Synonyme de big brother pour les défenseurs des libertés publiques, la reconnaissance faciale pourrait bien prendre une dimension européenne. Le 21 février, le magazine The Intercept a en effet publié une enquête révélant qu’un groupe de dix polices nationales de l’Union européenne, dirigé par l’Autriche, militait pour la mise en place d’une base de données commune en la matière.
A l’intérieur de la série de documents officiels que sont procurés le média lancé par Glenn Greenwald – ancien journaliste du Guardian à l’origine des révélations d’Edward Snowden – plusieurs textes examinent la possible révision du Traité de Prüm. Il s’agit d’un accord international de coopération autorisant les 27 pays membres de l’Union européenne à procéder à des échanges d’informations sur les profils ADN, les empreintes digitales ou encore les plaques d’immatriculation des véhicules. La prochaine étape pourrait donc être l’ajout des données de reconnaissance faciale dans cette base commune entre des pays membres de l’UE. D’autant que le projet serait déjà bien avancé. The Intercept indique à ce sujet qu’un rapport a circulé en novembre 2019 chez certains élus et officiels de l’Union européenne.
«Surveillance de masse» ?
«C’est préoccupant tant au niveau national qu’au niveau européen, d’autant plus que certains pays de l’Union européenne se tournent vers des gouvernements plus autoritaires», s’inquiète Edin Omanovic, directeur de l’ONG Privacy International, interrogé par The Intercept. Il craint que cette base de donnée ne serve pas qu’au travail d’enquête policière, mais glisse vers une surveillance de masse. «Il devrait y avoir un moratoire», estime-t-il.
Autre source d’inquiétude, la possible connexion de cette base de données à un outil américain similaire, créant ainsi «une consolidation transatlantique massive des données biométriques», selon The Intercept.
En novembre 2019, le gouvernement français avait évoqué le sujet de la reconnaissance faciale. Dans une interview au Parisien mise en ligne le 24 décembre, le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, était revenu sur le déploiement du programme Alicem (Authentification en ligne certifiée sur mobile) qui doit permettre une vérification sécurisée de l’identité sur l’Internet.
«Pour l’instant, aucune date de déploiement plus large d’Alicem n’a été validée. Un travail de consultation est en cours par le Conseil national du numérique ainsi qu’une mission parlementaire. Il nous faut toutefois continuer à tester l’application afin de pouvoir proposer aux Français une solution d’identité certifiée en ligne à l’horizon mi-2021. Celle-ci devra permettre de s’identifier de manière élevée, c’est-à-dire d’accéder à des usages qui nécessitent de certifier l’identité de la personne qui est devant l’écran ou le téléphone portable», avait-il dit.
Les opposants à la reconnaissance faciale craignent que cette technologie ne serve à «attribuer des points, des crédits de bonne conduite – des crédits de mauvaise conduite en réalité – à l’ensemble de leurs citoyens», redoute Thomas Fauré, PDG de Whaller, invité de RT France en octobre 2019.
Pour Etienne Papin, avocat spécialisé en nouvelles technologies, la France a déjà ouvert la «boîte de Pandore» avec des expérimentations dans des villes comme Nice, où «les caméras [de surveillance] ont été couplées avec des algorithmes de reconnaissance faciale [sur la base] du volontariat».