ALLAN ERWAN BERGER Apollon et Artémis, jumeaux nés de Létô, sont enfants de Zeus. Poursuivie par la traditionnelle vindicte de Héra, épouse légitime du grand dieu, Létô se réfugie en un lieu retiré du monde, une île qui n’est ni de la terre, ni de la mer, ni du ciel : Asteria. C’est en ce lieu qui n’en est pas un que Létô, dont le nom l’apparente à la nuit, enfantera Apollon le Soleil. Plus tard, elle accouchera d’Artémis, la Lune. Les uns disent que cette déesse naquit près d’Éphèse, où son culte s’enracina, venu d’Orient ; les autres disent autre chose, mais Artémis est souvent représentée en compagnie ou sous la forme du végétal qui présida à la venue d’Apollon, un végétal à la chevelure étoilée qui poussait sur l’île d’Asteria, et que Létô enlaça pour enfanter… Ce végétal, les anciens Grecs le pensaient familier des zones floues, poussant aux marécages et dans les lagunes, pas tout à fait sur la terre, pas tout à fait dans l’eau. Le voici qui apparaît, dans L’hymne à Apollon d’Homère :
Salut, mère fortunée, ô Létô ! Tu as donné le jour à des enfants glorieux, le grand Apollon et Artémis qui se plaît à lancer des flèches ; elle naquit dans Ortygie, lui, dans l’âpre Délos, lorsque tu reposais sur les hauteurs du mont Cynthos, auprès d’un palmier et non loin des sources de l’Inope.
Ici, Homère ne fait pas attention qu’Ortygie, l’île aux cailles, est l’autre nom d’Asteria, cette île flottante que Poséidon, plus tard, ancrera au fond de la mer, et que l’on connaît aujourd’hui sous le toponyme de Délos.
Lorsque la déesse qui préside aux enfantements arriva à Délos, Létô était en proie aux plus vives douleurs. Sur le point d’accoucher, elle entourait de ses bras un palmier et ses genoux pressaient la molle prairie. Bientôt la terre sourit de joie ; le dieu paraît à la lumière ; toutes les déesses poussent un cri religieux. Aussitôt, divin Phébus, elles te lavent chastement et te purifient dans une onde limpide et t’enveloppent dans un voile blanc, tissu délicat, nouvellement travaillé qu’elles nouent avec une ceinture d’or.
Le palmier d’Apollon, tout comme celui d’Artémis, est un dattier. Voici la déesse, pleine de dattes et de trophées, représentée sous la forme d’un tronc, telle qu’on la vénérait à Éphèse. Cliquez sur l’image pour accéder au fichier source.
Et maintenant, assistons à cette autre naissance :
Elle devient donc enceinte. Et elle se retira avec lui [son fils à venir] en un lieu éloigné. Puis les douleurs de l’enfantement l’amenèrent au tronc du palmier, et elle dit : « Malheur à moi ! Que je fusse morte avant cet instant ! Et que je fusse totalement oubliée ! » Alors, il l’appela d’au-dessous d’elle : « Ne t’afflige pas. Ton Seigneur a placé à tes pieds une source. Secoue vers toi le tronc du palmier : il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. Mange donc et bois et que ton œil se réjouisse ! » Si vous êtes attentifs, vous aurez reconnu un fragment de la sourate Maryam, du Coran : naissance d’Îsâ.
Commentaire :
Même si le Coran est un livre de religion, cet apport héllèno-levantin au récit ne peut pas être, à mon avis, qualifié de pur syncrétisme, puisqu’il n’agit pas favorablement sur l’acceptation du dogme par les croyants. Au contraire, il vient perturber celui-ci, en accordant le statut d’un dieu majeur, Apollon, à Jésus, qui est tenu en principe pour l’ante-paraclet, l’avant-dernier prophète. Car un bon syncrétisme, tel qu’on en découvre dans le monde caraïbe ou en Indonésie, en incorporant des fragments de mythe issus de l’humus autochtone, aide au contraire à mieux intégrer les éléments allogènes de la religion dominante. Or, ici, l’humique naissance d’Apollon n’aide pas du tout à faire glisser l’étrangère bouchée ; bien au contraire, elle fait puissamment grincer les rouages : voici que Jésus est traité littérairement comme un des plus puissants dieux de l’Antiquité ! La sourate Maryam serait-elle donc satanique ?
Voici deux jeunes filles qui, ayant été fécondées par le premier des dieux de leur époque, se retrouvent en butte à l’hostilité de la société dominante – le monde Juif, l’Olympe… Elles fuient. Elles se retirent en un lieu écarté du monde. Désolées, sans appuis déclarés, dégradées au rang de putains, les deux accouchent des plus importants attracteurs de la religion de leur monde, qui vont tout perturber. Il y a un avant et un après Apollon, comme il y a un avant et un après Jésus-Christ. On peut concevoir que le littérateur, quel qu’il soit, qui a introduit Jésus dans le Coran, ait décidé d’utiliser la scène mythique de la jeune fille cambrée de douleur contre le palmier auprès de la source, non point pour améliorer l’esthétique de son récit, mais pour laisser à penser à ses auditeurs et futurs lecteurs à quel point ce qui allait sortir de là serait important. Rusé, astucieux ou maladroit, l’apport scénographique retenu ici exhausse le sens, mais il n’est pas, il ne peut pas être strictement syncrétique. Telle est ma petite opinion – à laquelle je ne tient que jusqu’à ce qu’on me prouve qu’elle est illogique ou mal fondée, bien entendu.
Des copier-collers de cette espèce, il y en eut beaucoup autour de la Méditerranée. Nous pourrions par exemple nous souvenir d’une très ancienne figure de Dyonisos, qui eut à fuir la vindicte d’un roi puissant. Dyonisos et son clan semèrent leurs poursuivants en traversant un bras de mer d’où l’eau s’était retirée. Lorsque l’armée royale surgit et s’engagea à son tour dans le passage, la mer revint et emporta les vilains méchants. Nous pouvons encore nous souvenir de tel dieu égyptien qui fut sauvé de la noyade alors qu’il gisait, balloté dans un petit couffin, sur le Nil. Nous pouvons nous souvenir aussi que le sacrifice de l’agneau, animal voué au vieux dieu solaire Agni, est un rite printannier reçu dans les zones moyen-orientale et égéenne, bien longtemps avant d’être intégré à la pratique rituelle juive, puis au récit chrétien. Pour terminer, ne voulant pas soulever une guerre, je ne dirai rien de rien à propos de Mithra et Jésus.
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec