Par Andrew Korybko − Le 25 février 2020 − Source news.cgtn.com
Les élections parlementaires iraniennes de vendredi dernier ont constitué une victoire éclatante des « principalistes » sur l’ancien gouvernement « réformiste ». La faction « principaliste » est souvent décrite comme « tenante de la ligne dure », ou « conservatrice » par les médias occidentaux, et la seconde est souvent qualifiée de « modérée » par les mêmes.
L’élection s’est tenue au milieu de l’épidémie de COVID-19 qui touche le pays ; l’Ayatollah Khamenei, dirigeant suprême du pays, a imputé au virus le taux de participation au plus bas historique de 42% : du jamais vu depuis la révolution islamique de 1979.
Le virus constitue sans aucun doute un problème auquel les autorités vont devoir s’atteler avant tout autre sujet, mais le parlement fraîchement élu va avoir bien d’autres sujets autrement importants à traiter.
Le mois dernier, les tensions avec les États-Unis d’Amérique ont amené la région au bord du conflit, après l’ordre donné par le président étasunien Donald Trump d’assassiner par drone le major-général Qasem Soleimani, dirigeant du corps d’élite des gardiens de la révolution islamique, à Bagdad. La défiance est également au plus haut face aux alliés étasuniens du Golfe et à Israël : il s’ensuit un climat régional très imprévisible en matière de sécurité.
L’Iran a la conviction que ses adversaires comptent mener un changement de régime violent dans le pays, et ceux-ci rétorquent que c’est l’Iran qui veut renverser leurs gouvernements respectifs.
Le dilemme de sécurité qui en ressort a amené le Conseil de coopération du Golfe (CCG), dirigé par les Saouds, à constituer des stocks d’armement se chiffrant en milliards de dollars au cours des dernières années, tandis que l’Iran continuait de mettre au point sa technologie de missiles. En outre, le programme pacifique iranien de recherche en matière d’énergie nucléaire a été perçu par ses rivaux comme une couverture d’un programme secret d’armes nucléaires.
Trump a déchiré en mille morceaux le plan d’action global commun [le fameux JCPOA, ou accord de Vienne sur le nucléaire iranien, NdT] établi en 2015, et a peu à peu ré-imposé des sanctions toujours plus rudes à la république islamique, suivant en cela ses promesses de campagne ; ces actions lui ont valu les applaudissements ravis des royaumes du Golfe et d’Israël.
Depuis lors, l’économie iranienne subit une crise majeure, surtout depuis que ses partenaires énergétiques, comme l’Inde, ont refusé d’acheter ses ressources, de crainte de se voir eux-mêmes infliger des sanctions étasuniennes dites « secondaires » drastiques.
Face à ce contexte, il n’est guère surprenant que les manifestations de grande ampleur se soient faites plus fréquentes. L’Iran accuse ses ennemis d’assister secrètement les manifestants les plus violents à chaque fois que ces manifestations tournent à l’émeute, mais nul ne saurait douter que des raisons légitimes existent pour que le citoyen moyen iranien commence à se tracasser quant à son avenir.
La fermeture temporaire de toutes les frontières de l’Iran, décidée par les pays voisins en réponse à l’épidémie de COVID-19, promet d’aggraver la crise économique déjà existante, et pourquoi pas de provoquer de nouvelles manifestations à l’avenir.
Le parlement iranien va donc devoir définir de manière urgente la méthode la plus efficace pour répondre à ces défis entrecroisés. Les sanctions croissantes décrétées unilatéralement par les États-Unis, mais de facto multilatérales, ne seront levées que si l’Iran « accepte un compromis » quant à ses programmes d’énergie nucléaire et de missiles, et retire son soutien à ses alliés étrangers en Irak, au Liban, en Syrie, et à ce qui se dit au Yémen, mais les principalistes refusent cette voie, la considérant comme une violation manifeste de leurs prérogatives souveraines inscrites dans le droit international promu par l’ONU.
Si le scénario le plus probable se réalise, aucun progrès n’apparaîtra sur ce front, et les sanctions deviendront progressivement de plus en plus intenses, cependant que l’épidémie de COVID-19 aggravera encore plus la crise économique du pays. Dans ce cas, le scénario le plus réaliste serait que l’Iran envisage de monter le niveau de priorité de son engagement économique avec la Chine.
La Chine dispose des ressources financières qui permettrait de soulager les souffrances économiques de l’Iran si on lui demande de le faire, mais le simple octroi d’emprunts et d’investissements dans les infrastructures du pays pourraient ne pas suffire au vu des circonstances économiques difficiles.
Il serait donc idéal que le parlement iranien discute des méthodes les plus réalistes pour renforcer le partenariat stratégique global du pays avec la Chine, par exemple en accroissant le niveau de participation de l’Iran dans le projet des nouvelles routes de la Soie, et ce en explorant tout particulièrement la possibilité de s’amarrer au projet amiral de couloir économique Chine-Pakistan, chose pour laquelle les représentants iraniens ont déjà exprimé leur intérêt.
Une telle décision constituerait une révolution quant à l’importance géostratégique de l’Iran, et améliorerait en conséquence sa stabilité économique.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Kira pour le Saker Francophone
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