Le Québec est une nation inachevée qui peine à entrer dans l’avenir avec confiance et la pandémie de COVID-19, qui nous a soudainement frappés en mars dernier, a rétréci les horizons de notre société.
L’avenir est devenu inenvisageable en dehors du scénario de crise dans lequel nous apparaissons depuis lors. Toutefois, cet état de fait n’est pas seulement lié à la pandémie actuelle ; il puise dans une histoire parsemée de sursauts et d’affaissements. Les Québécois sont peut-être lassés des débats entourant leur statut politique, mais ceux-ci n’en sont pas moins importants. L’actuelle course à la direction du Parti québécois est l’occasion de nous rappeler que nous avons fait beaucoup depuis les 70 dernières années, à l’exception de l’essentiel, c’est-à-dire la souveraineté.
Depuis l’échec du projet politique des Patriotes en 1837-1838 et la proclamation de l’Acte d’Union quelques années après, les Canadiens français puis les Québécois ont pris l’habitude de laisser leurs projets en plan et de les remettre à demain. La volonté des élites canadiennes-françaises de faire du Bas-Canada une république n’a pas été exaucée : l’histoire n’avait pas frappé aux portes de la collectivité.
Héritière des vaincus de 1760, cette société s’est repliée sur elle-même et a été forcée, pour traverser le siècle, de se définir sur le plan culturel avec le concours de l’Église catholique. Il est fort à parier que, sans cette congélation de l’identité collective, celle-ci aurait tout simplement fondu sous le soleil de l’adversité.
Cette histoire n’est pas glorieuse, mais elle n’est pas à cacher pour autant, parce qu’elle assure la voie de passage entre le passé et l’avenir. La Confédération de 1867, qui a recréé un espace politique québécois, n’a pas concédé aux Canadiens français la pleine maîtrise de leur politique, leur laissant le soin de s’occuper principalement de santé et d’éducation, en somme, des pouvoirs de la reproduction sociale. Une société qui se reproduit sans s’être instituée elle-même politiquement est toujours contrainte de se replier et de mener ses affaires comme on les mène dans un village à l’abri des grands centres.
La pleine responsabilité nationale oblige un peuple à exister au milieu d’autres peuples et à lever le nez par-delà la clôture.
Abandonnée sur les rives du fleuve Saint-Laurent comme un « colis encombrant », selon les mots d’Anne Hébert, notre petite nation s’est formée en défendant son particularisme culturel et en s’agrippant aux quelques poignées qu’elle a trouvées sur son chemin. La patience, la survivance et la résistance l’ont transportée jusqu’à la Révolution tranquille. Malgré son nom, cette révolution culturelle a instauré des changements sociaux d’une teneur importante sans leur adjoindre leur équivalent politique. Elle devait redresser une nation asservie, indolente, et qui avait désappris le vocabulaire de la politique depuis 1840. Sa mission a-t-elle complètement réussi ? Survivre n’est pas une vie et l’habitude de durer ne correspond en rien à la plénitude.
De la révolution avortée des Patriotes au printemps érable de 2012 en passant par les référendums échoués de 1980 et de 1995, un désir d’achèvement pour ainsi dire à deux volets traverse notre récit collectif. D’une part, les Québécois désirent que leur parcours politique connaisse un dénouement heureux, c’est-à-dire pérenniser leur culture française en Amérique. C’est l’option de la souveraineté. D’autre part, ils souhaitent en finir avec ce récit d’empêchements comme on achève un cheval, en un dernier spasme. C’est l’option de l’inexistence.
Cette oscillation qui nous définit demeure un vecteur d’effets pervers dans la mesure où elle nous empêche de façonner une image à notre taille.
D’un extrême à l’autre, elle nous fait passer du cancre de la fédération canadienne à la nation la plus avant-gardiste de la civilisation occidentale. Le discours de la grandeur, lequel nous offre une image méliorative de nous-mêmes, cohabite avec un discours démissionnaire qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis les années Charest (2003-2012). L’un tente de conjurer les forces de l’affaissement et l’autre se laisse entraîner par elles sans la moindre opposition. Cette tension n’est-elle pas le fruit d’une profonde incertitude du rapport à soi ?
On me pardonnera d’être démodé. Je fais le pari que la souveraineté du Québec est encore un projet tourné vers l’avenir et qu’elle seule pourra nous faire coïncider avec nous-mêmes, en plus de nous permettre de remédier à cet inachèvement qui caractérise notre identité et notre vie politique depuis trop longtemps, et qui nous retient de mettre un pied devant l’autre.
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