Les lunettes « anti-surveillance » du lunetier Scott Urban, basé à Chicago, trouvent leur écho auprès d’une certaine clientèle, préoccupée par exemple par la question de liberté de choix, évoque M. Urban.
« La question se pose : le côté pratique [de la reconnaissance faciale] vaut-il la perte de notre autonomie, qui nous transforme en produits pour le profit d’entreprises? », demande-t-il.
Car, soulève Scott Urban, la collecte de données personnelles, souvent destinées à des entreprises privées, permet à ces dernières de mieux cibler leurs clientèles et leurs publicités et par ce fait même, d’influencer les décisions d’achats ou les opinions politiques
Selon lui, c’est cette crainte qui pousse beaucoup de ses clients à se procurer une paire de Reflectacles Phantom. Ces lunettes reflètent les rayons infrarouges de caméras de surveillance, créant ainsi un reflet lumineux qui camoufle le visage lorsque le passant croise la caméra.
Carl Gutbord, un Vancouvérois qui a commandé une paire de ces lunettes, revendique le droit de se soustraire à la surveillance.
Je suis innocent jusqu’à preuve du contraire. […] Pourquoi avez-vous le droit de me surveiller sans raison valide?
.
Les lunettes commandées par ce dernier doivent lui parvenir avant la fin du mois et il compte les porter dans tous les espaces où il croit être surveillé, comme àl’aéroport de Vancouver (Nouvelle fenêtre).
Une crainte justifiée
Pour Robert Xiao, professeur associé du département de sciences informatiques de l’Université de la Colombie-Britannique, la méfiance de la reconnaissance faciale ne relève pas du conspirationnisme.
Les caméras de surveillance dotées de reconnaissance faciale existent déjà dans des espaces publics, explique-t-il.
Des centres commerciaux se servent de caméras dotées de reconnaissance faciale pour estimer l’âge et le sexe des consommateurs, dit-il, suivre leurs déplacements et en apprendre plus sur leurs habitudes de consommation.
Imaginez-vous marcher près d’un panneau numérique qui fait l’annonce d’une paire de pantalons de yoga, parce [qu’une caméra] vous a vu près d’un studio de yoga
, décrit-il hypothétiquement.
C’est épeurant […] mais les annonceurs aimeraient pouvoir le faire et ils le font déjà sur Internet en ce moment
.
Ce n’est pas une inquiétude hypothétique. C’est une inquiétude justifiée.
On peut éteindre la fonction de la localisation sur son téléphone cellulaire, mais on ne peut pas éteindre son visage.
Les outils de reconnaissance faciale deviennent même de plus en plus faciles à utiliser.
Une enquête du NewYork Times a révélé que l’application Clearview AI, utilisée entre autres par de nombreux services de police américains, peut permettre d’identifier des gens en se servant d’une seule photo.
Elle compare l’image à sa base de données de plus 3 milliards de photos de personnes tirées de millions de sites web, qui incluent Facebook et YouTube.
Des options diverses
Les lunettes « Reflectacles » ne sont pas les seuls outils permettant de protéger son identité des appareils de surveillance.
Une coupe de cheveux et un choix de maquillage peuvent permettre de tromper les logiciels de reconnaissance faciale, évoque Robert Xiao.
Il explique par exemple, que sur Internet, le créateur, CV Dazzle offre un guide gratuit pour transformer son style et protéger son identité.
À l’extrémité du spectre se trouve la marque URME, qui vend des masques du visage du fondateur de la marque, permettant ainsi aux clients de porter un visage qui n’est pas le leur.
Des défis à relever
Tenter de déjouer la surveillance à l’aide de la mode vient avec sa part de défis, souligne par ailleurs M. Xio.
Même si l’on porte des accessoires comme des perles sur son visage pour déjouer une caméra, [les perles] serviront quand même de caractéristique identifiante
, permettant au logiciel de créer un profil associé à l’image d’un visage avec des perles, explique Robert Xio.
Comment peut-on créer une technologie pour vaincre les systèmes de surveillance sans pour autant être visiblement anti-surveillance?, demande-t-il. C’est très difficile à faire.
L’opinion publique face à la protection de la vie privée est aussi l’un des défis de l’équipement anti-surveillance, explique Galit Ariel, une consultante techno futuriste basée à Toronto.
En Amérique du Nord, explique-t-elle, de nombreuses compagnies technologiques ont implanté l’idée que la vie privée est une devise que l’utilisateur doit offrir en échange de services gratuits
, comme l’accès à un compte de réseaux sociaux, dit-elle.
Mais avec la montée de l’utilisation de données au profit d’entreprises, nous allons voir de plus en plus de gens vouloir avoir un contrôle sur leurs actions, leur apparence physique et leur identité
, prédit-elle.
Source: Se rendre invisible à l’ère de la reconnaissance faciale