La coalition des chars de l’OTAN constitue une escalade, mais il ne faut pas exagérer son importance.

La coalition des chars de l’OTAN constitue une escalade, mais il ne faut pas exagérer son importance.

Par Andrew Korybko − Le 26 janvier 2023

Les deux camps devraient s’abstenir de lancer des diatribes qualifiant cette décision de capitale, ou de pétard mouillée : elle n’est ni l’un ni l’autre. Il s’agit véritablement d’une escalade, mais qui n’amènera pas non plus à une victoire « inévitable » de Kiev. Comme l’a récemment affirmé Mikhail Khodaryonok, un expert militaire russe, « le champ de bataille est la seule épreuve de vérité », et chacun va bientôt constater en temps réel comment les événements s’y déroulent.

Les pays de l’OTAN ont fini par se mettre d’accord pour constituer une coalition visant à livrer des chars modernes à l’Ukraine, après avoir quelque peu débattu entre eux sur ce développement ; cela constitue la dernière escalade en date de leur guerre par procuration contre la Russie. Les capacités militaires de Kiev finiront par être renforcées jusqu’à un stade où l’Ukraine pourrait disposer d’une meilleure chance de briser la Ligne de Contrôle (LDC) qui est restée gelée en grande partie durant les 6 derniers mois, à quelques exceptions près, à savoir les régions de Kharkov et de Kherson.

L’agenda de cette décision est important : il apporte du crédit à des observations « politiquement incorrectes » sur la véritable dynamique militaro-stratégique de ce conflit que les médias dominants d’Occident — États-Unis en tête, avaient jusqu’ici dissimulée. Avant la mi-janvier, le « récit officiel » annonçait une victoire supposément « inévitable » de Kiev, mais les dirigeants étasuniens, polonais, et même quelques uns dans le cercle du pouvoir ukrainien se sont coordonnés pour finalement basculer sur un récit sérieusement préoccupé sur les chances d’une possible défaite de Kiev.

Ce basculement du récit s’est produit au cœur d’une dynamique de déstabilisation de plus en plus forte en Ukraine, caractérisée par les luttes intestines féroces des services de sécurité, que même le média d’État étasunien « Radio Free Europe/Radio Liberty » a reconnu de manière tacite, en donnant la parole au chef du renseignement militaire qui s’en plaignait. Cette intrigue a à son tour catalysé la purge profonde produite par Zelensky parmi les dirigeants militaires, régionaux et de sécurité en début de semaine, au cours d’une opération qui semble avoir consolidé ses pouvoirs, du moins pour le moment.

Les pays de l’OTAN se sont donc sentis suffisamment à l’aise pour constituer la coalition sus-mentionnée, après en avoir débattu au cours du mois écoulé, à présent qu’au sein du régime ukrainien, les opportunistes et les pacifistes ont moins de chances de gêner leurs projets. À ce sujet, il n’est pas facile d’établir le niveau de sincérité du débat mené par l’Allemagne, et la mesure dans laquelle ce débat a pu relever de l’opération de gestion des perceptions gérée par l’État, pour faire bouger les opinions publiques sur ce sujet.

En tous cas, le résultat est le même : l’OTAN escalade sa guerre par procuration menée par l’Ukraine contre la Russie, au moyen d’une coalition de chars qui pourrait fort bien évoluer rapidement pour envoyer d’autres armements modernes à Kiev, comme des avions de combat et des missiles à longue portée. La raison de cette prédiction est que l’« enlisement » s’est clairement fait sentir, et l’alliance anti-russe se trouve désormais menée à garantir un prétendu « retour sur investissement » sur le terrain, après avoir déjà donné à Kiev plus de 100 milliards de dollars.

La nouvelle coalition assemblée par l’OTAN produit également d’importants objectifs logistiques et politiques, en plus des objectifs militaires évidents. Sur le plan logistique, elle contribue à soulager la pression que l’on connaît sur leurs complexes militaro-industriels en modifiant la nature des armes envoyées à Kiev, au lieu de prendre un risque d’épuiser ses stocks existants, déjà très faibles après ce qui a déjà été envoyé. Sur le plan politique, ce soi-disant « partage de la charge » renforce l’hégémonie des États-Unis récemment réaffirmée sur l’Europe.

