Les «Confessions» d’un tueur, un film de Luc Picard

Les «Confessions» d’un tueur, un film de Luc Picard

Le 31 mars 2009, au palais de justice de Québec, Gérald Gallant, 59 ans, est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il est considéré comme l’un des pires tueurs à gages de l’histoire du Canada. Marié pendant 20 ans, résidant tranquille de Donnacona, cycliste, antidrogue… et bègue. On est loin du portrait typique du criminel. Il est pourtant accusé de 28 meurtres – dont celui de mon oncle – et 12 tentatives de meurtre commis pendant la guerre des motards. Un autre de ses contrats s’est déroulé en 2000, dans le restaurant d’un ami de Luc Picard. C’est ainsi que le talentueux réalisateur et comédien québécois s’est intéressé à Gallant. Vingt-deux ans plus tard, le film Confessions voit le jour.

Le Verbe: Dans d’autres entrevues, vous avez dit que c’était un défi d’incarner Gallant. Pourquoi?

Luc Picard: Gérald n’est pas fascinant. En fait, il l’est parce qu’il tue du monde, mais sa personnalité n’est pas fascinante. Des fois, tu as des «méchants» qui sont spectaculaires, par exemple Hannibal Lecter (Le silence des agneaux). C’est un psychopathe, mais il est charismatique. Gérald, par définition, n’est pas charismatique. Comment tu fais pour intéresser des gens à un gars qui n’est ni charismatique ni sympathique, pendant deux heures? C’est un défi narratif, parce que tu ne veux pas montrer le fait que c’est un gars plate, un gars brun, mais en même temps, tu ne veux pas faire de lui quelqu’un de sympathique. Tu es pris tout le temps avec l’équilibre parce que, s’il est antipathique puis qu’il n’est pas intéressant, le monde va décrocher après 20 minutes. Le défi, c’est de construire le film d’une certaine façon, afin que les gens aient le gout de l’écouter et qu’ils s’intéressent à ce gars et à son sort, mais qu’à la fin, ils sortent en disant: «Non, ça n’aurait pas été mon ami.»

Les journalistes Éric Thibault et Félix Séguin, dans leur livre Gallant: confessions d’un tueur à gages, nous donnent l’impression qu’il était surtout un psychopathe. J’ai été personnellement touché de voir votre film qui montre un côté beaucoup plus humain de lui. Après le visionnement, j’avais de la sympathie pour lui en quelque sorte, sans rien enlever à ce qu’il a fait.

Gallant est toujours aussi confondant parce qu’il a l’air vraiment d’un petit monsieur bien émotif. Quand il parle d’une fille sur qui il a tiré par accident dans un restaurant de Montréal, il se confond en excuses, il pleure. Il dit: «Je suis désolé.» Je ne crois pas qu’il fake, ses émotions sont réelles. Quand il parle de sa femme, dont il a gâché la vie, il pleure aussi. Mais quand il part en mission, il n’a pas les réflexes normaux d’autres êtres humains. Il est capable d’abattre des gens qui sont, dans sa tête, des méchants. C’est le «dilemme Gérald».

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C’est certain que, quand tu regardes ses interrogatoires – j’ai eu accès à presque toutes les vidéos de la police –, il est tellement émotif, tu hésites à le dire, mais il a quelque chose de touchant. Tu te demandes: «Comment ça se fait qu’un gars touchant en soit arrivé à faire ça?»

Je ne l’ai jamais rencontré. J’ai quand même passé beaucoup d’heures à le regarder et j’ai pas mal lu tout ce qu’il y avait à lire sur lui. Oui, il y a la pauvreté, l’absence d’éducation: il avait un quotient intellectuel de 86. Il bégayait. Sa mère a été vraiment cruelle avec lui. Elle l’attachait dans la garde-robe, elle faisait des affaires assez cinglées. À l’école, il était la tête de Turc, il a toujours été rejet. Il a trouvé une chose dans laquelle il pouvait être bon: il était capable de tuer et il le faisait bien. Ça lui a fait une place dans un groupe où il pouvait être apprécié. C’est une criminalité vraiment miséreuse. Gérald, il n’était pas bright, il ne demandait pas un prix élevé. Il se mettait en danger. C’est comme une sorte de crime organisé, mais de pauvres.

