Par Laurent Michelon − Le 1er février 2023
Dans son message de vœux pour le Nouvel an chinois au corps diplomatique, le nouveau ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang a déclaré que « la paix, comme l’air et le soleil, ne se remarque pas lorsqu’on n’en manque pas, mais personne ne peut vivre sans ».
Il a confirmé que la Chine restera en 2023 sur le chemin du développement pacifique, dont l’objectif est de contribuer à bâtir une communauté de destin pour l’humanité. Il a enfin insisté sur le soutien de la Chine à tous les pays majeurs à promouvoir un esprit d’unité, de coopération et rejeter la mentalité héritée de la Guerre froide qui prévaut actuellement. La fin de non-recevoir de l’hégémon anglo-américain et ses affidés européens ne s’est pas faite attendre.
Sur la scène du Forum économique de Davos, en voix de ringardisation et délaissé cette année par la plupart des grands hommes d’État, l’invité-surprise Christopher Wray, directeur du FBI, s’est permis d’accuser le gouvernement chinois, sans apporter la moindre preuve, d’être à la tête « d’un programme de piratage informatique plus important que celui de toute autre nation dans le monde ».
De nombreux dirigeants de sociétés de haute technologie occidentales ont confié qu’ils ont été approchés à Davos par des agents du renseignement américain, qui souhaitaient connaître les détails de leurs opérations avec la Chine, pour établir « de quel côté ils sont ».
Lors de son discours, la représentante de l’Union européenne Ursula Von der Leyen, toujours prompte à donner des gages de sa soumission inconditionnelle au camp atlantiste, a accusé de façon quasi-hystérique la Chine de tous les maux, notamment d’empêcher l’accès à son marché et de subventionner certaines entreprises, comme si la Chine avait le monopole de ces pratiques.
Toujours à Davos, le vice-Premier ministre chinois Liu He a prononcé un discours d’une maturité et d’un universalisme qui ont détonné dans l’atmosphère turbulente de cours de récréation créée par les participants européens et américains. Au contraire de ses homologues occidentaux qui transforment désormais tous les sommets internationaux, qu’ils soient économiques, environnementaux ou autres en plateforme d’expression d’une certaine sinophobie, le vice-Premier ministre chinois a été respectueux du fait que le Forum économique de Davos est avant tout un forum… économique: il a commencé par rassurer les investisseurs occidentaux sur la continuité de la politique d’ouverture de la Chine, malgré la longue interruption due au Covid. Dans un climat anxiogène, il a conclu sur la nécessité pour tous les participants d’être encore plus ouverts, et que l’ouverture de la Chine au monde est une obligation pour elle, pas une simple opportunité.
Un contraste saisissant avec la politique anglo-américaine désormais ouvertement anti-russe et anti-chinoise, où il n’est question que de sanctions et d’isolation, y compris dans certains cercles d’affaires. Ainsi, au début janvier, lors de la 41ème Conférence sur la santé organisée par JPMorgan à San Francisco, fermée au grand public et off-the-record, le président de la banque, Jamie Damon, a expliqué devant une audience d’investisseurs notamment chinois, que la Chine doit être isolée. Il s’agit du même banquier qui en 2021 fanfaronnait que « sa banque vivra plus longtemps que le Parti communiste chinois ».
Comme pour joindre les actes aux paroles hostiles, le ministre américain de la défense Lloyd Austin s’est rendu la semaine suivant le forum de Davos en Corée du Sud et aux Philippines, au même moment où le Secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg se rendait en Corée du Sud et au Japon, dans ce qui ressemble fortement à un rappel à l’ordre coordonné des vassaux asiatiques qui pourraient développer des velléités de souveraineté.
