Après des semaines d’escalade dans la région d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, la Turquie a annoncé mener l’opération « Bouclier du printemps » contre le régime de Bachar al-Assad, qui a subi de lourdes pertes dans des frappes turques ces derniers jours.
Signe que les combats ont gagné en intensité, deux appareils du régime de Damas ont été abattus dimanche dans le ciel d’Idlib, ont rapporté Ankara et l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG. Selon l’agence officielle syrienne Sana, trois drones turcs ont été détruits. Dimanche soir, l’OSDH a annoncé que 19 soldats syriens avaient été tués dimanche par des tirs de drones turcs sur un convoi militaire dans la province d’Idlib.
En quête d’appui occidental, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a ouvert les portes de l’Europe aux migrants, qui, par milliers, femmes et enfants compris, affluaient dimanche en coupant à travers champs en direction de la frontière avec la Grèce, qui s’est placée dimanche en état d’alerte « maximum » pour protéger ses frontières face à l’afflux de milliers de migrants aux portes du pays, qui provoque inquiétude et colère sur les îles et dans les localités frontalières.
« Rentrez en Turquie »
« Notre conseil de sécurité national a décidé de porter le niveau de protection aux frontières à son maximum », a déclaré le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, au sortir d’une réunion de crise. La Grèce fait face à une « menace asymétrique contre la sécurité de notre pays », après la décision de la Turquie d’ouvrir ses portes vers l’Union européenne, a ajouté le porte-parole du gouvernement, Stelios Petsas.
Les autorités grecques ont décidé de renforcer encore leurs patrouilles aux frontières maritimes et terrestres du nord-est du pays. Toute nouvelle demande d’asile sera également suspendue pour ceux entrant illégalement dans le pays, a précisé M. Petsas.
En mer Egée, au moins 500 migrants ont accosté dimanche à bord d’une dizaine d’embarcations en différents points de l’île de Lesbos.
Après l’arrivée de dizaines d’entre eux sur la plage de Skala Sykamineas, 150 habitants de l’île se sont rassemblés autour d’un centre d’accueil de migrants situé non loin de là, avant d’y mettre le feu, a constaté un photographe de l’AFP. Même si ce centre, autrefois géré par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), avait été fermé fin janvier, ils redoutaient qu’il n’ouvre à nouveau ses portes. Il a été partiellement incendié, et environ 70 demandeurs d’asile se trouvaient toujours sur la plage, sans couvertures, en début de soirée.
Plus tôt, aux cris de « rentrez en Turquie », des habitants de l’île ont empêché une cinquantaine de migrants, dont plusieurs enfants, d’accoster avec leur canot après plusieurs heures en mer, ont constaté des photographes de l’AFP.
Dans le port de Thermi, certains ont lancé des insultes au représentant local du HCR, d’autres s’en sont pris aux journalistes et photographes, les frappant et jetant des appareils photo à la mer.
« Nous n’avons rien contre les réfugiés, mais […] ceux qui se préparent à venir ici doivent comprendre que c’est la manière dont nous allons les recevoir désormais. C’est le seul moyen de les empêcher de venir », a expliqué Despoina, une habitante de Thermi.
De son côté, Niki Tsirigoti, habitant de Mytilène, principale ville de Lesbos, s’insurgeait : « C’est inacceptable de renvoyer les réfugiés et les migrants. Ce sont des êtres humains, les autorités doivent prendre la situation en main. »
Sur la route du camp surpeuplé de Moria, où plus de 19 000 migrants sont déjà hébergés, un autre groupe d’habitants munis de chaînes et de pierres a tenté d’empêcher les autobus de la police transportant des demandeurs d’asile, arrivés dimanche, d’accéder au centre de réception et d’enregistrement, selon l’agence de presse grecque ANA.
« La colère des gens de Moria est juste », a estimé le maire du sud de Lesbos Taxiarchis Verros. « Moria ne peut pas supporter d’autres arrivées. »
« C’est une invasion », estime Giorgos Karampatzakis, le maire de Marassia dans cette région frontalière du nord-est du pays.
