Nous avons d’abord eu honte, puis nous avons été choqués, et nous avons même enquêté. Puis nous avons nié et menti. Ensuite, nous l’avons ignoré et refoulé, nous avons baillé et nous nous sommes désintéressés. La phase actuelle est la pire de toutes : Nous avons commencé à faire l’éloge des tueurs d’enfants. C’est dire jusqu’où nous sommes descendus.
Le premier enfant dont je me souviens n’avait même pas un jour. Sa mère, Faiza Abu Dahuk, l’a mis au monde à un poste de contrôle. Les soldats l’ont repoussée de là et de deux autres postes de contrôle, jusqu’à ce qu’elle doive le porter, tout au long d’une nuit froide et pluvieuse. Lorsqu’elle est arrivée à l’hôpital, il était déjà mort.
L’affaire a été évoquée lors d’une réunion du gouvernement. Un officier a été démis de ses fonctions et une mini-tempête s’en est suivie. C’était en avril 1996, pendant l’année de l’espoir et des illusions. Quatre ans plus tard, lorsque la seconde Intifada a éclaté, des soldats ont tué Mohammed al-Dura devant les caméras et Israël était déjà passé à la phase des démentis et des mensonges : Dura n’est pas mort. Les soldats israéliens ne l’ont pas tué ; peut-être s’est-il tiré une balle, peut-être est-il encore en vie aujourd’hui.
Des vestiges de honte et de culpabilité subsistaient tant bien que mal. Après cela, il y a eu 20 ans d’indifférence et de complaisance. Des soldats et des pilotes ont tué 2 171 enfants et adolescents, et aucun de ces cas n’a choqué qui que ce soit ici, ni déclenché une véritable enquête ou conduit à un procès. Plus de 2 000 enfants en 20 ans – 100 enfants, trois classes par an. Et tous, jusqu’au dernier, ont été reconnus coupables de leur propre mort.
N’importe quel Israélien serait heureux d’expliquer qu’ils étaient des terroristes et que les soldats ou la police n’avaient d’autre choix que de les exécuter. Dans l’alternative entre la vie des enfants et la vie sacrée des soldats, nous préférons bien sûr les soldats, bien qu’il y ait presque toujours une troisième possibilité : que personne ne soit tué.
La semaine dernière, la phase suivante a été déclarée. Israël fait l’éloge des tueurs d’enfants ; ils sont les nouveaux héros. Cela n’était jamais arrivé auparavant. C’était des Palestiniens, des terroristes, mais c’était quand même des enfants. Désormais, prenez la vie d’un enfant palestinien et soyez un héros à la une du journal ou en tête du journal télévisé, avec votre photo intrépide, pixellisée. « Le héros de la vieille ville » – un agent de la police des frontières « a éliminé un terroriste et empêché une catastrophe majeure » (Yedioth Ahronoth, jeudi). Aucune mention dans le titre de l’âge du dangereux terroriste, bien sûr, mais peu importe.
« Souviens-toi bien de moi », a écrit Omar Abu Sab, 16 ans, avant de sortir avec un couteau pour poignarder un agent de la police des frontières. Un clip vidéo publié par la police le montre s’approchant de deux officiers par derrière et les attaquant. Il était plus petit et plus mince qu’eux, ils auraient pu l’arrêter, ils n’avaient pas besoin de lui tirer dessus, et ils n’avaient certainement pas besoin de le tuer, comme ils ont inutilement tué des enfants avec des couteaux avant lui et après lui. Mais tirer sur un adolescent de 16 ans armé d’un couteau et en faire une grande histoire, c’est franchir une ligne rouge morale. Cela encouragera le meurtre inutile d’autres enfants, si tant est qu’un tel encouragement soit nécessaire. Le doigt léger sur la gâchette deviendra encore plus léger. Si avant cela, on craignait une enquête bidon, maintenant une médaille de bravoure est déjà en préparation.
Comment les mots tuent. Lorsque les tueurs d’enfants et d’adolescents, même s’ils sont armés d’un couteau, sont encensés par les médias et les commandants, cela encourage le prochain meurtre. Il n’y a aucun enfant armé d’un couteau que la police des frontières bien armée ne peut arrêter sans le tuer. Mais la police est trop lâche. C’est ainsi qu’ils ont tué Eyad al-Hallaq, un adolescent autiste. De vrais héros l’auraient arrêté, pas abattu. Mais pourquoi s’embêter si vous pouvez tuer et devenir un héros ? La plupart des enfants que l’armée et la police des frontières tuent n’auraient pas dû être tués. Maintenant ça vaut la peine de les tuer, les médias vous couronneront « le héros de la vieille ville ». Ce sont vos héros, ô Israël, des tueurs d’enfants et d’adolescents.
Gideon Levy
Traduction « la barbarie a plusieurs visages, dont celui d’Israël » par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir