Au moment où le Pouvoir actuel accélère la destruction de l’enseignement de l’Histoire dans les collèges et lycées du pays, voire lui donne le coup de grâce – cet enseignement étant déjà réduit à des miettes de notions éparses et appauvries au maximum –, il est plus que jamais essentiel de commémorer le souvenir de la Semaine sanglante, issue dramatique de la Commune de Paris. La clique dirigeante actuelle déteste l’Histoire et sa transmission aux nouvelles générations. Le peu d’Histoire qui ait encore droit de cité dans les programmes scolaires concerne la connaissance de l’islam, l’esclavage, la colonisation et la Shoah. Le reste peut et doit passer précisément aux « poubelles de l’Histoire ». C’est en effet très ingénieux si l’on souhaite définitivement maintenir les populations dans une oppression implacable en les condamnant à un imaginaire centré sur un Présent manipulé. La date de mise sur le marché du dernier iPhone ou les frasques des people tiendront désormais lieu d’événement « historique ».
A n’en pas douter, le souvenir du massacre des derniers îlots de résistance des Communards lors de la Semaine sanglante du dimanche 21 au dimanche 28 mai 1871, ne fera pas partie des événements que notre République affairiste et corrompue souhaitera maintenir vif dans les consciences. Lorsque par le Passé, la République bourgeoise a utilisé la mitraille dans ses diverses opérations de maintien de l’ordre, l’Etat moderne contemporain, tellement soucieux de commémorations culpabilisatrices, devient soudain étonnamment amnésique. En effet, cet Etat méprisable se donne à peu de frais bonne conscience, car qui pourrait décemment vanter en 2015 les mérites de l’esclavage, du colonialisme ou encore de ratonnades antisémites. Evidemment personne. Il peut donc apparaître comme l’apogée de la conscience humaniste – à grand renfort de larmoiement institutionnel – en étant le grand mobilisateur du camp du Bien. Cela permet aussi à l’Etat de s’octroyer un blanc-seing pour ses exactions présentes et futures. Comment pourrait-on l’accuser d’une forme de totalitarisme soft dès lors qu’il vitupère tant les ignominies d’antan. Pourtant, il ne manquerait pas de renouveler les méthodes de répression les plus criminelles si demain, par enchantement, les Français d’en bas, « sans-dents », décidaient d’en découdre avec les forces dirigeantes. Faisons-leur confiance, comme en 1871, ils trouveraient alors les meilleures raisons du monde pour justifier la répression la plus sauvage.
Ce fut précisément le cas lors de l’insurrection populaire qui débuta en mars 1871 et dura un peu plus de deux mois seulement jusqu’à l’écrasement final lors de cette semaine fatidique. Pendant cette courte période, une majorité de Parisiens composée d’ouvriers, d’employés, d’artisans, de « petits-bourgeois » se mobilisa face aux trahisons d’un gouvernement et d’une Assemblée nationale capitulant devant la Prusse suite à la défaite militaire. Le peuple parisien, qui avait subi un siège éprouvant, la rigueur de la famine et s’était comporté si héroïquement, ne supporta pas l’humiliation et les manipulations indignes d’un gouvernement plus préoccupé d’ordre social que d’indépendance et de dignité nationale face aux occupants.
Il n’est pas question dans cette courte allocution de retracer le déroulement et l’analyse de ces deux mois d’insurrection et de Commune populaire. Que l’on retienne surtout que le peuple de Paris essaya de s’organiser par une tentative d’autogestion sur le plan économique et une représentation plus directe de sa direction politique. Confusion, erreurs, carences, contradictions sont le lot habituel de telles tentatives lorsqu’elles sont menées qui plus est dans le rationnement, l’isolement et la menace militaire. De nombreux ouvrages retracent et analysent l’événement depuis les écrits de Marx. Nous ne pouvons donc que conseiller aux curieux d’aller chercher l’information sur ce drame et d’en maintenir ainsi la mémoire et la compréhension. L’Histoire et en particulier celle du mouvement ouvrier est toujours riche d’enseignement.