J’ai l’impression que ça explique un peu, mais je me trompe peut-être…

C’est vrai ce que vous dites. Mon père et mon oncle ont été assassinés durant la «guerre des motards» et ils n’étaient pas nécessairement méchants. Ils ont été dans ce milieu un peu par la force des choses, presque par accident, ils se sont mis dans le trouble et ils ont fait des mauvais choix.

C’est effectivement banal, c’est souvent du monde bien normal…

Est-ce que c’est ça que vous avez essayé de faire, précisément? Que les spectateurs acquièrent une plus grande compréhension de ce que Gallant a vécu?

Moi, j’ai dit à tous mes acteurs: «On fait un film de pauvres.» C’est du monde pauvre, pauvre financièrement, mais pauvre intellectuellement, pauvre psychologiquement, ils sont comme des animaux. C’était un peu le mot d’ordre pour mes acteurs. Le film parle d’une couche de la société québécoise qui cohabite avec nous et qu’on ne voit pas, dont on ne parle pas, mais elle est là. La violence, je suis toujours étonné à quel point il n’y en a pas dans nos films, ou très peu. C’est très rare au Québec, comme si on se voyait comme du monde non violent. Or, on n’est pas non violent, on est super violent.

Ça ne montre pas aussi, d’une certaine manière, que monsieur et madame Tout-le-Monde peuvent être violents, qu’on a tous un potentiel de violence à l’intérieur de soi?

Oui, je pense que ça montre ça, en fonction des circonstances dans lesquelles on a été élevé. C’est clair. J’en ai rencontré beaucoup, des tannants. Ils sont assez fascinants, ces gens-là. C’est vraiment comme un univers parallèle; ils sont là, mais on ne les voit pas; ils sont partout, puis ils vivent tout un autre monde. C’est assez intéressant. On ne les voyait pas au cinéma, mais on commence à les voir de plus en plus. Tu vois, il y a un autre film (Crépuscule pour un tueur) qui sort bientôt sur Donald Lavoie, le tueur à gages à la solde des frères Dubois. Je voulais faire un film sur le clan Dubois [NDLR: principale organisation criminelle dans les années 1950-1980 à Montréal] il y a longtemps. Les frères Dubois m’ont mené à Gallant.

Ce n’est pas un type d’histoire ou de personnage qu’il vous arrive souvent de jouer? Je pense à Omertà, à L’audition

Oui, un peu, mais pas tant non plus. Je n’ai rien inventé. Ce n’est pas pour rien, selon moi, qu’il sort tant de films sur le milieu criminel, que ce soit ici ou en France. C’est parce que, dans le milieu criminel, le vernis de la civilisation disparait, donc tu as un accès plus direct à la nature humaine. Les criminels, c’est du monde vraiment direct, et je pense que c’est pour ça qu’avec eux, ce sont tout le temps des questions de vie ou de mort. C’est aussi pour cette raison qu’on est attirés par eux, parce que c’est plus intense et que ça donne de bonnes tragédies.

Plusieurs scènes dans le film m’ont particulièrement interpelé, dans lesquelles la question de la foi est présente, surtout la scène finale où l’on voit Gallant en train de prier. D’où viennent ces éléments?

Je pense qu’au départ c’était une idée de Sylvain Guy, le scénariste. Il voulait avoir un film avec une narration, et il a eu l’idée que ce soit Gallant qui se confesse à Dieu. Tout le long, il parle à Dieu. Je me rends compte que, dans mes films, il y a souvent des églises, des prières. C’est bizarre parce que je ne suis pas religieux du tout, mais c’est un truc qui m’intéresse parce que ça parle de la société québécoise. On a beau avoir rompu avec l’Église, ça fait quand même partie de notre ADN. Pour revenir à la scène de Gallant, il cherche la rédemption, il cherche à être pardonné. Bon, il s’adresse au Christ, mais en fait il s’adresse au spectateur. «Allez-vous lui pardonner?» Parce qu’il essaie de se pardonner à lui-même.

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