Afrique du Sud, Turquie, même “couleur”

Afrique du Sud, Turquie, même “couleur”

Afrique du Sud, Turquie, même “couleur”

• Nous mettons ensemble deux événements qui sembleraient différents : les ennuis de l’Afrique du Sud et les élections présidentielles de Turquie. • Mais quelque chose les rapproche : l’hostilité plus ou moins dissimulée des USA à la poursuite de politiques qui ne sont pas assez antirusse et soumises au diktat washingtonien. • Situation aujourd’hui classique, qui n’épargne personne, sinon les esclaves se complaisant dans la soumission. • Pour tous deux (et les autres), le prix à payer en cas de résistance est l’épreuve de la ‘Color Revolution.

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Deux pays sont actuellement la cible de pressions maximales des USA, renforcées de menaces implicites et que nous explicitons pour eux, – des “révolutions de couleur” bien entendu, si les deux pays ne se conforment pas aux consignes. Les situations sont différentes, – l’attitude de l’Afrique du Sud vis à vis de la Russie, au travers de telle et telle manœuvre subversive US, les élections présidentielles demain en Turquie, – mais la forme de la subversion est complètement similaire, faite d’un mélange de pressions, d’ingérences, de brutalité, c’est-à-dire tout l’arsenal subversif de la politiqueSystème.

Il reste tout à fait stupéfiant de suivre les commentaires des différentes presseSystème absolument “libres” et “objectives” des divers pays-annexes aux USA, des pays du bloc-BAO reconverti en “Occident-collectif”, exposer ces situations sans aucune allusion élaborée sur les comportements mensongers, hypocrites, illégaux et agressifs, et ouvertement impérialistes des USA. Le simulacre est encore plus évident que dans le cas de l’Ukraine où il existe sans aucun doute un sentiment d’hébétude collectif pour juger des comportements des deux adversaires.

On va ci-dessous examiner les cas sud-africain et turc respectivement, à l’aune de l’intervention, des pressions et des ingérences des USA. Le reste a peu d’importance par rapport à ces tendances qui se rattachent à un comportement global.

L’Afrique du Sud des BRICS

On a déjà vu le dilemme auquel est confrontée l’Afrique du Sud, appartenant aux BRICS et organisant son sommet annuel, avec la présence des chefs d’État, mais placée devant le cas Poutine et sa scandaleuse inculpation d’un Tribunal International de La Haye complètement contrôlé par le bloc-BAO. Les USA exercent une pression considérable qu’ils ont assortie depuis jeudi d’un nouveau champ d’action, accusant l’Afrique du Sud de livrer clandestinement des armes à la Russie.

Les détails de l’affaire sont largement exposées et contestées par le président sud-africain qui dénonce l’attitude américaniste, évidemment sans surprise. Les propos de l’ambassadeur Bridgety sont d’une indécence et d’une brutalité rare, où l’on voit les USA s’ériger en juge de la définition de la politique (non-alignement) que l’Afrique du Sud affirme suivre :

« Nous sommes convaincus que des armes ont été chargées sur [le navire russe ‘Lady R’], et je parierais ma vie sur l'exactitude de cette affirmation.

» Armer les Russes est un acte extrêmement grave, et nous ne considérons pas cette question comme résolue, et nous aimerions que l'Afrique du Sud [commence vraiment] à pratiquer sa politique de non-alignement. »

Il est manifeste, à la lumière d’une analyse de Andrew Korybko, que les gangsters américanistes jouent sur tous les tableaux de leur montage. S’ils n’arrivent pas à torpiller le sommet d’août à Pretoria des BRICS, – par l’absence exigée de Poutine, – où les cinq pays doivent travailler sur une monnaie alternative au dollar et sur l’élargissement du groupement, ils appuieront à fond sur le montage des livraisons d’armes (vraies ou fausses, qu’importe) et lanceront des préparatifs pour une de leurs sympathiques ‘Color Revolution’.

Toujours excellemment informé et abattant un travail considérable, Korybko a fait un commentaire le 12 mai sur cette affaire.

« Le principal diplomate américain en Afrique du Sud, [l’ambassadeur US Reuben Bridegety II,] ne souhaite [bien entendu] pas que son pays hôte pratique réellement le non-alignement, puisque l'objectif de cette campagne de pression est de le rapprocher du camp occidental dans la nouvelle guerre froide en empêchant tout d'abord le président Poutine d'assister au sommet du mois d'août. Si cette opération d'influence réussit, l'étape suivante consistera à amener l'Afrique du Sud à se conformer aux sanctions économiques antirusses de l'Occident, alors qu'elle s'est déjà conformée au mandat de la CPI.