Soulignons aujourd’hui la force d’un exemple historique d’initiative populaire face à l’oppression politique et sociale, un moment considérable de conscience fragmentaire mais réelle du mouvement ouvrier en actes au XIXème siècle. Saluons aussi avec nos faibles moyens le courage et la détermination de ce petit peuple parisien qui a tant marqué les consciences dans l’Europe de cette époque et même plus tardivement jusqu’à nos jours frileux et atones.
Si l’oligarchie au pouvoir souhaite effacer jusqu’au souvenir de notre Histoire, de l’Ancien régime à des périodes plus récentes, elle ne montrera pas de zèle particulier à maintenir dans la mémoire collective le calvaire de la population parisienne en 1871 avec son cortège de milliers de victimes. Il s’agit pourtant d’un crime commis par la classe victorieuse de 1789, cette bourgeoisie impatiente de renverser la société organisée en ordres pour mieux affirmer sa puissance, n’hésitant pas à réprimer sauvagement le peuple quand il prenait l’initiative pour remettre en question l’omnipotence de la classe de la froide raison marchande.
Nous croyons essentiel d’honorer les morts de la Commune par respect pour cette phase héroïque du mouvement ouvrier du XIXème siècle. Cette insurrection a maintenu tradition et patriotisme, en les unissant de manière originale à une volonté de restaurer la volonté populaire dans un projet d’émancipation économique, malgré toutes les hésitations et faiblesses de l’époque. Dès lors que l’ultralibéralisme contemporain, qui n’est jamais qu’une accentuation de la prédation économique, sévit odieusement de nos jours sans rencontrer de réelle opposition, on ne peut que renouer avec cette tradition ouvrière à des fins de résistance. La pression dans l’exploitation du travail est telle de nos jours qu’elle tend progressivement à nous ramener aux conditions socio-économiques du XIXème siècle. Ainsi, la politique de l’actuel gouvernement, prolongement du précédent et sans aucun doute avant-goût du prochain, est dirigée vers la destruction des quelques avancées sociales dues au CNR en 1945. Avec sa remise en question du Droit du travail, la dérégulation du temps de travail ou encore l’évacuation des prud’hommes, la loi Macron en est un exemple emblématique. Cette formidable régression est rendue possible par l’hypnose des populations, conditionnées par la culpabilisation liée à une dette artificielle et la mondialisation obligée qui met en concurrence tous les peuples de la planète. Elle est malheureusement aussi accompagnée d’une absence totale de conscience de classe des opprimés de ces temps nouveaux. L’intelligence moyenne, du fait de l’abrutissement organisé par les médias et l’industrie du divertissement de masse, a amplement reculé et il y a désormais une totale béance entre la conscience de l’ouvrier parisien de 1871 et l’anomie dans laquelle végète le plus souvent l’exploité de 2015. Au préalable, il avait bien fallu soumettre ce petit peuple parisien et le dissoudre géographiquement, d’abord grâce aux violences de l’urbanisme concentrationnaire des années 60 puis par son expulsion définitive hors de Paris dans les années 70.
On ne peut que souhaiter le retour de la critique sociale de manière radicale afin que ce monde ignominieux et dépourvu de style, misérable dans ses plaisirs et ses intérêts, image de la médiocrité de ses dirigeants infatués et bornés, soit abattu. La catastrophe, c’est-à-dire le début d’une profonde déshumanisation dans l’inconscience générale, a déjà eu lieu et se renforce de manière continue. Il s’agit désormais de tenter de la faire reculer.
Saluons encore une fois les victimes de la Semaine sanglante et le courage du peuple parisien de 1871 en espérant raviver, même dans ces conditions d’extrême confidentialité, le flambeau de ce vieux projet d’émancipation.
Et osons scander que décidément « la Commune n’est pas morte ».
Texte de l’hommage au Mur des Fédérés par Patrick Visconti.
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