Farceurs sans frontières — Pierre RIMBERT

Farceurs sans frontières — Pierre RIMBERT

Dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse 2023 publié par Reporters sans frontières, l’Ukraine effectue un bond prodigieux de 27 places…

Enfin une bonne nouvelle ! Dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse 2023, publié le 3 mai dernier par Reporters sans frontières (RSF), l’Ukraine effectue un bond prodigieux de 27 places, passant de la 106e à la 79e position sur 180 pays étudiés. « Malgré la désorganisation des rédactions et les difficultés liées à la couverture d’un pays en guerre, ainsi que des restrictions de reportage, en général proportionnées à la situation, les journalistes bénéficient d’une plus grande liberté, explique l’association. La guerre et l’esprit d’union nationale ont réduit l’emprise des oligarques sur les médias et les pressions dues aux clivages. »

Ce conte de fées a étonné l’organisation américaine Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR). L’observatoire critique des médias rappelle (1) que, le 29 décembre dernier, le président Volodymyr Zelensky a signé une nouvelle loi qui, sous toute autre latitude, aurait épouvanté RSF et fait dévisser le pays au classement. Le texte octroie en effet au Conseil national de télévision et de radiodiffusion – l’organe de régulation des médias ukrainien – le pouvoir de sanctionner d’amende, de fermer, de révoquer les licences sans jugement ou de bloquer n’importe quel titre, antenne, média social ou plate-forme. Or les autorités contrôlent étroitement ce conseil puisque M. Zelensky en nomme quatre des huit membres et le Parlement quatre autres.

Les deux principaux syndicats de journalistes ukrainiens combattent cette mesure. « Par l’intermédiaire des médias qu’ils contrôlent, les responsables gouvernementaux ont lancé une campagne visant à discréditer ceux qui critiquent de manière constructive certains aspects de la loi », explique Serhiy Chtourkhetskyy, président du Syndicat des médias indépendants d’Ukraine. Cela nous fait craindre ce qui nous attend après la mise en œuvre complète du texte : les membres du gouvernement assimileront ceux qui ne partagent pas leur vision à des ennemis du pays ou à des agents étrangers… » De son côté, la présidente de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) estime que « la liberté de la presse et le pluralisme sont menacés en Ukraine par la nouvelle loi sur les médias » (communiqué, 17 janvier 2023). RSF, elle, a « salué » le texte au motif que certaines dispositions harmonisent la législation audiovisuelle nationale avec les normes européennes — une raison suffisante pour surclasser le pays sur l’échelle de la liberté. Discrète sur le versant liberticide de la réforme, l’organisation présidée par Pierre Haski, chroniqueur de France Inter, estime que le gouvernement pourra « compléter » le dispositif une fois la guerre achevée (communiqué, 11 janvier 2023).

En attendant, les douze mille journalistes accrédités par Kiev depuis le début du conflit relaient fidèlement les communiqués du régime qui « se bat pour nos valeurs ». Témoin, ce dialogue irréel, en duplex, le 18 mai, entre la présentatrice de Cable News Network (CNN) Brianna Keilar et l’envoyé spécial Sam Kiley :

— L’Ukraine a annoncé avoir intercepté vingt-neuf des trente missiles tirés dans un bombardement nocturne sur l’ensemble du pays. (…) Sam, la Russie a affirmé avoir frappé un dépôt d’armes ukrainien, est-ce bien vrai ?

— C’est possible ; mais si tel était le cas, nous ne serions pas autorisés à le dire.

Gageons que l’année prochaine l’Ukraine talonnera les États-Unis, 45es dans le classement de RSF…

(1) Bryce Greene, « Ukraine’s “press freedom” score increases despite martial law, banned media », FAIR, 9 mai 2023.

»» https://www.monde-diplomatique.fr/2023/06/RIMBERT/65824

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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