» Toutefois, si des solutions juridiques sont mises en œuvre avec succès pour garantir la présence du président Poutine au sommet d'août, les États-Unis intensifieront leur campagne de guerre de l'information contre l'Afrique du Sud en s'appuyant sur l'accusation de Brigety pour diffuser des théories conspirationnistes militarisées. Ces théories prendront probablement la forme d'allégations sur l'existence d'un sombre réseau de corruption entre ces deux pays, y compris éventuellement des affirmations selon lesquelles la Russie finance secrètement le parti au pouvoir en Afrique du Sud.

» Il est impossible que les États-Unis pardonnent à l'Afrique du Sud d'accueillir le président Poutine dans le courant de l'année, c'est pourquoi les observateurs s'attendent à ce qu'ils lancent une opération de changement de régime contre les autorités en guise de revanche. Ce pays doit organiser des élections générales l'année prochaine, ce qui laisse plus de temps qu'il n'en faut aux États-Unis pour s'immiscer dans le processus démocratique en combinant la guerre de l'information, l'organisation d'une ‘Color Revolution’ et d'autres provocations de ce type.

» Dans cette perspective, les allégations de l'ambassadeur américain concernant l'armement de la Russie par l'Afrique du Sud peuvent être interprétées comme une étape décisive dans l'exercice d'équilibre de l'État visé entre ces deux rivaux. L’Afrique du Sud est contrainte de se conformer aux exigences des États-Unis ou de les défier ouvertement, le premier choix pouvant être récompensé par l’abandon par les États-Unis de la perspective de procéder à un changement de régime contre le parti au pouvoir avant les élections générales de l'année prochaine, tandis que le second entraînerait la mise en œuvre de cette opération à titre de revanche.

» Les enjeux géostratégiques sont énormes puisque l'Afrique du Sud est membre des BRICS, ce qui signifie que sa décision de faciliter légalement la présence en personne du président Poutine au sommet du mois d'août déterminera si leur organisation est réellement indépendante de l'Occident ou non. Les États-Unis craignent l'objectif commun de leurs membres d'accélérer la multipolarité financière, raison pour laquelle ils mettent tout en œuvre pour entraver les efforts de leur groupe en intensifiant leur campagne de pression contre l'hôte de cette année. »

La Turquie et la révolution en technicolor

Suivons toujours Korybko et passons de l’hémisphère Sud à l’hémisphère Nord tout en restant dans le Sud-Global qui démange tellement Washington D.C. et l’“Occident-collectif”. Demain se tiennent des élections présidentielles nécessairement décisives, – tout, dans notre époque, relève du “décisif” d’une façon ou d’une autre. Erdogan, vieilli et relevant de maladie, moins populaire à cause des conditions économiques et d’un terrible tremblement de terre aux conséquences mal gérées, se trouve en position vulnérable face au “centriste” anti-présidentialiste Kilicdaroglu. Ces derniers jours, Kilicdaroglu a brandi le spectre d’une “intervention russe” des USA (du type classique ‘Russiagate’) dans le processus électoral, ce qui lui a valu une sévère réplique d’Erdogan.

Korybko ne cache évidemment pas l’interventionnisme subversif des USA, principalement dirigé contre Erdogan, d’abord coupable de ne pas s’être laissé destituer lors du coup d’État de 2016. Notre commentateur estime que partie risque bien de déboucher sur un matche nul, signifiant par là que, quel que soit le vainqueur, son élection sera suivie de contestations déstabilisatrices sinon violentes dans la rue. Korybko tient sans aucun doute que Kilicdaroglu est largement soutenu, sinon tenu par les USA, et que son élection signifierait, si elle ne soulevait aucune contestation, un virage non négligeable de la politique extérieure de proximité de la Russie d’Erdogan. (A noter que la thèse de Korybko va un peu à l’encontre de la lecture de ces élections que nous livre Bhadrakumar : « Kémalisme contre Kémalisme dans les élections turques ».)

Voyons la perspective subversive développé par Korybko, terminée par sa préférence, – “quoi qu’il en coûte” – pour Erdogan :  

Kilicdaroglu « prépare le terrain pour éloigner son pays de son partenaire stratégique sous prétexte qu'il s'est immiscé dans les prochaines élections, bien que cela soit en réalité motivé par la demande à somme nulle que les États-Unis ont adressée à la Turquie pour qu'elle prenne leur parti dans la nouvelle guerre froide au lieu de continuer à faire l'équilibre entre eux et la Russie. Si Kilicdaroglu perd, le prétexte est également établi pour orchestrer une révolution colorée naissante sur la base erronée que sa défaite est due à une supposée ingérence russe.