Pour comprendre pourquoi le sens de cette escalade ne doit pas être exagéré, les observateurs devraient commencer par se souvenir que cela se produit précisément au moment où Kiev se fait peu à peu repousser hors du Donbass, après la libération de Soledar par la Russie. Sur le terrain, la dynamique militaro-stratégique a finalement commencé à bouger après l’impasse qui avait en grande partie marqué les 6 mois passés, et ce en faveur de la Russie. C’est de là que vient l’urgence avec laquelle l’OTAN assemble sa coalition de chars.

Pour dire vrai, cela aurait en théorie pu se produire dès le lancement de l’opération spéciale lancée par la Russie, mais le Milliard Doré occidental, États-Unis en tête, était à la fois impréparé à la réaction cinétique de Moscou suite au franchissement des lignes rouges en Ukraine, et continuait de penser pouvoir affaiblir le Kremlin pour pas cher. C’est la raison pour laquelle il s’est contenté de n’envoyer que des équipements obsolètes sorti de ses réserves au cours de l’année passée, au lieu de donner la priorité à l’envoi d’armements modernes comme les chars qui sont sur le point d’être envoyés.

La raison pour laquelle l’OTAN envoie désormais des équipements bien plus chers et bien plus modernes est que la Russie a détruit toutes les armes obsolètes qui avaient déjà été envoyées sur place. Cette observation confirme la puissance de feu russe, car les Russes ont pu procéder à cette destruction en moins de douze mois, tout en maintenant jusqu’à présent le gel de la ligne de contrôle. Puisque politiquement, un cessez-le-feu est hors de question pour cette alliance anti-russe, elle a donc décidé de pratiquer l’escalade.

L’OTAN ne peut en aucun cas reconnaître les gains pratiqués sur le terrain par la Russie, sur les régions qui constituaient jadis l’Est et le Sud de l’Ukraine, car cela montrerait que la Grande Puissance eurasiatique a pu réussir à survivre à la guerre par procuration sans précédent lancée contre elle. Les conséquences politiques d’une telle reconnaissance exposerait les limites militaires de ce bloc de la Nouvelle Guerre Froide, ce qui réduirait ses chances de pouvoir exporter son nouveau modèle de guerre par procuration ailleurs dans le monde à l’avenir.

Le modèle susdit, créé par l’OTAN au fil des évolutions du conflit présent, est neuf au vu de la manière dont il escompte escalader les dilemmes de sécurité régionaux pour finalement faire pencher la balance en faveur de l’OTAN. Pour résumer ce point, les capacités militaires d’un État plus petit sont rapidement augmentées, avec le soutien du bloc, pour le placer en position de pratiquer un chantage contre son voisin plus fort que lui, après quoi ce dernier est contraint, ou bien de capituler, ou bien de mener une action cinétique au travers de la frontière pour neutraliser la menace.

La première décision déboucherait inévitablement par des contraintes exercées par l’OTAN sur le grand voisin susnommé pour l’amener à accepter une suite sans fin de concessions unilatérales visant en fin de compte à neutraliser son autonomie stratégique, et ainsi le transformer en État vassal. La seconde, déclencherait immédiatement un prompt soutien de l’OTAN à son mandataire, comme cela se produit en Ukraine, pour perpétrer une guerre par procuration sans fin visant à user les capacités militaires du grand voisin, tout en fabricant des prétextes à lui infliger des sanctions.

La Russie est la cible actuelle du nouveau modèle de guerre par procuration de l’OTAN, mais il faut s’attendre à voir la Chine et l’Iran désignées comme prochaines cibles une fois ce modèle perfectionné (ou du moins ajusté) par la course du conflit en Ukraine, sauf si ces pays capitulent avant cela. Cela étant dit, si ce modèle se trouve discrédité en Ukraine, du fait que la Russie prouverait que le mandataire de l’OTAN ne peut pas défendre le territoire avec le soutien de l’organisation militaire, d’autres acteurs régionaux pourraient refuser de reproduire le rôle de mandataire tenu par Kiev.

Après tout, ils constateraient qu’un tel positionnement les exposerait à perdre beaucoup en prenant part aux complots de guerre fomentés par ce bloc, en lieu et place des gains immenses « inévitables » promis par l’OTAN jusqu’au moment où les membres étasuniens et polonais de l’alliance militaire ont fini par retourner le « récit officiel » de cette guerre par procuration. En outre, d’autres mandataires potentiels voient d’ores et déjà que la Russie a détruit les stocks d’armes obsolètes de l’OTAN précédemment envoyés en Ukraine, ce qui indique que l’alliance en a désormais moins en réserve pour d’autres mandataires.

