‘Accord du Siècle’ ou ‘Casse du Siècle’ ? Les Palestiniens relégués au statut d’esclaves d’Israël

‘Accord du Siècle’ ou ‘Casse du Siècle’ ? Les Palestiniens relégués au statut d’esclaves d’Israël

Par Amira Hass

Source : Haaretz, le 1er février 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Des lignes directes peuvent être observées entre « l’Accord du siècle », les accords d’Oslo et leur mise en œuvre frauduleuse, qui a conduit à la création d’enclaves palestiniennes distinctes.

La métaphore humiliante – mais juste – de l’Autorité palestinienne en tant que « sous-traitant » des agences de sécurité israéliennes est révolue. Maintenant, elle doit laisser place à celle de « l’esclave de la sécurité d’Israël » : c’est ce que le plan nommé d’après Donald Trump exige du pseudo-Etat palestinien.

« L’Accord du siècle » piège les dirigeants palestiniens dans les sections sur la « sécurité », simplement parce qu’elles sont basées sur la logique de la coordination de la sécurité avec Israël à laquelle les dirigeants de l’Autorité Palestinienne (AP), notamment le Président Mahmoud Abbas, ont adhéré pendant de nombreuses années, et ce ouvertement.

Les dirigeants de l’AP ont justifié cela comme une mesure vitale pour progresser vers un État indépendant, sur la base de leur interprétation naïvement positive des accords d’Oslo au début et d’un raisonnement sans fondement plus tard. Cette persévérance est précisément ce qui a permis aux hauts responsables du Fatah et à leurs associés de devenir une nomenklatura (une classe restreinte qui lègue son statut dominant et ses privilèges à ses enfants) et de mener une vie confortable – dans certains cas avec ostentation – sous la botte israélienne et avec le patronage d’Israël.

Mises à part les tactiques diplomatiques habituelles et les critiques envers les institutions des États arabes, musulmans et neutres, cette nomenklatura n’a pas de plan solide en réserve contre les dangers immédiats et à long terme du plan Trump. Les services de sécurité palestiniens ont été formés pour opérer contre leur propre peuple, pas pour le défendre contre les attaques des colons ou les raids nocturnes de l’armée. Même si c’est une société qui n’est pas très forte pour garder les secrets, il est difficile d’obtenir beaucoup d’informations des Palestiniens sur les détails de la coopération sécuritaire entre l’AP et Israël (rappelons que le Hamas a accusé l’AP d’aider Israël à assassiner les cadres de la Résistance), mais le désir de l’establishment sécuritaire israélien de la préserver montre à quel point il l’apprécie.

La nomenklatura et la coordination sur les questions de sécurité vont de pair et sont interdépendantes. La nomenklatura s’est tellement habituée à son style de vie qu’il est difficile d’imaginer qu’elle y renonce. Et même si elle essayait de le faire, il est difficile de voir comment elle pourrait regagner la confiance de la population palestinienne – qui a maintenant été complètement brisée –, même si Abbas a ordonné l’arrêt de toute coopération en matière de sécurité aujourd’hui. Et le fait même qu’il soit sincère est loin d’être une certitude. Dans les cercles de sécurité israéliens, qui sont en contact constant avec les Palestiniens, le sentiment est qu’il ne fera rien de tel, et que ce ne sont que de vaines rodomontades.

Rétablir la confiance du public palestinien dans son leadership revient à passer de la « coordination sur les questions de sécurité » à un plan de « rébellion civile non armée » (semblable à ce qui a été proposé il y a quelques années par Qadura Fares, membre du Fatah poussé à la marge par Abbas). Il est également essentiel de rétablir cette confiance pour espérer mettre un terme aux appels à la lutte armée qui couvent dans des organisations comme le Hamas, le Jihad Islamique et le Front populaire de libération de la Palestine, ainsi que parmi les partisans du Fatah et la jeunesse.

Les dirigeants palestiniens qui veulent bloquer le plan Trump doivent convaincre leur peuple qu’il ne doit pas se contenter d’une réponse pavlovienne d’attaques armées contre des Israéliens (armés et non armés). Après tout, l’expérience des 20 dernières années montre que les actions armées facilitent simplement la poursuite des saisies de terres colonialistes par Israël et affaiblissent le peuple dépossédé. [Le Cri des Peuples récuse ce paragraphe : la Résistance armée est le seule voie pour libérer la Palestine, à condition d’être sérieuse et non un simple moyen d’obtenir des concessions ; la Résistance a échoué jusque-là car elle n’était pas exclusive, le Hamas aspirant à remplacer le Fatah dans son rôle de sous-traitant d’Israël ; le Hezbollah a montré la voie à suivre].