» De même, l'AKP au pouvoir peut utiliser le même prétexte concernant ses accusations contre l'Amérique pour justifier ses propres protestations s'il perd. La différence entre ces deux scénarios est que celui de Kilicdaroglu serait une véritable ‘révolution de couleur’ en raison des liens avec l'étranger qui la sous-tendent, tandis que celui de l'AKP représenterait un exemple de “sécurité démocratique”, ou de tactiques et stratégies de lutte contre la guerre hybride, en action.

» Dans ce contexte, ce concept fait référence aux manifestations nationales organisées par les forces patriotiques et l'État à des fins de “renforcement du régime” face aux menaces étrangères de changement de régime, comme celles qui résulteraient de l'ingérence américaine et qui permettraient à Kilicdaroglu de remporter les élections. [On doit] comprendre la dynamique sociopolitique (“sécurité douce”) en jeu afin d'éviter de devenir par inadvertance les idiots utiles des États-Unis pour un changement de régime en soutenant l'opposition.

» Quels que soient les griefs que l'on peut avoir à l'encontre du président Erdogan, il s'est avéré être un partenaire fiable pour la Russie, en dépit de leurs divergences sur un large éventail de questions sensibles. En revanche, Kilicdaroglu prépare déjà le public à éloigner la Turquie de la Russie à la demande des États-Unis, tout en orchestrant potentiellement une révolution de couleur naissante s'il est battu aux élections. Quoi qu'il arrive dimanche, il est presque garanti qu'il y aura une forme ou une autre d'agitation. »

La stratégieSystème de la politiqueSystème

On voit combien, malgré les différences nombreuses mais toutes autant accessoires des circonstances et des situations, on retrouve des cas absolument similaire. Cela est dù au fait que la stratégie qu’ils doivent subir est absolument la même, – brutalité aveugle, hypocrisie cynique, refus de tout compromis et de tout arrangement diplomatique. La stratégieSystème  (l’expression vient naturellement sous la plume) est une copie fidèle de la politiqueSystème dont elle est issue ; comme la seconde est une non-politique, elle est une non-stratégie.

Le résultat est de précipiter les situations extrêmes et de forcer à se situer en fonction de ce qu’elles sont. A propos de l’Afrique du Sud, nous écrivions ceci, – qui concernait les BRICS, mais qui concerne aussi bien la Turquie (d’ailleurs candidate aux BRICS, – pour l’instant) si l’option de la soumission totale n’est pas choisie :

« Il serait temps que tous ces gens s’aperçoivent qu’on ne peut pas passer un accord ni faire un compromis avec les USA. On ne peut pas dédollariser tout en continuant à respecter le dollar, Washington et Biden. Pour dédollariser, messieurs & mesdames, il faut flinguer le dollar, c’est-à-dire le tuer, – un peu à la façon que certains Texans s’y préparent, sachant bien, eux, ce qu’il en est. Ce n’est pas simple, c’est douloureux, c’est dangereux mais c’est inévitable.

» Les BRICS ne peuvent pas éviter cette épreuve de force, sinon à renoncer aux BRICS. […] Les BRICS ne peuvent échapper à la guerre dans laquelle ils sont plongés, et dont ils sont les principaux protagonistes avec l’OCS [Organisation de Coopération de Shanghai]. L’affaire sud-africaine ennuie peut-être l’Afrique du Sud, la Chine et le Brésil, mais elle est bienvenue pour placer ce groupement qui veut un nouvel ordre mondial devant ses responsabilités. »

Nous ne doutons pas, – question de conviction, bien entendu, et si ferme conviction, – du côté vers lequel la balance penchera nécessairement, parce que la domination d’un fou meurtrier (les USA) n’est pas supportable longtemps, – sur le temps historique s’entend, voire le surtemps métahistorique. C’est donc une vertu paradoxale de la stratégieSystème du fou meurtrier que d’accélérer les prises de conscience et, finalement, de participer à la constitution du bloc hostile au fou meurtrier. Nous l’avons dit et redit, l’important est d’éviter le pire et d’espérer que le fou meurtrier, devenu fou au-delà de sa folie, s’assassinera lui-même (l’expression est plus juste que “se suicider”) avant de provoquer l’irréparable.

 

Mis en ligne le 13 mai 2023 à 17H00

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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