uniquement provoquée par la pandémie, et de loin. Dans la mesure où il est impossible de prévoir le déroulement de la crise du Covid-19, il est encore beaucoup moins facile d’avoir une idée précise concernant la crise liée à la récession.
De nouveau, il est plausible que l’Occident va particulièrement souffrir de cette deuxième crise, mais cela ne donnera pas automatiquement des résultats positifs. Tout dépend de la force de la lutte pour un monde post-occidental.
La question sociale
C’est une question qui se pose pour tous les pays, mais particulièrement pour les États-Unis. Dans ce pays, la sécurité sociale fait défaut et beaucoup de gens vont perdre leur travail sans qu’ils aient quelque chose comme une assurance de chômage.
Cependant, ces deux crises vont aussi être très dures pour les populations des pays de l’Europe occidentale. Il est tout à fait justifié que les syndicats se fassent déjà de grands soucis.
* * *
À la fin de cette année, le monde sera bien différent. En particulier, l’influence des États-Unis aura beaucoup diminué. C’est à chacun et à chacune de suivre attentivement les mouvements pour pouvoir adapter sa vision du monde. C’est seulement comme cela qu’on peut garder un peu d’autonomie.
Source: Lire l'article complet de Réseau International