En effet, le ministère de la Défense de Corée du Sud a publié en décembre 2022 un rapport qui est curieusement exempt de déclarations hostiles à l’encontre de la Chine. Celle-ci y est au contraire confirmée dans son rôle de partenaire incontournable de la Corée du Sud dans « l’Indo-Pacifique », un nouveau groupement totalement artificiel d’États voisins de la Chine qui se coalisent contre elle sous la tutelle de l’hégémon. Ce rapport sud-coréen est également silencieux sur la question de Taïwan, ce qui ne peut que déplaire au tuteur américain.
Le même mois, le nouveau Président philippin Ferdinand Romualdez Marcos Jr. se rendait en visite officielle à Beijing pour confirmer le vent nouveau de coopération qu’il compte insuffler à la politique étrangère philippine vis-à-vis de la Chine, bien moins fondée sur l’ambiguïté ou la confrontation que le souhaitent les États-Unis. Les deux chefs d’état ont notamment décidé de reprendre les négociations sur l’exploitation conjointe des gisements d’hydrocarbures en Mer de Chine du Sud.
L’hégémon anglo-américain, par sa politique de plus en plus hostile à la Chine, est engagé dans une course en avant pour préserver le monde unipolaire qu’il a mis en place depuis 1945, à son unique profit, par la coercition financière et militaire. Il y a longtemps qu’il ne pratique plus la diplomatie, et que l’Occident en général n’a plus de Diplomatie dans le sens traditionnel du terme, à savoir un instrument de politique étrangère basé sur la négociation. Dans le cas de la France, la fin de la diplomatie vient d’être actée par l’actuel gouvernement, qui a dissout le corps diplomatique, et avec lui sa formation si particulière et si reconnue, pour en faire une branche administrative comme une autre, donc une courroie de transmission fidèle des décisions politiques, au lieu d’être un lubrifiant dans les rouages complexes des relations internationales.
L’hégémon, flanqué de ses relais que sont l’OTAN et l’UE, ne connait d’autre moyen que la coercition pour préserver son pouvoir, et s’engage donc logiquement sur la voix de la confrontation avec la Russie d’abord, pour l’affaiblir afin qu’elle ne puisse venir en aide à la Chine lorsque viendra le moment de la confrontation sino-américaine.
La Chine, comme la Russie avant elle sur la question ukrainienne, fera tout son possible pour éviter la confrontation armée dans laquelle veut l’attirer l’hégémon, sur la question de Taïwan notamment. Mais en traitant la Chine comme une menace sur tous les sujets, celle-ci n’a d’autre alternative que de considérer l’Occident comme une menace à son tour, et se préparer au conflit par le développement de son armée. Ainsi, en dépit de ses multiples déclarations d’ouverture économique au reste du monde, la Chine se trouve entraînée dans le piège des médias et des cercles de réflexion anglo-américains: elle est constamment accusée d’ambitions impérialistes par les anciennes puissances coloniales (et aujourd’hui néo-coloniales), ce qui est le comble de l’inversion accusatoire.
Ce procédé dans lequel l’hégémon est passé maître, qui trouve ses racines dans la doctrine Wolfowitz des années 90, a pour but d’empêcher l’émergence de tout acteur puissant sur la scène internationale qui pourrait remettre sa domination en cause. Jens Stoltenberg l’a exprimé en des termes on ne peut plus clair à Davos 2023:
« Il est extrêmement important que le Président Poutine ne gagne pas cette guerre […] parce que cela serait très dangereux pour nous tous. […] Le message aux dirigeants autoritaires, pas seulement Poutine, serait que lorsqu’ils usent de la force brute, lorsqu’ils violent le droit international, ils arrivent à leurs fins ». Et d’ajouter quelques jours plus tard en Corée du Sud: « Des océans nous séparent, mais notre sécurité est intimement connectée ».
A quand une mise à jour du nom de l’alliance en Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et de l’Indo Pacifique (OTANIP) ?
Laurent Michelon est entrepreneur en Chine. Il travaille depuis plus de 20 ans entre Hong Kong et Beijing. Il vient de publier Comprendre la relation Chine-Occident aux éditions Perspectives libres. Retrouvez son fil Telegram à https://t.me/la_realgeopolitik
Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone