Les enfances d’un grand écrivain

Les enfances d’un grand écrivain


Les premières années de sa vie, comme celles de Dickens, ont souvent été horribles et ont été marquées par de nombreuses trahisons personnelles et professionnelles. Il est impossible ici, comme chez Dickens, de séparer la misère du génie. Son enfance a été marquée par des mensonges, des secrets nauséabonds et des promesses non tenues, et il n’avait nulle part où se réfugier. Sa mère l’a tout simplement abandonné sans lui dire au revoir. Son père, Ronnie, était un monstre hideux, un escroc impitoyable qui volait les pauvres de la haute société, s’attaquant surtout aux vieux, aux solitaires et aux naïfs, et qui méritait amplement ses séjours en prison. Il ressemblait à un ogre, trapu et faussement souriant. Si vous aviez un peu de bon sens, vous traverseriez une rue ou peut-être une rivière pour éviter un tel individu. L’idée d’avoir une telle créature dans votre maison, s’insinuant et recherchant votre amour et votre approbation est (si vous vous souvenez de l’enfance) insupportable. Je trouve étonnant, après avoir vu des photos de lui, que si peu de ses victimes aient réalisé à temps qu’il leur voulait du mal. Mais pensez à la honte et au chagrin que représente le fait que cette créature soit votre père, et que vous ne sachiez pas, jusqu’à ce que ce vieil escroc sordide soit enfin mort, qu’il ne ressurgira pas une fois de plus du passé.

Tant qu’il a vécu, ses fils n’ont jamais été à l’abri de ce danger. La succession de pensionnats coûteux et froids de Cornwell n’a pas vraiment permis d’échapper à ce danger. Comme tant d’autres garçons envoyés dans de petites écoles « publiques » anglaises, le Carré a connu les misères habituelles de ces établissements, mais sans la gloire et le cachet d’Eton ou l’ancrage intellectuel de Winchester. Finalement, il s’est enfui de Sherborne à l’âge de seize ans, sans doute dans l’espoir de se couper de ce monde miteux d’hommes suspects aux voix grinçantes de vicaire et aimant démesurément la compagnie des jeunes hommes. C’est ainsi qu’il est parti en Suisse.

Il n’est guère étonnant que cet homme solitaire, à la dérive dans les beautés froides de Berne, ait été si facilement séduit par les « inavouables de Sa Majesté », comme les diplomates convenables désignaient autrefois les espions peu recommandables et peu crédibles qui se cachaient dans les coulisses des ambassades britanniques à travers le monde.

— Peter Hitchens, «La double vie de John Le Carré» (David Cornwell de son vrai nom), The Lamp, printemps 2023, trad. SD.

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À propos de l'auteur Antipresse

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