par Alexis Riopel.
Depuis les fenêtres des immeubles à logements, on le saluait de la main avec enthousiasme. Long manteau noir sur les épaules et masque bleu au visage, Xi Jinping, le président chinois, a visité mardi la ville de Wuhan pour la première fois depuis l’éclosion du nouveau coronavirus dans un marché de cette métropole, en décembre. « Grâce à des efforts soutenus, le contrôle de l’épidémie dans le Hubei et à Wuhan a pris un virage prometteur », a déclaré le dirigeant, sans toutefois crier victoire.
Malgré la prudence de son président, la Chine, dont plus de 80 000 citoyens ont été atteints de la COVID-19, semble maintenant guérie. Dans la province du Hubei, où le coronavirus a débuté sa conquête du monde, on ne comptait vendredi que cinq nouveaux cas. À Shanghai, on en relevait deux nouveaux, et à Pékin un seul — ces trois personnes revenaient de l’étranger. En fait, les autorités considèrent maintenant que la menace principale vient de l’extérieur du pays.
« La Chine a mis le niveau de réponse si haut qu’il est désormais très difficile pour les autres pays de suivre » — Frédéric Keck
Peu à peu, les autorités ont commencé à assouplir certaines mesures de confinement. Après des semaines à suivre leurs cours en ligne, les étudiants de six provinces et régions autonomes doivent rentrer en classe lundi. Certaines usines ont repris leurs activités, même dans le Hubei. À Pékin, les voitures circulent à l’heure de pointe. Tout cela sous l’œil attentif des autorités — car de nombreuses restrictions restent en place.
Dans le Jiangsu, par exemple, aucun nouveau cas de COVID-19 n’a été détecté depuis près d’un mois. Et pourtant, l’étau social commence à peine à se desserrer. Les restaurants peuvent ouvrir leurs portes, mais les clients doivent garder un mètre de distance. L’entrée dans les bâtiments publics est toujours contrôlée au thermomètre, et les personnes qui veulent y pénétrer doivent présenter un certificat électronique délivré par les autorités attestant de leur bonne santé.
Ce graphique présente le nombre de cas de COVID-19 dans quelques pays touchés, depuis le jour où un 100e cas a été confirmé. L’échelle logarithmique permet de mieux voir l’évolution du nombre de cas au début de chaque éclosion. La pente de chaque courbe informe également du temps qu’il faut pour que le nombre de cas double. On peut voir que l’épidémie est désormais jugulée en Chine. Après une éclosion rapide, la maladie est également bien contrôlée en Corée du Sud. D’autres pays, comme l’Italie, la France et les États-Unis, vivent une propagation rapide.
« Mon impression, c’est que les choses sont sous contrôle en Chine », souligne Juan Wang, professeure de science politique à l’Université McGill.
Cette spécialiste de l’autoritarisme a suivi de près la réponse chinoise à la flambée de SRAS-CoV-2. Elle est en contact quotidien avec sa famille, qui s’y trouve. « Les gens sont encore très prudents, mais retrouvent tranquillement la confiance », explique-t-elle.
Il apparaît ainsi que la recette chinoise contre la COVID-19 a fonctionné, après le cafouillage initial des autorités sanitaires locales du Hubei. « La Chine a pris des mesures draconiennes, car elle avait les moyens de les imposer aux gens, reconnaît Anne Gatignol, professeure de microbiologie à l’Université McGill. On peut dire que cela a fonctionné, mais seulement en partie, car le coronavirus s’est malgré tout disséminé dans le monde entier. » C’est la diminution des contacts entre les personnes, même saines, qui a transformé la stratégie chinoise en un succès à l’échelle nationale, estime-t-elle.
Selon Frédéric Keck, anthropologue spécialiste de la santé publique en Asie, la « surveillance douce » de la population confinée à domicile, grâce à des drones et aux téléphones portables, a également joué un rôle important. « De plus, les gens pouvaient dénoncer les contrevenants sur les réseaux sociaux. Et il y avait certainement des sanctions associées au non-respect des conditions », ajoute le directeur de recherche au CNRS, en France, et auteur du livre à paraître Les sentinelles des pandémies (Zones sensibles).