Mais lorsque les gens sont frustrés, désespérés et sceptiques quant aux motivations de leurs dirigeants, il est plus facile pour quelques individus de déclencher une bombe près d’une source que les colons ont l’intention de voler aux Palestiniens que de conduire 20 000 personnes à des pique-niques de masse tous les vendredis près des sources des villages palestiniens que les colonies ont accaparé – avec l’aide de l’administration civile israélienne.

Méthodes dictatoriales

En tant qu’ « esclave de la sécurité » d’Israël, la future entité palestinienne est également obligée par le plan Trump d’instituer le type d’oppression dictatoriale familière dans certains États arabes. Selon la section très détaillée sur la sécurité, lors des négociations que le plan prévoit de mener entre Israël et les Palestiniens, « les parties, en consultation avec les États-Unis, s’efforceront de créer des mesures initiales acceptables concernant des critères de sécurité acceptables pour l’État d’Israël et en aucun cas moins rigoureux que les paramètres utilisés par le Royaume hachémite de Jordanie ou la République arabe d’Égypte (selon ceux qui sont les plus stricts). »

Certaines de ces méthodes dictatoriales sont déjà utilisées en Cisjordanie et à Gaza. Elles ne garantissent pas tant la sécurité que le statut privilégié des nomenklaturas (y compris celle du Hamas).

Le récit trompeur d’Israël est visible dans à ligne du plan. Si le plan parvenait un jour sur une autre planète, les lecteurs y concluraient qu’Israël est un pays faible et persécuté qui a la chance d’avoir la protection de la plus grande superpuissance morale du monde, tandis que les Palestiniens seraient à l’origine de tous les problèmes (d’accord, l’Iran aussi), et qu’ils concoctent sans relâche des complots terroristes sans aucune raison. Les lecteurs extra-Terrestres concluraient également que les Palestiniens ont beaucoup d’armes dangereuses et sophistiquées pour menacer le petit Israël sans défense et malheureux.

Le plan, bien sûr, ne reconnaît pas l’existence de l’occupation, sans parler de la nature colonialiste de l’État d’Israël qui a dépossédé le peuple palestinien de sa patrie.

Mais le plan des exigences de sécurité imposées aux Palestiniens – un plan qui est tellement direct et explicite que cela en devient écœurant – ne reflète pas seulement la « vision » de droite de Benjamin Netanyahou. Il est naïvement erroné de considérer le soutien de Benny Gantz et d’Ehud Barak au plan comme rien d’autre qu’une manœuvre électorale. Comme Barak l’a dit dans Haaretz, le plan « satisfait tous les besoins de sécurité d’Israël ».

Comme son prédécesseur Yitzhak Rabin (qui s’attendait à ce que l’AP ne soit pas entravée par la Haute Cour et le groupe de défense des droits B’Tselem), Barak a également exprimé son espoir ou son attente, à la fin des années 90, que les dirigeants palestiniens sauraient opprimer efficacement leur propre peuple. Le soutien de Gantz et Barak au projet de Trump est authentique : l’annexe sur la sécurité du plan Trump reflète ce à quoi plusieurs générations de responsables de la sécurité israéliens – qui sont également devenus des dirigeants politiques civils – ont œuvré.

Rabin et Peres ne soutenaient pas le droit palestinien à l’autodétermination au point de devenir un État indépendant. Le deuxième paragraphe du plan Trump, intitulé « Oslo », rappelle que Rabin « envisageait que Jérusalem demeure unie sous la domination israélienne, avec l’incorporation à Israël des parties de la Cisjordanie ayant de grandes populations juives et de  la vallée du Jourdain ; le reste la Cisjordanie, avec Gaza, deviendrait soumise à l’autonomie civile palestinienne dans ce qui serait, selon ses mots, ‘moins qu’un État’. La vision de Rabin était la base sur laquelle la Knesset a approuvé les accords d’Oslo, et elle n’a pas été rejetée par la direction palestinienne à l’époque. » Ici, l’auteur du plan Trump dit la vérité.

Contrairement à la légende, les accords d’Oslo n’ont pas fait d’un « Etat » le point final des étapes graduelles du plan. Le mot « occupation » n’était pas non plus mentionné dans les documents de « paix » de Peres et Rabin.

En fait, dans la lettre humiliante que Yasser Arafat a été contraint d’écrire à Yitzhak Rabin (le 9 septembre 1993), il a promis que les Palestiniens renonceraient à l’usage « de la terreur et d’autres actions violentes » (propos se référant au soulèvement populaire de la première Intifada). C’est comme si la source du problème n’était pas la violence des armes et la bureaucratie du régime d’occupation israélien, mais plutôt la réponse palestinienne. En échange de cette humiliation, Rabin a déclaré qu’Israël reconnaissait l’OLP comme le représentant du peuple palestinien.

