Tout indique que la course à la chefferie conservatrice sera une affaire d’anglophones unilingues. Après le désistement de Jean Charest et de Michael Fortier, aucun Québécois ne sera dans le peloton de tête d’une course qui finira selon toute vraisemblance par le couronnement de l’ancien ministre Peter MacKay. Les candidats potentiels avaient jusqu’à jeudi pour faire un dépôt de 25 000 $ et pour recueillir 1000 signatures parmi les membres du parti ; les personnes ayant rempli ces exigences auront jusqu’au 27 mars pour amasser 300 000 $ en dons et 2000 signatures de plus afin de devenir un candidat « vérifié » en vue du scrutin du 27 juin prochain. Aucun candidat de taille ne s’est manifesté cette semaine pour rivaliser avec M. MacKay. Ce dernier fera donc face aux députés ontariens Erin O’Toole et Marilyn Gladu. Une poignée de candidats marginaux ayant l’appui des groupes antiavortement seront aussi de la partie, au grand dam des plus influents conservateurs qui voulaient que cette course soit une occasion de tourner la page sur les controverses qui ont miné le mandat de M. Scheer et l’ont privé d’une victoire en octobre dernier contre un Justin Trudeau affaibli par des scandales.
Certes, les croyances personnelles de M. Scheer sur les questions d’avortement et de mariage entre les personnes de même sexe ont particulièrement nui au Parti conservateur au Québec. Mais personne ne peut nier que la qualité du français du chef a aussi été un facteur dans la décision de la majorité des électeurs québécois de bouder le PCC. La performance désastreuse de M. Scheer lors du débat à TVA a constitué un tournant dans la campagne.
J’ignore si la qualité du français du chef fut au cœur des préoccupations de l’ancien ministre John Baird dans l’analyse postélectorale qu’il a préparée à la demande de M. Scheer. Son rapport n’a pas été rendu public. Mais les membres du parti ne semblent plus considérer le bilinguisme comme une compétence de base que devrait posséder tout futur chef. Pour bon nombre de conservateurs, le parti devrait tout simplement oublier le Québec. Les tentatives de Stephen Harper de gagner des sièges au Québec avec une réforme de la péréquation favorable à la Belle Province et reconnaissant « la nation » québécoise ont donné peu de résultats. M. Harper a lui-même prouvé qu’il était possible de former un gouvernement majoritaire au Canada sans gagner de sièges au Québec. Un tel exploit deviendra encore plus facile à l’avenir puisque le poids démographique du Québec au sein du Canada diminue de recensement en recensement. L’argent dépensé afin de gagner des votes au Québec serait mieux déployé ailleurs au pays, surtout dans les banlieues torontoises où la population explose.
Beaucoup de conservateurs, même parmi ceux du Québec, sont convaincus que les Québécois ne voteront jamais pour un chef fédéral qui ne provient pas de leur province. L’histoire semble leur donner raison. Et la déclaration du chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet lors de ce même débat à TVA — qui a invité les électeurs à opter « pour des femmes et des hommes qui [leur] ressemblent » — aura été pour beaucoup de Canadiens anglais une démonstration que rien n’allait changer. Pour le PCC, le fait de choisir un chef bilingue ne fera aucune différence si ce dernier provient d’une province autre que le Québec. C’est la raison pour laquelle l’unilinguisme de M. MacKay n’est pas un enjeu ailleurs au pays, où le français n’a plus la cote, sauf pour les parents voulant inscrire leurs enfants dans des classes d’immersion réservées aux élèves doués.
Quant à M. MacKay, ce dernier insiste pour dire que la faible qualité de son français découle du fait d’avoir travaillé depuis 2015 dans un cabinet d’avocats à Toronto où il n’a pas dû se servir de cette langue officielle. « C’est comme un muscle, si tu ne l’utilises pas, le muscle s’atrophie », a-t-il déclaré à plusieurs reprises devant les médias depuis l’annonce de sa candidature. Or, pendant les presque deux décennies que M. MacKay a passées à Ottawa, où il a occupé des postes ministériels importants, il n’a jamais donné l’impression d’avoir pris la peine de développer ce muscle. Ce n’était pas un choix banal. Pendant les neuf ans où il était membre du conseil des ministres de M. Harper, c’était un secret de Polichinelle que cet ancien chef du Parti progressiste conservateur lorgnait lui-même le sommet. Lui seul peut nous expliquer pourquoi, dans de telles circonstances, il n’a jamais fait de l’apprentissage du français une priorité. Mais les piètres résultats au Québec de M. Harper, qui commençait tous ses discours en français, n’étaient peut-être pas étrangers à ce choix.
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