En l’état, le nouveau modèle de guerre par procuration de l’OTAN a déjà reçu un coup retentissant, la Russie ayant épuisé ses stocks d’armes obsolètes et l’alliance a désormais beaucoup moins à proposer à d’autres pays dans un avenir proche, jusqu’à ce que son complexe militaro-industriel emplisse de nouveau les stocks, ce qui devrait prendre au moins quelques années. Il n’est donc pas acquis que l’envoi par l’alliance d’armes plus modernes produira des différences significatives sur le terrain, la Russie pouvant fort bien les détruire également.

Il est judicieux à ce stade de faire référence au point de situation qu’a produit récemment Mikhail Khodaryonok dans sa dernière analyse pour Russia Today. Cet expert militaire a affirmé que le nombre probable de chars qui vont être envoyés en Ukraine ne suffira pas à changer sérieusement la dynamique suivant la Ligne de Contrôle, tout en admettant que « Le champ de bataille est le seul test de vérité concernant les avantages et les inconvénients de tout type d’arme ou d’équipement militaire. »

Il a raison sur les deux registres, mais l’analyse stratégique élargie produite au sein de la présente analyse apporte du poids à la conclusion de Khodaryonok, à savoir qu’il ne faut pas exagérer la portée de cette dernière escalade : la Russie a prouvé jusqu’ici qu’elle était en mesure de gérer ce type de développement. Bien sûr, l’introduction d’armes plus modernes dans cette guerre par procuration constitue un nouveau facteur qu’il convient de prendre au sérieux, mais celui-ci aurait été plus significatif s’il s’était produit il y a un an, par rapport à aujourd’hui.

L’agenda de ce développement suggère qu’il s’agit d’un dernier recours désespéré, pour assurer au moins que la Ligne de Contrôle restera gelée alors que la dynamique militaro-stratégique s’est enfin mise à bouger en faveur de la Russie, qui réalise des progrès tangibles dans le Donbass après la libération de Soledar. L’OTAN espère que l’envoi de ces chars changera la donne et permettra à Kiev de renverser cette tendance et de reprendre une partie des territoires revendiqués par elle, mais un tel résultat n’est pas du tout garanti, comme nous l’avons vu.

Si l’envoi de chars plus modernes ne suffit pas à atteindre les objectifs ultimes de l’OTAN et à au moins geler la Ligne de Contrôle, on ne peut pas exclure que l’alliance enverra bientôt des avions de combats plus modernes et des missiles à longue portée, dans sa panique de préserver sa réputation, qui risque d’être dévastée par les succès de la Russie. Les perceptions mondiales vis-à-vis de l’alliance dirigée par les États-Unis s’effondreraient si Moscou poursuivait une progression tangible sur le terrain malgré l’envoi de ces chars modernes en Ukraine.

Le scénario du pire serait que l’OTAN pourrait intervenir formellement dans le conflit (que cela soit de manière multi-latérale, ou seulement en passant par la Pologne) afin d’établir une ligne rouge nette dans le sable quelque part parmi ce qui reste de l’Ukraine, si ses chars, avions et missiles de longue portée plus récents ne suffisent pas à bloquer le rouleau compresseur russe. Il est trop tôt pour prédire de manière fiable l’occurrence de tels événements, mais il est également trop tôt pour les écarter, surtout lorsque l’on examine les calculs militaires, politiques, de soft power et en matière de stratégie.

Comme l’affirme le titre de la présente analyse, la coalition anti-russes de chars constitue bien une escalade, mais il convient de ne pas exagérer sa portée. Les deux camps devraient s’abstenir de lancer des diatribes qualifiant cette décision de capitale, ou de pétard mouillée : elle n’est ni l’un ni l’autre. Il s’agit véritablement d’une escalade, mais qui n’amènera pas non plus à une victoire « inévitable » de Kiev. Comme l’a affirmé Khodaryonok, « le champ de bataille est la seule épreuve de vérité », et chacun va bientôt constater en temps réel comment les événements se déroulent.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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