Ça y est, le rideau est tombé. La COP26 vient d’accoucher d’une prise de position générale qui laisse le monde en appétit. Les espoirs de millions de personnes sont déçus, car il a semblé impossible pour les pays de s’entendre sur des principes de changements structurels profonds.
La revue Manière de voir a vu juste, d’une manière prémonitoire, dans un article paru juste avant ce dernier sommet. « Le Fonds vert pour le climat, qui devait mobiliser 100 milliards de dollars par an en 2020, n’atteint aujourd’hui que le dixième de ce montant (6). Certes, les parties reconnaissent « le rôle notable que jouent les fonds publics » et l’« importance de démarches non fondées sur le marché ». Mais elles ignorent tout mécanisme pérenne de financement public, que pourrait apporter la taxation des transports maritimes et aériens ou celle des transactions financières, encore une fois renvoyée à plus tard.
Le chaos climatique ne pourra être évité qu’en laissant l’essentiel des réserves d’énergie fossile dans le sol. La voie consistant à « réduire, réutiliser, recycler » invite à repenser le plus vite possible la consommation des populations les plus riches en fondant la qualité de vie sur d’autres critères que l’accumulation. Le défi collectif consiste à rendre cet effort acceptable par tous en rompant avec l’accroissement des inégalités économiques et sociales, qui sapent toute coopération. »
Les pays pratiquent la procrastination et ergotent constamment quand il s’agit des négociations quant aux mesures d’urgence à prendre pour non seulement combattre le réchauffement climatique, mais pour sauvegarder la détérioration de la planète Terre à la vitesse grand V. Greta Thunberg a eu raison de dénoncer le bla-bla-bla des dirigeant.e.s lors de son intervention à la réunion de la COP26 à Glasgow.
Pour dépasser le dérèglement climatique, il faut agir maintenant et prendre des mesures drastiques. Dans le Monde Diplomatique du mois de novembre 2021, Frédéric Durand le souligne avec force : « Bien que non négligeables en termes d’impacts sur chaque économie nationale, les engagements actuels de l’ensemble des pays sont loin de suffire, car ils mèneraient à une trajectoire supérieure à + 3 °C à l’horizon 2100. D’où la nécessité, durant la COP26, de réviser à la baisse ces « contributions déterminées au niveau national. » Malgré les impératifs de la situation inquiétante de l’environnement, dangers fort bien documentés, les pays riches ne se pressent pas pour adopter des mesures contraignantes du comportement des individus; l’exemple de l’augmentation exponentielle de gros véhicules énergivores sur les routes depuis plus d’une décennie sans aucune restriction illustre bien l’incapacité des gouvernements des pays riches à adopter des programmes d’action peu populaires comme la taxation à l’achat de ces monstres polluants.
À ce chapitre, les fabricants de véhicules de divers types et les compagnies pétrolières et les fabricants de ces engins destructeurs jouissent toujours d’un énorme pouvoir d’influence sur les décisions des gouvernements. D’ailleurs, ils se sont activés en grand nombre dans les coulisses de la COP26. En outre, adopter des mesures contraignantes qui forceraient les individus à réduire l’achat de ce type de véhicules fait peur aux gouvernements, car elles seraient sûrement impopulaires en brimant des habitudes de consommation.
Il est évident que les recherche de solutions aux enjeux liés à l’exploitation et à l’utilisation des énergies fossiles restent encore sous les normes fixées par les instances scientifiques comme le GIEC. F. Durand ajoute que « les discussions font en outre ressortir un clivage nord-sud, les pays du Nord s’efforçant de demander un maximum d’efforts à ceux du Sud, en s’appuyant sur des arguments biaisés et contestables. En faisant également croire qu’ils seraient moins aptes à lutter contre les effets du réchauffement. En réalité, les pays du Nord seront également très vulnérables, en particulier à cause de la sophistication de leurs économies. Déjà, sécheresses, incendies et inondations des dernières années préfigurent le chaos qui résulterait d’un laisser-faire. » À cela, on peut mettre en exergue les intérêts des pays riches dans les pays pauvres, particulièrement dans l’exploitation des ressources naturelles (mine, pêche, agriculture) tant sur le plan de la production de base que dans la transformation, la commercialisation et la promotion de la surconsommation. Quand des intérêts divergents prennent le dessus sur les véritables enjeux climatiques, les négociations se corsent et peuvent devenir générateurs de conflits.
L’atmosphère versus la terre?
Malgré les signes inquiétants quant à l’avenir de la planète, tous les pourparlers semblent orientés vers des mesures peu contraignantes pour contrer l’émission de gaz à effets de serre dans l’atmosphère. Certes, il s’agit là d’une dimension vitale et impérieuse pour l’avenir, mais on repousse constamment les échéances depuis des décennies et pour celles à venir. Les résultats restent anémiques, voire catastrophiques et inquiétants. Désormais, les choix politiques actuels doivent irrémédiablement regarder vers un horizon proche, pas celui repoussé à 2050 ou même plus loin dans le temps. Les perspectives structurantes ne sont toujours pas en place.
Les pays les plus riches restent obsédés par les perspectives de croissance déterminées par les impératifs du marché et des bourses; en ce moment, le capitalisme impose sa loi dans la récupération du discours et des politiques de changements à son image. Le système qui a créé et continue de créer autant de dégâts sur la planète ne peut pas vraiment changer les règles du jeu. Pour se maintenir, il cherche à contrôler les manières de poursuivre sa course en avant pour le profit en pratiquant l’extraction outrancière des ressources naturelles et leur transformation en biens de consommation pour générer des produits pollueurs, mais rentables pour les détenteurs de capitaux. Cette partition correspond à un refrain bien connu dans les officines des pouvoirs économiques et politiques…
L’émission de polluants dans l’atmosphère représente un enjeu majeur, mais cette centration idéologique, stratégique et politique maquille trop souvent les autres dimensions cruciales qui ne font pas nécessairement l’objet de négociations. Pablo Maillé estime que « ce n’est pas le réchauffement qui est responsable de la disparition de la vie sur terre; ce sont les pesticides, la surpêche et la disparition des espaces de vie. »
La protection, la sauvegarde et la régénération du sol, là où nous déposons nos pieds à chaque souffle de notre vie, restent trop souvent dans l’oubli en raison de la logique de croissance continue et de la recherche de profits; massivement, le monde industriel et tous les grands acteurs économiques ne se montrent pas encore engagés à fond dans les modes de production et de consommation.
Le système néolibéral sert très bien les intérêts des élites politiques et économiques en place et ils ne souhaitent pas de changements radicaux par crainte de perdre leurs privilèges. D’ailleurs, on peut remarquer facilement qu’au sommet de la COP26 de Glasgow, encore une fois, on a surtout entendu les voix des pays riches et dominants de la planète.
Pendant que l’on discute de chiffres, les règles du jeu de l’exploitation de la terre restent intactes tant sur le plan de l’extraction des ressources naturelles qu’en agriculture et dans les dynamiques de transformation. Une question cruciale reste en plan : pourquoi les effets de la dégradation globale de l’environnement – pollution généralisée par le plastique, pollution atmosphérique, dégradation des sols, épuisement des nappes phréatiques, effondrement de la biodiversité, etc. – ne provoquent-ils pas des changements de politiques et de stratégies d’action cohérentes et rapides?
La réponse ne va pas de soi. Tout d’abord, les gouvernements, les grandes entreprises d’exploitation des ressources de toutes sortes et les médias contribuent à une dépolitisation de la crise de la biodiversité en les réduisant à des problèmes techniques; on répète que des solutions techniques sont possibles. Les philosophes Léna Balaud et Antoine Chopot réfèrent à « un projet climatocentriste de type technosolutionniste » .Les interventions sont ponctuelles, limitées, sans perspectives de changements structurels.
Ainsi, si un promoteur immobilier obtient un permis de construction en touchant une excellente terre agricole et des réserves fauniques, les mairies vont souvent proposer des solutions techniques pour maquiller les problèmes fondamentaux. L’attrait des taxes et des avantages secondaires prime sur tout. Là aussi, la question de la rentabilité et du profit reste le critère ultime lorsqu’il faut adopter des mesures de protection de la biodiversité.
Quand élu.e.s et industriels ne regardent une forêt qu’en n’y voyant que des 2 X 4 à vendre ou que des agriculteurs de considèrent un sol seulement comme une source inépuisable de production de maïs pour nourrir des bœufs ou produire de l’éthanol, les considérations financières priment sur tout, y compris la destruction de l’environnement. Heureusement, on voit de plus en plus d’organisations citoyennes veiller au grain, mais il reste beaucoup à faire avant d’en arriver à un degré de conscience critique collective en mesure d’infléchir les tendances lourdes rapidement et surtout obtenir des mesures concrètes, pas seulement du bla-bla-bla sur des généralités.
Risques de conflits.
En concentrant tous les débats sur l’exploitation des énergies fossiles, bien que ce soit un point d’ancrage essentiel dans une démarche vers une planète verte, on oublie trop souvent d’autres enjeux environnementaux tout aussi déterminants. Pensons à l’exploitation industrielle des sols pollués par des quantités phénoménales de pesticides et d’herbicides, à l’extraction effrénée des minerais, aux pêches excessives, à la centration sur l’utilisation des véhicules personnels, à la faiblesse de promotion et d’organisation des transports publics, etc.
Les conséquences de toutes les formes de surexploitation et de pollution sont bien connues : fonte des glaciers, pollution des mers et des sols, hausse du niveau des océans, migrations forcées de millions de gens, déforestation et désertification des terres, rareté de ressources fondamentales comme l’eau, etc. Cet état de fait crée une pression telle que des pays riches et de grandes sociétés transnationales s’accaparent de plus en plus de ressources dans divers pays; par exemple, des entreprises achètent des terres arables dans divers pays à la fois pour faire de la spéculation financière, mais aussi pour s’assurer de contrôler certains territoires.
À court, moyen et long terme, cette situation risque de provoquer des conflits de juridiction sur des territoires et sur des ressources. On le constate déjà très bien dans les débats sur le contrôle de l’Arctique, par exemple. Serons-nous témoins de guerres larvées ou bien ouvertes pour contrôler toutes les facettes d’un développement qui se veut immuable parce que voué à la progression constante de profits faramineux pour satisfaire l’appétit insatiables de profits d’une minorité puissante et agissante dans le capital spéculatif et l’économie de production?
Regard sur l’avenir.
Dans un article publié dans le journal Le Devoir du 3 novembre 2021, Louise Otis attache le grelot de l’urgence d’agir. Elle stipule que « l’urgence climatique et l’irrémédiable tragédie qui guette la Terre dépassent les frontières étatiques et nous obligent à redéfinir les moyens de coordination et de conciliation entre les États souverains. Plus que jamais la négociation et la médiation s’imposent dans la conception de nos modèles d’intervention. »
C’est vrai que les négociations sont importantes, mais elles n’iront nulle part si le paradigme fondamental sous-jacent à toutes les formes de développement reste toujours le même : la lutte sans merci pour la croissance capitaliste, donc pour le profit et l’augmentation de la consommation de biens polluants comme le plastique.
Une paix durable entre les pays sera possible dans la mesure où deux conditions déterminantes seront mises de l’avant et respectées : en premier lieu, l’acceptation des perspectives d’un développement durable sans compétition pour le contrôle des territoires et des ressources; deuxièmement, la recherche du bien-être des peuples comme base de l’orientation des solutions pour une planète en santé.
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