Il y a 20 ans, en mars 2000, décédait Marcel Pepin. Il y a 10 ans, en février 2010, c’est Pierre Vadeboncoeur, syndicaliste et écrivain qui nous quittait. Deux mois plus tard, c’était au tour de Michel Chartrand de partir.
Issus de milieux fort différents, rien ne laissait penser que ces trois hommes allaient, ensemble, par leur action, par leur réflexion et par leurs écrits, faire en sorte que le mouvement syndical connaisse en quelques années une profonde transformation.
Pepin, en effet, était le fils d’un ouvrier du vêtement, fendeur de cuir dans la région de Joliette. Vadeboncoeur, de son côté, qu’un journaliste a un jour qualifié de « socialiste de condition bourgeoise », avait vécu toute son enfance dans la bourgeoise à Outremont. Là aussi était né Chartrand.
Pepin allait imprimer au mouvement syndical québécois un virage marqué du côté de la radicalisation, tant des idées que des actions, en faveur des plus démunis surtout. Pour lui, l’action syndicale est sans conteste d’essence révolutionnaire en cela qu’elle doit viser à transformer radicalement les rapports sociaux.
Il aura pris de front les possédants, les gouvernements, les entreprises. Il aura forcé le mouvement syndical à rejeter un certain corporatisme et à élargir ses revendications, de sorte que celles et ceux qui n’ont pas la chance d’être membres d’un syndicat puissent quand même bénéficier de l’action syndicale.
En 1968, Pepin avait ouvert un Deuxième front de lutte pour que les syndiqués fassent valoir leurs droits, leurs intérêts, et les défendent en dehors du cadre strict de la convention collective. Ce rapport moral, rédigé par Vadeboncoeur, a été un véritable point tournant pour le syndicalisme québécois.
Vadeboncoeur : un aigle
Vadeboncoeur est un grand écrivain. Un de nos penseurs les plus pénétrants, parmi les plus immenses que le peuple québécois a pu produire. Un aigle, en quelque sorte, dans un monde où, pour notre plus grand malheur, ce sont surtout les moineaux qui ont la cote. Un intellectuel qui avait mis tout son talent, toute sa passion, tous ses moyens au service d’une classe qui n’était pas la sienne, mais qui le devint. Il fallait le voir avec des ouvriers, à la taverne, quand il les écoutait avec un émerveillement qui traduisait admiration et solidarité. Il n’eut de cesse de louer la sagesse ouvrière, d’en vanter l’intelligence.
«J’ai pratiqué, a-t-il écrit, un syndicalisme de terrain, quoique largement inspiré par une conscience qui ne s’isolait pas du rêve social universel, présent depuis si longtemps.»
Dans un texte inédit qu’il m’avait fait parvenir quelques semaines avant son décès, il racontait ces années où se préparait, avec les travailleurs, une révolution qu’on appellerait tranquille un peu plus tard. « Ni écart de classe, de mentalité, de culture, car ces différences ne comptaient pas entre nous. J’ignore comment cette identification avait pu s’établir. Car, enfin, je venais d’ailleurs et ne subissais pas personnellement l’oppression qu’ils vivaient eux-mêmes. Toujours est-il que j’étais le camarade de tous ces camarades. »
Chartrand : un tribun
Qui n’a pas entendu Chartrand haranguer une foule aura raté un moment rien de moins qu’historique. Le Québec, c’est indéniable, n’a pas connu beaucoup d’orateurs de sa trempe. Mais si le propos était violent, l’homme intime était tout en douceur. Vadeboncoeur a écrit : « Michel était pour toute les révolutions et contre toutes les guerres », ce qui témoigne de la complexité du personnage.
Sa grande contribution a certes été d’ouvrir un front de lutte sans précédent du côté de la santé et de la sécurité au travail. Jusqu’à son dernier souffle, on l’a vu sur toutes les tribunes vilipender ces employeurs qui ne montraient aucun respect pour la vie des travailleuses et des travailleurs.
Invité par Radio-Canada à commenter ses funérailles, j’en avais étonné plus d’un en rappelant que Chartrand avait déjà dit que lorsqu’on a Jésus-Christ de son bord, on n’a pas besoin de Karl Marx. Avouons que ce n’est pas la moindre des paroles percutantes qu’il a prononcées…
Il s’est passé avec Chartrand la même chose qu’avec Pierre Falardeau, décédé quelques mois auparavant : le peuple québécois les a instinctivement considérés comme d’indéfectibles alliés.
Ces trois hommes n’avaient pas que des qualités. Pepin, trop taciturne, Vadeboncoeur, trop effacé. Chartrand, trop tonitruant. Mais que le syndicalisme québécois, la CSN notamment, ait produit trois géants de cette trempe, voilà qui est tout à son honneur
* André Malraux
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