Par John Laughland − Le 13 février 2020 − Source Russia Today
Le 75e anniversaire du bombardement de Dresde devrait nous obliger à comprendre que, malheureusement, comme l’a déclaré l’homme d’État romain Cicéron, « En temps de guerre, la loi se tait. »
Dresde est comme Auschwitz ou Srebrenica, un événement terrible élevé au statut presque mythique car il est en fait le symbole d’un phénomène plus large, en l’occurrence la campagne de bombardements menée contre un grand nombre de villes allemandes dont Hambourg et Berlin. Dresde occupe ce statut symbolique en raison du nombre très élevé de morts parmi les civils, la plupart brûlés par des bombes incendiaires au phosphore dont la fonction était d’incendier des bâtiments, et parce que la ville avait peu ou pas d’importance militaire.
Dresde reste aujourd’hui une plaie ouverte dans la mémoire historique allemande car des civils allemands ont été victimes par dizaines de milliers. L’Allemagne a protesté amèrement en 1991 lorsque les Britanniques ont érigé une statue au chef du commandement des bombardiers, Sir Arthur ‘Bomber’ Harris, dans le centre de Londres. Lorsque la reine d’Angleterre a visité Dresde en 1992, elle a été huée. Un livre du célèbre historien allemand Jörg Friedrich, « The Fire: The Bombing of Germany, 1940-1945 », publié en 2006, est devenu un best-seller.
Une telle colère allemande est compréhensible, d’autant plus que les nazis de Nüremberg n’ont pas été inculpés pour le bombardement éclair de Londres et d’autres villes britanniques en 1940-1941, précisément parce que les Britanniques voulaient les empêcher de pouvoir rappeler qu’ils avaient fait la même chose en Allemagne à la fin de la guerre. Les Américains, pour leur part, ont largué une bombe nucléaire sur Hiroshima dans les jours qui ont suivi la promulgation de la charte de Nüremberg, tuant plus de cent mille civils japonais d’un seul coup.
Avec le recul, et compte tenu du fait que les Alliés ont vaincu l’Allemagne et le Japon peu de temps après ces bombardements, on prétend que Dresde et Hiroshima et Nagasaki étaient des actes de terreur vains et inutiles. Il est difficile de nier qu’il s’agissait d’actes de terreur, mais il est beaucoup plus difficile de prétendre qu’ils étaient vains. En février 1945, la guerre n’était pas gagnée en Europe ; en août 1945, elle n’avait pas encore été remportée en Asie. Au contraire, l’Allemagne nazie ripostait violemment et mena même une contre-offensive majeure dans les Pays-Bas en décembre 1944 qui ne fut repoussée qu’en janvier 1945. Les officiers de l’armée de l’air décidant de bombarder l’Allemagne en ruines ne savaient pas alors qu’ils allaient gagner la guerre quelques mois plus tard. Quand ils l’ont fait, ils ont affirmé que les bombardements, comme plus tard au Japon, avaient en fait précipité la fin de la guerre. Ils ont eu peut-être raison [oui, peut-être raison, mais certainement tort ! NdT].
Ce qui est sûr, c’est que la décision de ne pas poursuivre les Allemands pour le Blitz démontre les lacunes graves, voire fatales, de la notion de droit pénal international. Punir les gens pour crimes de guerre semble bien en principe, mais en pratique est très souvent abusif, notamment parce que la loi est appliquée selon des doubles standards.
On peut le voir dans l’histoire du droit international : les bombardements aériens ont été proclamés illégaux lors de la conférence internationale de paix tenue à La Haye en 1899, avant même que l’avion ne soit inventé, ainsi que les gaz toxiques et les balles dum-dum. Cent ans plus tard, les dispositions relatives aux gaz et aux balles dum-dum restent inchangées dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998, tandis que la règle interdisant le lancement de projectiles et d’explosifs à partir de ballons ou par d’autres nouvelles méthodes similaires a été discrètement abandonnée.
Le bombardement aérien est donc passé d’un crime de guerre à un instrument de la plus haute moralité : lors du bombardement de la Yougoslavie en 1999, le commandant suprême de l’OTAN, le général Wesley Clark, a déclaré que le président yougoslave Slobodan Milosevic devait avoir l’impression de combattre Dieu, ce qui impliquait que l’OTAN proclamait une rétribution divine en jetant du tonnerre et des éclairs à partir du ciel sur les mécréants en dessous.
Cette volte-face judiciaire se moque du rôle supposé du droit dans la guerre, ce que les militants libéraux tentent d’établir depuis plus d’un siècle. La vérité est au contraire beaucoup plus brutale. Elle a été formulée pour la première fois il y a plus de 2000 ans par Thucydide dans son histoire de la guerre du Péloponnèse : les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles souffrent ce qu’ils doivent. Telle est la leçon de Dresde.
John Laughland
John Laughland est titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université d’Oxford. Il a enseigné dans les universités de Paris et de Rome, il est historien et spécialiste des affaires internationales.
Traduit par jj, relu par Marcel pour le Saker Francophone
Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone