par Gideon Levy
La mutinerie sur le Titanic est surprenante, impressionnante et puissante. Les passagers qui veulent imposer de nouvelles règles annonçant le début d’un nouveau régime ne se taisent pas, comme c’était leur habitude jusqu’à présent. Ils font preuve d’une vigilance, d’un engagement et d’une détermination admirables. Ils se sont soudainement réveillés d’un coma de plusieurs années, pendant lequel ils ne se souciaient que des plaisirs sybaritiques qu’ils trouvaient à bord. Le nouveau vieux capitaine et son nouvel équipage ont décidé de changer les règles du jeu, et une partie importante des passagers s’y oppose farouchement. Il s’agit principalement des passagers des ponts supérieurs. (Comme tous les navires de passagers, le Titanic possède également une deuxième classe et une troisième classe, ainsi qu’une coque intérieure). Ils décident de lancer une mutinerie tapageuse qui refuse de s’apaiser.
Cette mutinerie ne doit pas être ignorée, tout comme les changements que le nouvel équipage cherche à introduire ne doivent pas être pris à la légère. Ils vont changer le Titanic au-delà de toute reconnaissance. Le navire qui était connu dans le monde entier pour son style de vie libre, ses cabines modernes et ses mesures de sécurité avancées, pourrait se transformer en quelque chose d’autre. Le monde qui le considérait comme l’un de ses fleurons pourrait s’en lasser. Le Titanic pourrait se retrouver sans permis d’amarrage à ses destinations souhaitées, et son approvisionnement en produits de luxe pourrait également être perturbé. Les passagers des ponts supérieurs sont déterminés à ne pas laisser cela se produire. Ce n’est pas pour ça qu’ils ont tant investi, pas pour ça qu’ils ont embarqué.
Pourtant, jusque-là, la vie sur le Titanic était incomparablement belle. Le vin coulait comme de l’eau, les repas étaient excellents, les spectacles étaient exemplaires, la liberté merveilleuse et les passagers, surtout ceux de première classe, ne cessaient de s’amuser. Tous étaient vaguement conscients que d’autres choses, mauvaises et sombres, se passaient dans le ventre du navire, mais ils ne se laissaient pas perturber. Ils étaient concentrés sur eux-mêmes, très fiers de leur navire. Il n’y en a aucun de semblable nulle part, pensaient-ils, un phare flottant qui brille au loin.
Puis le nouvel équipage est arrivé, mené par le nouveau-vieux capitaine, dont le caractère est controversé : Environ la moitié des passagers l’idolâtraient et environ la moitié le détestaient, avec une force jamais vue auparavant. Le nouvel équipage a changé la donne : il a cherché à introduire de nouvelles règles qui changeraient le caractère du navire. Certains passagers, surtout en deuxième et troisième classe, pensaient que le changement serait positif, ou du moins pas dramatique, mais les passagers de première classe et certains en deuxième classe étaient certains qu’il s’agissait d’un changement fatal. Ils ne sont pas prêts à continuer à naviguer sur un navire avec de telles lois. Ce ne sera plus leur navire, et ils n’en ont pas d’autre. Ils se battront jusqu’à leur dernière goutte de sang pour empêcher les changements et garder le navire tel qu’il était, à leurs yeux le meilleur navire qui soit.
La lutte était héroïque. Le Titanic ne serait en effet pas resté tel qu’il était, si les changements avaient été introduits. Mais avant même l’arrivée du nouvel équipage, les horribles cris de douleur ont jailli du ventre du navire, et ils se sont amplifiés même si l’équipage a fait tout son possible pour les faire taire, et si les passagers les ont ignorés pour ne pas troubler leur propre tranquillité. Eux, et le monde qui vénère le Titanic, se sont bouché les oreilles. Ils ont accepté les explications de l’équipage selon lesquelles les cris étaient le rugissement des moteurs, qu’ils n’étaient pas aussi horribles qu’ils en avaient l’air, qu’il n’y avait pas d’autre solution.
Lorsque la mutinerie a éclaté sur les ponts supérieurs, elle n’a eu aucun effet sur ce qui se passait sous le pont. La vie de ceux qui y étaient piégés restait insupportablement dure. Ils ne voyaient pas la lumière du jour ; il n’y avait pas de liberté du tout. Les mutins ne se souciaient pas d’eux, et le monde non plus. Tout le monde n’était bouleversé que par ce qui se passait sur les ponts supérieurs.
Lorsque le Titanic a heurté l’iceberg et a coulé, tout le monde a dit que c’était dû à la complaisance de l’équipage et à l’aveuglement des passagers face au danger. Aucun d’entre eux n’a compris qu’un navire qui porte dans son ventre une telle injustice est un navire du mal, dont le destin a été scellé par l’aveuglement qui a empêché ses passagers de le voir.
source : Tlaxcala
Traduit par Fausto Giudice
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