CAROLLE ANNE DESSUREAULT :
Dans son livre Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner, Patrice Van Eersel, rédacteur en chef du magazine Clés, interviewe cinq chercheurs sur l’activité du cerveau et son élasticité.
Le présent article est l’entrevue avec Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et ethnologue, promoteur du concept de résilience.
Une vision élargie évolutive du cerveau, sa plasticité
Il n’y a pas si longtemps, le monde médical considérait le cerveau fait de zones immuables, croyant que lorsqu’une zone était détruite, il n’y avait plus rien à faire. Certains points rendaient les scientifiques médecins neurologues pessimistes, tels que :
-notre néocortex, siège de la pensée, de la raison et du langage, entrerait en court-circuit avec notre cerveau archaïque, siège de nos pulsions vitales, égoïstes et sauvages ;
-entre les deux, pas de médiation ;
-leur vision d’un cerveau fixe et immuable, ne pouvait se transformer qu’à très long terme, à l’échelle darwinienne ;
MAINTENANT, UNE VISION ÉLARGIE ÉVOLUTIVE
-les neuroplasticiens ont démontré que l’image que nous nous faisons de notre cerveau change sa structure (ainsi, en lisant ce présent article, nous modifions nos neurones…) ;
-en devenant amoureux, encore plus … ;
-une mutation autocontrôlée de l’être humain est neuronalement possible, mutation qui doit se dérouler à la fois sur les plans individuel et collectif, car nos cerveaux sont fondamentalement bâtis pour être reliés à d’autres cerveaux.
Quelques composantes se rapportant à l’élasticité du cerveau
-même âgé, handicapé, voire amputé de plusieurs lobes, le système nerveux central peut se reconstituer et repartir à l’assaut de connaissances sur le monde ;
-totalement social, un cerveau n’existe jamais seul, mais toujours en résonance avec d’autres ;
-est constitué pour entrer en empathie avec autrui et aller à son secours ;
-conclusion : Homo Sapiens peut changer en modifiant lui-même sa structure ;
-pratiquement n’importe quelle zone du cerveau serait modelable – au prix d’efforts puissants mais accessibles ;
-les zones corticales spécifiques dans telle ou telle fonction sensorielle, exemple : toucher, vision et odorat, OU motrice, commande faite à nos centaines de muscles, peuvent se remplacer les unes les autres ;
-cet engin cosmique – le cerveau – nous le portons dans notre boîte crânienne, habité de potentialités très grandes.
CE QUI PERMET :
-de développer des capacités inconnues ;
-de réparer ceux qui souffrent de troubles psychiques et neuronaux ;
-la triple plasticité du cerveau.
Sous l’influence d’émotions, d’images, de pensées et d’actions, plusieurs phénomènes peuvent se produire
-nos neurones peuvent naître dans notre cerveau ;
-nos neurones peuvent se développer jusqu’à décupler leur taille et multiplier les synapses ;
-si on ne fait rien, nos neurones peuvent se ratatiner ;
-nos réseaux de neurones peuvent s’adapter à de nouvelles missions, jusqu’à remplacer une section par une autre (ex : la vue par le toucher) ;
-l’ensemble du cerveau peut entièrement se réorganiser – exemple, à la suite d’un accident).
Des milliards de neurones – les structures de fond
Les neurologues définissent maintenant les zones du cerveau comme des processus plastiques interconnectés, processus susceptibles de traiter des informations d’une diversité insoupçonnée. Même si nous perdons cent mille neurones par jour, et même si nous vivions jusqu’à 120 ans, il nous en resterait toujours assez pour penser, parler et agir, car d’impressionnantes structures de fonds habitent notre cerveau.
-cent milliards de neurones ;
-des centaines de milliards de cellules gliales qui jouent un rôle important dans la connectique cérébrale ;
-dix à cent mille milliards de connexions synaptiques qui joignent les neurones.
De nombreuses recherches pour aboutir à la neuroplasticité
Le livre mentionné au début de l’article relate les nombreuses expériences faites avant d’en arriver au concept de neuroplasticité. Certains neurologues en avaient eu l’intuition dans les années 1960 sans parvenir à le démontrer, tel Paul Bach-y-Rita. Ce médecin fut longtemps considéré comme un farfelu par le monde médical et ne sera pris au sérieux que dans les années 1990.
Michael Merzenich a lui aussi eu l’intuition de la neuroplasticité dans les années 1960 quand il suivait les travaux de David Hubel et Torsten Wiesel sur l’aire visuelle du cerveau. Hubel et Wiesel ont reçu le prix Nobel de médecine en 1981 pour leurs recherches qui prouvaient que la spécialisation du cerveau n’est pas à 100 % prédéterminée génétiquement et que tout se joue dans les premiers mois de la vie : un nouveau-né à qui l’on banderait les yeux pendant un an ne verrait jamais. Selon ces deux chercheurs, la relative plasticité neuronale s’arrêterait ensuite. Une fois structurés, les réseaux de neurones le sont à jamais.