Malgré la mise en veilleuse de nombreuses libertés individuelles, la réponse chinoise a suscité les éloges de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En février, une équipe de 25 experts s’est rendue en Chine pour faire le point sur le coronavirus et les mesures draconiennes pour le combattre. Grâce à la stratégie de confinement « peut-être la plus ambitieuse, agile et agressive de l’histoire », la Chine « a changé le cours d’une épidémie mortelle en rapide progression », peut-on lire dans le rapport final de la mission onusienne.
« Les gens sont mobilisés, comme en temps de guerre, et c’est la peur du virus qui les motive à agir. Ils se voient à l’avant-garde du combat, protégeant le reste de la Chine — et le monde », déclarait à son retour de Chine l’épidémiologiste canadien Bruce Aylward, sous-directeur général de l’OMS et chef de la mission.
La stratégie de Pékin
Trois éléments caractérisent la stratégie chinoise : un dépistage à très large échelle, une prise en charge intégrale des patients, et le confinement à domicile de toutes les personnes vivant dans les poches d’éclosion.
Dès la mi-janvier, les autorités de santé publique ont établi des points de contrôle de la fièvre un peu partout au pays. Les voitures sont arrêtées sur la route pour que des agents prennent la température des passagers. Des travailleurs de tous acabits sont réaffectés : un ouvrier de la construction peut être chargé de manier le thermomètre, par exemple.
Une personne fiévreuse, aussitôt identifiée, doit se rendre à une clinique spécialisée dans le traitement de la COVID-19. On la questionne sur ses déplacements récents et ses contacts avec des malades. On procède même à une tomodensitométrie afin de vérifier la présence d’anomalies pulmonaires typiques de la COVID-19. Vient ensuite le test génétique, réalisé en quatre heures, pendant lequel le patient reste à la clinique.
Si le test est positif, mais que les symptômes sont modérés, le patient est placé en isolement aux côtés de malades dans un état semblable. Des gymnases et des stades sont utilisés à cette fin. Les personnes présentant des symptômes plus graves prennent directement le chemin de l’hôpital. Les personnes atteintes d’autres maladies ou âgées de plus de 65 ans sont systématiquement hospitalisées.
Cette prise en charge intégrale des patients constitue une différence importante avec la stratégie adoptée ici, où les cas mineurs sont retournés en isolement à la maison. Or, c’est au sein de la cellule familiale qu’a lieu l’essentiel de la transmission entre personnes. Dans sa volonté de freiner la propagation du virus, les autorités sanitaires chinoises n’ont donc pas hésité à séparer les familles. « Je pense que ce serait très difficilement acceptable ici, remarque la Dre Gatignol. Heureusement, en Amérique du Nord, les maisons sont plus grandes, et donc les personnes contaminées peuvent prendre une chambre à part dans la plupart des foyers ».
Le confinement des personnes non atteintes est également au cœur de la réponse chinoise. Dès qu’une zone d’infection est établie, on y ferme les écoles, les théâtres, les restaurants. Dans la région de Wuhan, quinze millions de personnes en pleine santé ont dû rester à la maison.
« Dès que le gouvernement national a réalisé le sérieux de la situation, il a pris les choses en main en imposant des mesures strictes aux autorités locales et aux citoyens, explique Mme Wang. Au pire de la crise, à Wuhan et à d’autres endroits au pays, tout le monde était en quarantaine à la maison. Chaque famille avait un représentant qui disposait de deux heures tous les deux jours pour aller acheter de la nourriture. Il devait avoir un billet pour sortir, et une étampe prouvait son retour à la maison. C’est probablement inimaginable au Canada, mais c’est la mesure qui a été prise en Chine ».
Les pays démocratiques iront-ils aussi loin dans leurs efforts pour contenir la maladie ? La Corée du Sud a procédé à des campagnes de dépistage à grande échelle. Taiwan a bien contenu l’éclosion grâce un système d’information perfectionné. L’Italie a ordonné un confinement à domicile à l’échelle nationale. Malgré tout, soulève Frédéric Keck, « la Chine a mis le niveau de réponse si haut qu’il est désormais très difficile pour les autres pays de suivre ».
source : https://www.ledevoir.com
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