La différence d’aujourd’hui est qu’il y a 27 ans, de nombreux partisans du Parti travailliste et du parti Meretz reconnaissaient le caractère dangereux et immoral de l’occupation et soutenaient la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël. Comme les Palestiniens, ils voulaient croire à la « dynamique » positive des accords d’Oslo et considéraient le document comme une marche vers un État palestinien authentique. Pendant trop longtemps, ils ont ignoré les nombreuses preuves contenues dans les accords et le processus de mise en œuvre, qui indiquaient on ne peut plus clairement que le contraire était vrai.

Des conditions draconiennes

Un élément de preuve était et reste la vallée du Jourdain. Le nombre de Palestiniens là-bas (environ 80 000, y compris à Jéricho) est à peu près le même qu’en 1967, après que des centaines de milliers de personnes ont fui et ont été expulsées pendant la guerre des six-Jours. En d’autres termes, les nombreuses étapes mises en œuvre par Israël pratiquement depuis le début, inspirées du plan Allon, ont atteint leur objectif et empêché que la communauté palestinienne se reconstitue.

Ces mesures ont été mises en œuvre avant les accords d’Oslo et affinées par la suite : désigner de vastes régions comme zones de tir militaires ou réserves naturelles, bloquer l’accès aux terres agricoles près du Jourdain, saisir les sources d’eau et assécher les sources utilisées par les Palestiniens, harceler les bergers et les agriculteurs, confisquer et tuer les moutons, prononcer des interdictions de construire, empêcher les connexions aux réseaux d’eau et d’électricité, et souvent démolir les bâtiments résidentiels et les infrastructures.

À tout cela, ces dernières années, s’est ajoutée la violence croissante des avant-postes de bergers israéliens (colonies sauvages) qui, avec l’aide de l’armée israélienne, chassent les Palestiniens de leurs terres. Peu de gens pourraient résister à ces conditions draconiennes, si bien que contrairement au reste de la Cisjordanie, le nombre de Palestiniens dans la vallée du Jourdain a en fait diminué.

La vallée du Jourdain est riche en eau, et les forages israéliens y détournent une grande partie des réserves d’eau vers les colons et leur agriculture d’exportation intensive ; cela se fait au détriment de l’eau potable pour les Palestiniens et de leur agriculture. Mais malgré les incitations financières, les Israéliens ne sont pas très enclins à vivre dans la chaleur extrême de la vallée du Jourdain, de sorte que leur nombre là-bas (environ 11 000) n’a pas beaucoup augmenté non plus. L’annexion de la vallée du Jourdain au prétexte de considérations sécuritaires permettrait à Israël de détourner de grandes quantités d’eau – équivalant à près d’un tiers de la quantité consommée par tous les Palestiniens de Cisjordanie – au profit d’autres Israéliens.

Bien qu’il s’agisse du plan Trump, « l’Accord du siècle » n’est pas stupide. Il manifeste effectivement de l’ignorance et un mépris caractéristique pour les faits, il parle d’une manière néocolonialiste condescendante de la « croissance », rappelant les rapports des agences internationales de développement. Et cela montre beaucoup d’astuce – comme les déclarations soigneusement parsemées çà et là sur la façon dont il sera bon pour la Jordanie et toute la région qu’Israël contrôle la vallée du Jourdain et protège ainsi le royaume hachémite des éléments hostiles.

Des lignes directes peuvent être observées entre le plan Trump et les accords d’Oslo et leur mise en œuvre frauduleuse, qui a conduit à la création d’enclaves palestiniennes dans l’immensité de la zone C de la Cisjordanie, et pour laquelle, avant même Trump, Israël avait promis de créer une « contiguïté des transports ». Pour exactement cette raison, ce serait une erreur de rejeter le plan de Trump comme une simple aide amicale à Netanyahou ou quelque chose de forcément voué à l’échec. Tout comme les accords d’Oslo, « l’Accord du siècle » pourrait réussir précisément parce qu’il correspond si parfaitement au projet colonialiste israélien.

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« La voix des peuples et de la Résistance, sans le filtre des médias dominants. »[Le Cri des Peuples traduit en Français de nombreux articles de différentes sources, principalement sur la situation géopolitique du Moyen-Orient. C'est une source incontournable pour comprendre ce qui se passe réellement en Palestine, en Syrie, en Irak, en Iran, ainsi qu'en géopolitique internationale.]

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