MAIS, Michael Merzenich prouvera le contraire! Il impose le mot plasticité en neurologie et Torsten Wiesel, prix Nobel, reconnaîtra s’être trompé.
Les démonstrations de Michael Merzenich reposent sur des expériences faites sur des singes
-application sur des singes de micro-électrodes (IRMf – imagerie à résonance magnétique nucléaire fonctionnelle) ;
-Menzenich démontre que les neurones se comportent comme des êtres à la fois indépendants et collectifs – en compétition les uns avec les autres, et utilisent leurs réseaux pour «coloniser» tout territoire vacant. Par exemple : si l’arrivée du nerf sensoriel du milieu d’une main d’une personne est coupé, cette dernière ne sentira plus rien de cette partie de son corps, mais peu à peu, une certaine sensibilité va revenir. Pourquoi? Parce que les nerfs périphériques de la main vont progressivement occuper l’espace neuronal ainsi neutralisé et remplir la fonction délaissée. Cette mobilité spontanée est permanente et peut s’avérer rapide ;
-Menzenich découvre que nos aires cérébrales changent en quelques mois, quelques semaines, parfois quelques jours ;
-Menzenich mathématise une loi fondamentale du processus «le temps sensoriel engendre l’espace neuronal». Exemple, si avec notre pouce nous sentons systématiquement, dans l’ordre temporel, notre index, puis notre majeur, puis notre annulaire, les neurones correspondant à l’index, au majeur et à l’annulaire se rangeront spatialement dans cet ordre à l’intérieur de notre cerveau ;
-la logique d’ensemble : si l’on inverse les nerfs des pattes droite et gauche d’un singe, après une période de chaos, le cerveau de l’animal se rééduque lui-même et rétablit le circuit dans le bon ordre ;
C’est ainsi que Michael Menzenich impose le mot PLASTICITÉ en neurologie. Torsten Wiesel se joindra à sa thèse.
Conseils de Menzenich pour garder une bonne plasticité du cerveau
-ne jamais cesser d’apprendre régulièrement toute sa vie de nouvelles choses, dans des disciplines nouvelles, de façon nouvelle ;
-se méfier de la pollution sonore ;
-ne pas se décourager devant la lenteur de la rééducation qui avance par paliers ;
-comprendre que les médicaments neurochimiques peuvent aider, mais ne remplacent pas l’exercice ;
-éviter la tension, le diabète, le cholestérol ou le tabac qui sont les ennemis de la plasticité neuronale ;
-aimer les aliments antioxydants (fruits, légumes, poissons) ;
-faire de l’activité physique, privilégier le calme, la gentillesse, le rire et l’empathie qui favorise la plasticité ;
Découvertes de la neurogénèse moderne – nos neurones peuvent repousser !
C’est en travaillant sur la façon de soigner les maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson ou les maladies d’Alzheimer, que cette découverte fut faite.
En 1992, les neurologues Brent Reynolds et Samuel Weiss (Alberta, Canada) découvrent des cellules souches, progénitrices de neurones, dans le striatum (zone sous-corticale) du cerveau des souris.
En 1998, on fait une découverte similaire sur des singes adultes, puis chez l’être humain. De nombreux laboratoires vont se mettre sur la piste.
LES NOUVEAUX NEURONES APRÈS ÊTRE NÉS DANS LES PROFONDEURS SUBCORTICALES
-migrent dans les zones du cerveau qui en ont besoin – découverte de Pierre-Marie Lledo de l’Unité «Perception et Mémoire» de l’Institut Pasteur en collaboration avec une équipe de l’Université de Hambourg en 2004 ;
La piste de la ténascine
Une molécule qui conduit les cellules germinales vers le lobe olfactif où elles deviennent de vrais neurones opérationnels – l’olfaction, notre sens le plus archaïque avec le toucher – s’avère jouer un rôle décisif dans la reconstitution de nos neurones.
De nouveaux neurones apparaissent en permanence dans le cortex olfactif d’où ils migrent ensuite vers toutes les aires corticales.
COMMENT CONTRÔLER LA MOLÉCULE DE TÉNASCINE?
L’objectif des neurologues devient alors de découvrir comment contrôler la molécule de ténascine pour qu’elle puisse expédier les nouveaux neurones vers telle ou telle zone malade, que l’organisme pour telle ou telle raison n’approvisionne pas spontanément. En 2008, l’équipe de P.M. Lledo et celle de Pierre Chaneau de l’Institut Pasteur, réussissent un premier pilotage de ladite molécule. Les maladies neurodégénératives pourront-elles être soignées? Il y a de l’espoir pour le futur.
La résilience
Boris Cyrulnik explique que la résilience est ce processus qui permet de remonter la pente, ceci, grâce à la plasticité neuronale. Il est possible de «renaître», même après une très grande souffrance traumatique. À SUIVRE.
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec