Jean Baillargeon, Judith Berlyn, Martine Eloy, Raymond Legault et Suzanne Loiselle
Les auteurs sont porte-parole du Collectif Échec à la guerre.
Après des années de pressions pour que le Canada remplisse « ses obligations envers l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) » — à savoir augmenter ses dépenses militaires jusqu’au minimum de 2 % du PIB — et après l’élection récente de Donald Trump à la présidence des États-Unis (É.-U.), la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, a déclaré, le 8 novembre dernier, que le Canada triplerait son budget de défense ! Alors que l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) se réunira à Montréal la fin de semaine prochaine, devrions-nous considérer que cette augmentation faramineuse contribuera à une réelle sécurité ?
Les pressions récurrentes pour les 2 %
Selon le Directeur parlementaire du budget (DPB), « les dépenses de défense nominales du Canada ont augmenté de 67 % entre 2014 et 2021 » et sont passées de 1,0 % à 1,4 % du PIB. Présentement, l’OTAN estime que 23 pays membres sur 32 auront atteint le seuil des 2 % d’ici la fin de l’année, alors que le Canada en demeure très loin (1,35 % pour 2024-2025).
Depuis quelques années, le Canada est soumis à des pressions accrues face à son « retard » de la part de représentants des É.-U., d’autres pays membres de l’OTAN, du lobby des industries de la défense et de la sécurité au Canada, etc. Récemment, le gouvernement étasunien se serait même demandé s’il fallait « faire honte au Canada publiquement ou rester dans la sphère privée ». Et, au lendemain du Sommet de l’OTAN à Washington, en juillet 2024, le Conseil canadien des affaires, porte-voix des plus grandes entreprises du Canada, disait continuer « d’insister pour que le gouvernement respecte sa promesse de dépenser 2 % d’ici 2029-2030 et veille à ce que toute nouvelle dépense de défense soit compensée par la réaffectation de fonds provenant d’autres secteurs du gouvernement ».
Le 30 octobre, le Directeur parlementaire du budget (DPB) évaluait que, pour parvenir à l’objectif de 2 %, « les dépenses de défense devraient atteindre 81,9 milliards de dollars d’ici 2032-2033, soit près du double du montant prévu pour 2024-2025 (41 milliards de dollars) ».
Serons-nous plus en sécurité ?
L’évolution du monde est de plus en plus inquiétante, et l’OTAN est déjà très loin au sommet du palmarès mondial des dépenses militaires. En 2023, les dépenses militaires des membres de l’OTAN (32 pays) représentaient plus de la moitié (55 %) du total mondial de 2443 milliards de dollars américains. À elles seules, les dépenses militaires des États-Unis ont constitué 37,5 % de ce total, soit plus que la somme des dépenses des neuf autres pays en tête de liste, incluant la Chine (12 %) et la Russie (4,5 %). Ce n’est pas le fait de dépenser encore plus qui accroîtra notre sécurité ou celle du reste de la planète. Car ce sont les politiques mêmes de l’OTAN qui posent problème à cet égard et qu’il faut dénoncer.
L’OTAN n’est pas une alliance défensive. Depuis la fin de la guerre froide, les membres de l’OTAN, bras armé de l’hégémonie étasunienne, se sont lancés dans une série de guerres visant à écraser certains des pays récalcitrants à son nouvel ordre mondial (Irak, Serbie, Afghanistan, Irak à nouveau, Libye et Syrie). Notamment, la guerre soi-disant « contre le terrorisme », menée depuis 2001, a causé plus de 4,5 millions de morts directes et indirectes, selon le Watson Institute for International and Public Affairs, et a créé au moins 38 millions de réfugiés. Est-ce bien ça, défendre la démocratie et « nos valeurs » ?
Depuis 2018, sous Trump, les États-Unis ont adopté la « compétition stratégique » avec la Chine et la Russie comme axe central de leur stratégie de défense nationale, axe central qui a graduellement percolé dans les stratégies de défense de la plupart de ses alliés, pour être adopté par l’OTAN (juin 2022) et par le Canada, finalement, en 2024. Cette « compétition stratégique » est un des facteurs majeurs qui ont conduit à la véritable guerre par procuration que l’OTAN livre à la Russie en Ukraine et dont l’escalade des moyens et des risques se poursuit encore : incursion ukrainienne dans la région russe de Koursk, utilisation de troupes nord-coréennes par la Russie dans cette région, autorisation « limitée » des missiles étasuniens à longue portée en territoire russe…
Cette « compétition stratégique » a aussi conduit à l’extension du champ d’action de l’OTAN en Indo-Pacifique, par l’entremise de partenariats resserrés avec le Japon, l’Australie, la Corée du Sud et les Philippines. Et elle a entraîné une nouvelle course aux armements tous azimuts, y compris nucléaire.
Sa logique mène à transformer les économies occidentales en économies de guerre en envisageant la possibilité d’affrontements directs avec la Russie et la Chine, aussi inouï que cela puisse paraître. Au sommet de Washington de juillet dernier, les dirigeants des pays de l’OTAN ont concrétisé davantage cette perspective en s’engageant notamment à élaborer des plans nationaux de renforcement de la capacité industrielle.
Où allons-nous ?
Cette fois-ci, le Canada s’exécutera fort probablement par rapport à l’accroissement de ses dépenses militaires. Car pour le grand capital canadien, l’élection de Donald Trump représente une onde de choc aussi dangereuse que le « Vous êtes avec nous ou vous êtes avec les terroristes » de George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001. Ce qui est en cause, ce n’est pas la crédibilité du Canada, comme on nous le répète constamment. C’est plutôt l’instrument de coercition redoutable que représente le risque de perdre l’accès au marché des É.-U., qui compte pour plus de 75 % des exportations canadiennes, sans compter les partenariats lucratifs de la nouvelle course aux armements.
Outre l’augmentation du nombre et des horreurs des guerres ailleurs dans le monde qui découle de l’orientation actuelle de l’OTAN, et le risque d’une conflagration nucléaire, qui pourrait être fatale à l’humanité dans un avenir peut-être pas si lointain, quelles autres conséquences plus immédiates subirons-nous ici à cause de cette vision de la sécurité surtout arrimée aux intérêts de nos élites économiques et politiques ? L’expulsion massive d’immigrants ? Un sabrage massif de la fonction publique et des coupes radicales dans les services à la population ? Un recul historique des droits des femmes ? Et que dire du combat contre l’urgence climatique ?
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