Le renversement radical de la position présidentielle en Russie face à la gestion du Covid ne passe pas inaperçue, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. Ce coming out globaliste oblige le pouvoir en Russie, légitimé d’une manière centralisée par le Président, qui s’appuie sur une base patriotique/étatiste nationale, à dédramatiser, ce qui risquerait d’être pris au minimum comme un désaveu, pouvant conduire à un chancellement de tout le système de gouvernance. Dans ce contexte, un très étrange texte a été publié par un analyste américain, parfaitement implanté en Russie, ayant même travaillé pour Radio Sputnik, expert au Club de Valdaï, expliquant sans ciller que Poutine a toujours été un globaliste, mais que ce n’est pas grave car il aime son pays, donc la vaccination obligatoire est très bien, les lock down doivent permettre de lancer l’économie numérique et Schawb est son ami intime, dont il partage la vision. Mais ce n’est pas grave, car c’est Poutine et Poutine aime la Russie, donc ce n’est pas grave. Comment interpréter cette surprenante publication ?
Andrew Korybko est un analyste américain basé à Moscou, collaborant avec Radio Sputnik, publiant en anglais dans des médias internationaux, expert au Club de Valdaï, assistant à MGIMO. Il est parfaitement intégré dans les milieux systémiques russes et fait manifestement partie de ce groupe de personnes mises à contribution pour sortir des publications assez favorables et porter la bonne parole.
D’ailleurs, le texte qui a retenu notre attention a d’abord été publié en anglais (lire ici), avant d’être traduit en français par le Saker francophone et repris par Réseau international (voir ici). L’importance et la signification d’un texte s’éclairent en fonction de son contexte : qui l’écrit, dans quelle langue, etc. Le contenu aurait pu laisser penser à une publication marginale de l’un de ces « plus russes que russes », qui assez primitivement se réfugient dans une vision fantasmée et malsaine de la Russie, d’une Russie réduite à son folklore et à Poutine, une Russie qui manifestement pour eux ne pourra jamais exister en dehors et après lui. Mais le statut de l’auteur est trop important pour cela. Autre élément intéressant, l’article a été publié initialement en anglais, le public visé était donc l’étranger, publié sur le site d’un Think Tank opaque, ne précisant ni ses partenaires, ni ses financements.
Et ces indications sont d’autant plus importantes, lorsque l’on s’intéresse au contenu de cette publication, dont voici les grandes lignes.
C’est une fausse interprétation des médias non conventionnels de faire passer Poutine pour opposé à tout ce qui vient des Etats-Unis et cet article a justement pour but:
« d’expliquer pourquoi le dirigeant russe a adopté le récit conventionnel sur la Covid-19, en dépit de l’émergence d’éléments qui font peser des doutes quant aux affirmations avancées sur le taux de mortalité induit par le virus, ainsi que les stratégies de confinement qui y sont associées.«
Malgré les informations dont disposent les scientifiques russes remettant en cause la ligne officielle, Poutine a décidé de s’aligner sur le discours conventionnel globaliste et sur l’OMS :
« Contrairement au faux récit qui domine au sein de la communauté des médias alternatifs, il ne s’oppose pas au « globalisme » en soi, mais uniquement à la variante unilatérale promue par les États-Unis.«
Ainsi, Poutine est globaliste et l’a toujours été par … pragmatisme, nous dit-on. Et justement par pragmatisme, il ne s’aligne par sur tout. Vous noterez, pas par conviction, mais par pragmatisme. Or, beaucoup de critiques émergent au sujet de la vaccination de facto obligatoire, car coercitive. Mais le problème est résolu, car selon l’auteur, le vaccin est sûr et Poutine l’a déclaré, donc la coercition ne pose pas de problème. En effet, cerise sur le gâteau de la légitimation tautologique :
« La politique de vaccination du pays, qu’elle soit « volontaire », « coercitive » ou « obligatoire », ne serait pas mise en œuvre si Poutine pensait sérieusement qu’elle pourrait mettre en danger la vie des gens. On peut donc supposer que le président Poutine estime que ces vaccins vont réellement sauver des vies.«
L’autre point de contestation est celui des confinements. Ici aussi tout va bien … car Poutine y est favorable. Les confinements ont des effets sanitaires très limités, mais un impact économique et social très fort. La Russie a mis en place des filets de sécurité sur le plan social, mais la question économique reste ouverte et d’autant plus d’actualité, rappelons-le, que l’imposition des QR Codes dans tout le pays peut la faire littéralement s’effondrer. Mais tout va bien, car Poutine est favorable au Grand reset, à cette fantasmagorique nouvelle révolution, non pas industrielle comme présentée, mais en fait anti-industrielle, non pas parce qu’il est méchant et qu’il voudrait que l’économie s’effondre, mais parce qu’il est gentil et qu’il y croit. Décidément, tout est question de croyance dans ce texte, pas de raisonnement, mais de croyance :
« À cet égard, le président Poutine semble tout à fait favorable à une telle vision, comme l’indique la révélation qu’il a faite, au début du mois de janvier, au cours de sa participation virtuelle au Forum économique mondial, auquel il a pris part de manière régulière depuis 1992, et qui lui a permis de se nouer d’amitié avec Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial, et auteur d’un livre exposant ces concepts. En outre, le gouvernement russe a signé un mémorandum avec le Forum économique mondial le mois dernier pour instituer un « Centre pour la Quatrième Révolution industrielle » sur le territoire russe. Le champion étatique Sber, qui s’appelait Sberbank avant d’être renommé, devrait prendre la direction de la mise en œuvre de cette profonde transition socio-économique au sein du pays.«