Les frontières sont « gardées et parfaitement protégées », a assuré pour sa part le ministre de la Défense grec, Nikos Panagiotopoulos, depuis le poste-frontière de Kastanies.
Là, face aux milliers de migrants massés derrière les grillages, dont certains lançaient des projectiles, la police grecque a fait usage dimanche de grenades lacrymogènes et de canons à eau.
En 24 heures, les autorités ont bloqué « l’entrée illégale » de 15 500 migrants le long du fleuve Evros, selon une source gouvernementale dimanche. En outre, près de 200 migrants ont été arrêtés pendant le week-end dans cette région, a ajouté cette source.
Le gouvernement grec a également mis en place un système d’envoi automatique de textos aux téléphones mobiles étrangers approchant la frontière, avec le message suivant : « Personne ne peut traverser les frontières grecques. Ceux qui tentent d’entrer illégalement seront bloqués. »
« Il y a des milliers [de migrants] à la frontière et il n’y a pas de chemin retour pour eux », constate Yannis Siskoglou, un habitant de Marassia, localité près de la frontière. « C’est une crise migratoire sans fin. Que fait l’Europe ? »
L’Union européenne préoccupée
Préoccupée, l’Union européenne a annoncé une « réunion extraordinaire » de ses ministres des Affaires étrangères cette semaine pour discuter de l’aggravation de la situation à Idlib.
Alors que le conflit en Syrie s’envenime, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, a souligné qu’Ankara ne cherchait pas la confrontation avec Moscou, puissant allié du régime syrien qu’il appuie militairement. Le but de l’offensive turque, a-t-il déclaré, est de « mettre fin aux massacres du régime et d’empêcher une vague migratoire ».
La Turquie a multiplié depuis samedi les frappes de drones contre les positions du régime syrien, mais c’est la première fois qu’Ankara annonce officiellement que celles-ci s’inscrivent dans le cadre d’une opération plus générale. L’opération a été déclenchée après la mort jeudi de 33 militaires turcs dans des frappes aériennes attribuées au régime, les plus lourdes pertes essuyées par Ankara depuis le début de son intervention en Syrie en 2016.
Vendredi et samedi, près de 90 militaires syriens et combattants de groupes alliés à Damas ont été tués par les frappes menées par Ankara en représailles, selon l’OSDH.
Dans ce climat explosif, l’armée syrienne a averti dimanche qu’elle abattrait tout avion « ennemi » au-dessus de la région d’Idlib. Avec l’appui de l’aviation russe, le régime syrien mène depuis décembre une offensive meurtrière pour reprendre cette région, dernier bastion rebelle et djihadiste en Syrie.
Cette offensive a suscité des frictions entre Ankara et Moscou. Même si la Turquie soutient certains groupes rebelles et la Russie appuie le régime, les deux pays avaient renforcé leur coopération sur le dossier syrien ces dernières années.
Samedi, le président Erdogan a sommé son homologue russe, Vladimir Poutine, de s’« ôter du chemin » de la Turquie en Syrie et assuré que le régime de Damas allait « payer le prix » de ses attaques.
Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a indiqué dimanche qu’il « espérait » une rencontre entre MM. Erdogan et Poutine jeudi ou vendredi. « Ce sera sans aucun doute une rencontre difficile, mais les chefs d’État confirment leur volonté de régler la situation à Idlib […] C’est important », a-t-il ajouté.
L’escalade à Idlib suscite les craintes de la communauté internationale, alors que la situation humanitaire y est déjà catastrophique. Depuis le début de l’offensive du régime en décembre, près d’un million de personnes ont été déplacées dans cette région frontalière de la Turquie, un exode d’une ampleur sans précédent en aussi peu de temps depuis le début en 2011 de ce conflit qui a fait plus de 380 000 morts.
Ankara, qui accueille quelque 3,6 millions de Syriens sur son sol, redoute un nouvel afflux de réfugiés.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec