Comme elles étaient illettrées mes grand-mères, hein! Et comme elles étaient donc bêtes! Oui, selon votre intelligence, mais aujourd’hui je sais qu’elles avaient une vertu après laquelle vous vous gardez bien de courir, car qu’en feriez-vous si vous la rattrapiez? Elles avaient un tranquille et indéracinable courage. En 1914, elles donnèrent leurs garçons à la France et à la guerre. Docilement et sans une révolte. Ma grand-mère Joséphine, pendant 4 ans, guetta au bout du chemin le retour de ses «petits» ou l’arrivée des gendarmes qui viendraient annoncer que l’un des sept avait été tué. Elle n’eut jamais de crise de nerfs, pendant cinquante mois, et jamais de dépression. Elle priait Dieu. Elle était bête, n’est-ce pas, puisqu’aujourd’hui, lettrée et fort savante, elle prendrait des tranquillisants afin de diminuer l’effet de ses «break-downs». Elle était bête, mais Dieu l’entendit et les garçons revinrent, truffés de plomb, couverts de blessures et de cent décorations. Il n’y eut pas de grand repas pour célébrer ce retour et ces retrouvailles. Avec simplicité, sans révolte, tout le monde se remit au travail. Du moment qu’on n’était pas mort et qu’on avait la santé…
— Jean Cau, Les écuries de l’Occident
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