Un point de vue très critique
La démission plus ou moins surprise de Sophie Brochu a suscité de nombreuses réactions. Depuis la nomination de Pierre Fitzgibbon comme ministre responsable d’Hydro-Québec se dessinait une lutte de pouvoir entre la PDG et le ministre. Mme Brochu n’a sans doute pas voulu payer les frais que coûte une lutte de pouvoir contre le « boys club » et je sais de quoi je parle.
Pourtant, contrairement à ce que laissent entendre les différents chroniqueurs, leurs visions de l’économie ne sont pas du tout aux antipodes. Ils font partie du même grand réseau affairiste. Sophie Brochu n’avait toutefois pas le même empressement que Pierre Fitzgibbon. Vous allez trouver que mon propos est en décalage avec les propos entendus sur cette affaire, mais regardons les faits.
Les faux pas
Mme Brochu a signé un contrat de vente à gros rabais, voire même à perte, de 20 TWh/an aux États-Unis pour 25 ans, alors qu’elle savait pertinemment qu’il y aurait une augmentation des besoins au Québec de 20 TWh/an liée à la transition énergétique. Dès 20271, soit dans moins de 5 ans, Hydro-Québec prévoit manquer d’électricité. Pour quelqu’un qui sonnait l’alarme sur le risque de faire d’Hydro le « Dollarama de l’électricité », Sophie Brochu est plutôt du genre pyromane-pompier. C’est aussi elle, ancienne PDG de Gaz Métro devenue PDG d’Hydro, qui a signé une entente pour donner jusqu’à 2,4 milliards de $ à la gazière (son ancien employeur) pour maintenir en vie un réseau de distribution de gaz principalement de fracturation, l’énergie la plus polluante de la planète, sous de faux prétextes. Le tout aux frais des consommateurs d’électricité. Les faits parlent d’eux-mêmes.
Mme Brochu a, de plus, fait preuve d’une éthique fortement discutable. Prenons l’exemple de sa participation comme conférencière à fort prix pour une entreprise de son conjoint. Il y a aussi l’exemple de son passe-droit pour continuer à siéger sur le CA de la Banque de Montréal tout en étant PDG d’Hydro-Québec, une pratique interdite jusqu’alors. Elle avait d’ailleurs affirmé à l’époque que si elle avait à choisir entre les deux, son choix serait facile. Elle opterait sans hésitation pour la Banque de Montréal. Je le redis, les faits parlent d’eux-mêmes.
Joueur-clé dans la crise climatique
En ce qui concerne la gouvernance d’Hydro-Québec, les Québécois méritent hautement mieux. Hydro-Québec pourrait devenir le navire amiral pour mettre fin rapidement au gaz et au pétrole au Québec. Hydro-Québec possède l’expertise nécessaire pour réduire la consommation d’énergie, pour remplacer les technologies fossiles par des technologies électriques beaucoup plus écoresponsables, particulièrement auprès des grands industriels gros émetteurs de GES. Elle possède également une expertise solide du côté de l’électrification des transports : moteurs, batteries, bornes et stations de recharge. Avant même de penser à construire de nouveaux barrages, c’est elle qui peut le mieux documenter un scénario plus sobre de l’utilisation de l’électricité déjà produite et les améliorations aux infrastructures déjà existantes qui permettraient de réaliser la transition énergétique à même le réseau actuel.
La décision de la nomination de la prochaine direction d’Hydro-Québec est plus stratégique que jamais. Le premier ministre est à la croisée des chemins et sa décision sera très révélatrice. Donner un mandat fort et indépendant à Hydro-Québec pour prendre réellement le virage climatique dès maintenant avec la nomination de la prochaine direction serait travailler pour la Terre et les générations futures. Choisir de nommer un pantin à Fitzgibbon qui accepterait de siphonner encore plus notre joyau collectif serait signer l’abdication du Québec face à la crise climatique.
Martine Ouellet, Cheffe de Climat Québec, Ex-ministre des Ressources naturelles, Ex-gestionnaire chez Hydro Québec
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