Et le Covid permet de forcer l’implantation de ce nouveau monde technologique anti-humain, qui traîne sérieusement à s’implanter et à convaincre. Le Covid permet aussi d’oublier de convaincre et d’imposer, mais c’est très bien car Poutine estime que c’est la voie de développement de la Russie, qui en plus y gardera sa souveraineté (comment, ce n’est malheureusement pas expliqué). La critique d’un renforcement du pouvoir oligarchique est certes totalement fausse, selon l’auteur, car si les oligarques sont bien renforcés, comme ils sont fidèles au pouvoir, cela ne pose aucun problème pour le pays et d’ailleurs cela va devenir la règle générale – une fois les économies nationales détruites (ce qui n’est pas dit) :
« L’une des critiques les plus couramment émises à l’encontre du GR/4RI, est que celui-ci va institutionnaliser et étendre ce que l’on a décrit comme des pratiques oligarchiques, surtout celles qui sont associées aux grosses sociétés technologiques. De nombreux membres de la communauté des médias alternatifs ont supposé à tort que la Russie avait éliminé ces influences sur son économie durant les premières années d’exercice du président Poutine. Mais en réalité, il a appliqué la loi contre les oligarques criminels (…). Les autres oligarques, respectant les lois, ont pu conserver leur fortune, et nombre d’entre eux l’ont développée par la suite (…). »
Et non seulement le pouvoir oligarchique va s’installer de manière mondiale grâce au Covid et à sa gestion, mais en plus ce sera évidemment un atout pour la Russie. What else? Poutine pourra même les soutenir à condition qu’ils participent activement à la virtualisation du pays. Et afin de garder le soutien populaire, cette opération s’accompagnerait d’un système renforcé d’aide sociale. La question du coût et de sa prise en charge n’est ici, bien sûr, pas résolue, puisque quand c’est l’Etat qui paie, c’est gratuit. Et la théorie managériale doit permettre la transition, pour que la population l’accepte, évacuant un instant les « valeurs » occidentales … qui auront ensuite leur place ? Nous ne sommes pas dans la défense de valeurs propres à la Russie, mais dans l’établissement d’un discours reprenant les valeurs chères aux Russes, le temps de la transition du pays :
« Sur le front managérial, le dirigeant russe a introduit le concept de « conservatisme sain/modéré/raisonnable » au cours de son discours du mois dernier, dans le cadre de ce groupe de réflexion populaire. Il ne s’agit pas d’une nouvelle idéologie, comme certains l’ont affirmé (et comme d’autres en ont fait le vœu pieux), mais simplement d’une manière de gérer le GR/4RI au cours de sa phase de transition, en cours, qui est caractérisée par un niveau d’incertitude accru dans le monde. Il existe des aspects spécifiques en lien avec des politiques socio-culturelles, comme la réprimande du président Poutine envers le « wokisme » occidental, mais il s’agit là moins d’une approche idéologique que managériale, qui reste alignée avec des politiques prudentes et bien pensées. Ce style managérial conservatif va assurer que l’« étatisme populiste » est mis en œuvre de manière efficace durant le GR/4RI.«
Et justement les confinements permettent d’accélérer la transition numérique, ce qui est soutenu par Poutine:
« Répétons-le, nonobstant les visions personnelles envers les changements profonds en lien avec ces concepts, la conclusion objective est que le président Poutine soutient ces transitions (peut-être en a-t-il été convaincu par une combinaison entre ses propres évaluations indépendantes des tendances mondiales, ainsi que par l’influence de son ami intime Klaus Schwab).«
En lisant cet article, l’on a tout d’abord envie de rire (ou de pleurer), en se disant qu’il s’agit d’élucubrations d’un de ces faux patriotes, qui ne sont là que pour légitimer à tour de bras ce qui est fait par Poutine, même si les conséquences pour le pays peuvent être négatives. Poutine pour eux n’est depuis longtemps plus un homme parmi d’autres, qui a fait beaucoup plus que bien d’autres pour le pays, mais déjà un dieu. Or, les décisions des dieux ne se discutent pas, si elles semblent mauvaises, c’est simplement qu’elles ne sont pas bien comprises par les pauvres humains que nous sommes.
Mais ce qui est écrit correspond dans le fond à ce qui se passe dans le pays : in fine Poutine soutient la vaccination obligatoire, les programmes étatiques de numérisation du pays s’accélèrent et le Président insiste en ce sens, les confinements sont pudiquement présentés comme des « vacances » et les QR Codes sont en vigueur même avant que la loi n’ait été adoptées. Quant à l’OMS, Poutine l’a déclaré, il ne faut pas remettre en cause ses compétences.
Alors pourquoi dire ce qui se sait, mais ne devrait pas être aussi clairement prononcé ? Il y a ici deux possibilités : soit, c’est un message envoyé par les équipes de communication du Kremlin à l’étranger, pour faire comprendre que la transition n’est pas facile, mais l’on y travaille (l’auteur est systémique, le texte n’est pas traduit en russe); soit c’est une fuite ciblée devant viser l’image déjà affaiblie du Président, espérant en touchant le pilier et en lui faisant perdre son soutien populaire, faire vaciller le pays.
source:https://russiepolitics.blogspot.com/
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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