Je suis dogmatique

Je suis dogmatique

Dogmatique: voilà la pire insulte que peut essuyer un intellectuel aujourd’hui.

Durant mes études, j’ai reçu, malgré moi, cette étiquette. Pour mes collègues – surtout ceux qui ne me connaissaient pas – le seul fait d’être chrétienne et d’admirer Aristote me rendait automatiquement «fermée d’esprit», «hautaine», «pleine de certitudes non fondées». En un mot: dogmatique.

Ce jugement m’a toujours agacée. Ce n’est pas parce qu’on est chrétien ou aristotélicien qu’on prétend tout savoir. Cela dit, je confesse que je me suis dernièrement réconciliée avec l’étiquette de dogmatique, et ce, en tombant sur cette fabuleuse citation de G.K. Chesterton:


« On pourrait définir l’homme comme un animal qui fait des dogmes. Alors qu’il empile doctrine sur doctrine et conclusion sur conclusion pour édifier un formidable système de philosophie et de religion, il devient vraiment, dans le seul sens légitime du terme, de plus en plus humain. Quand, au contraire, il rejette une à une ses doctrines avec un scepticisme raffiné (…) quand, dans sa propre imagination, il s’installe comme Dieu, observant toutes formes de croyance sans en partager aucune, alors par ce procédé même il retourne lentement (…) à l’inconscience de l’herbe. »


G.K. Chesterton, Hérétiques, Paris, Gallimard, 1979, p. 289-291

Pour beaucoup aujourd’hui, le dogmatique ressemble à une roche: incapable d’avancer et de changer d’avis. Il serait stupide ou, pire, orgueilleux. Le sceptique, au contraire, démontrerait une grande vivacité d’esprit, ainsi qu’une admirable humilité.

Chesterton, vous l’aurez compris, soutient le parfait opposé.

Qu’est-ce que le dogmatisme?

Le dogmatisme vaut mieux que le scepticisme, dit Chesterton. N’est-ce pas un peu… dogmatique? De quel droit soutient-il pareille opinion?

Il faut revenir à l’étymologie du mot pour comprendre. «Dogme» vient de doxa en grec, qui veut dire «opinion». Rien de péjoratif ici, car il ne s’agit pas de l’opinion non fondée, formée au gré du hasard. L’autre sens de doxa en témoigne : ce qui s’illustre.

Le dogmatique, c’est celui qui progresse dans ses jugements. C’est celui qui, s’appuyant sur des évidences immédiates – comme le principe de non-contradiction, par exemple –, déduit de nouvelles connaissances.

Il ne prétend pas tout savoir, mais pose que la réalité se connait, qu’il y a des certitudes en ce monde et que l’humain se trouve appelé à en trouver davantage, du mieux qu’il peut. À l’instar d’Aristote, il croit que la vérité est en un sens facile et en un autre, difficile.

On confond souvent à tort dogmatisme et idéologie. L’idéologie fait fi de la réalité et donc, de la vérité, mais pas le dogmatisme, du moins au sens originel du terme.

Qu’est-ce que le scepticisme?

«Sceptique», en grec, désigne celui qui examine avec soin. Jusque-là, rien de péjoratif, au contraire.

Le terme reçoit toutefois un sens spécial à la venue de deux nouvelles écoles philosophiques en Grèce: les académiciens et les pyrrhoniens, qui s’opposent aux dogmatiques, tels les aristotéliciens.

Les académiciens déclarent toute connaissance impossible. Les pyrrhoniens – dont le représentant le plus connu est Sextus Empiricus – accusent quant à eux les académiciens de dogmatisme! Un vrai sceptique ne peut soutenir que la connaissance est impossible, car affirmer l’impossibilité de connaitre, c’est déjà connaitre! C’est prétendre savoir qu’on ne peut rien savoir!

Le vrai sceptique, écrit Sextus Empiricus, suspend son jugement en tout. Le but du philosophe, ajoute-t-il, n’est pas la vérité, mais la paix de l’âme. Il faut demeurer serein même si on ne connaitra (peut-être) jamais rien.

Sextus multiplie les arguments pour faire douter de toute connaissance, tout en s’avisant évidemment de préciser qu’aucun n’est définitif ni certain. Scepticisme oblige!

Je ne dépeindrai pas ici les arguments sceptiques. Qu’il suffise de relever la contradiction interne de cette idéologie: pour le sceptique, s’affirmer, c’est se nier. Le sceptique vit et meurt à chaque instant.

Même si Sextus croit éviter la contradiction des académiciens en prétendant ne pas savoir si aucune connaissance n’est possible ou si quelque connaissance est possible, il s’y embourbe tout de même.

*

Le sceptique

vit et meurt

à chaque instant.

*

Certes, je peux hésiter entre deux énoncés contradictoires: mon mari a-t-il ou non ses clés dans sa poche? Mais je ne peux douter qu’un des énoncés est vrai, l’autre faux.

Ainsi en est-il du cas présent: «quelque connaissance est possible» ou «aucune connaissance n’est possible». L’un doit être vrai, l’autre faux. Mais «aucune connaissance n’est possible», Sextus même l’accorde quand il critique les académiciens, est une contradiction dans les termes, comme un cercle carré. «Aucune connaissance n’est possible» est nécessairement faux. Il n’y a aucune hésitation légitime.

Le sceptique me répondra-t-il peut-être qu’il doute du principe de non-contradiction? Peut-être un énoncé peut-il être vrai et faux en même temps et sous le même rapport?

Que le sceptique se taise alors! Car utiliser ne serait-ce qu’un mot implique déjà le principe de non-contradiction. Dire «banane», c’est signifier une chose, en impliquant nécessairement que cette chose ne peut être une «non-banane». Enlevez le principe de non-contradiction et plus aucune discussion n’a de sens! Que l’on retourne dès lors à l’état végétatif de la plante.

Scepticisme ambiant

Et alors, me direz-vous? À part quelques philosophes ici et là, qui, aujourd’hui, soutient un scepticisme radical comme Sextus?

Presque personne, vous avez raison. L’homme du quotidien se rendrait ridicule en doutant de ses sens, de s’il dort ou non, de s’il n’est pas manipulé par un malin génie à la Descartes, etc.

Il faut toutefois le voir: une forme de scepticisme domine la société, surtout en morale. Un professeur de philosophie au collégial s’y confronte nécessairement. «Qu’est-ce que la vérité, de toute manière?», lui retournent ses étudiants blasés, citant sans le savoir le bon vieux Ponce Pilate.

Tout péché comporte comme un serment sceptique: ne plus se laisser mesurer par la réalité, mais la mesurer.

Il importe de combattre ce scepticisme ambiant. Par la logique, comme je viens de le faire, mais aussi par la vertu. Aristote donne en effet deux causes au scepticisme: une difficulté intellectuelle et la mauvaise volonté.

Cette mauvaise volonté se rencontre partout. Je le confesse: il m’arrive aussi d’en souffrir. Tout péché comporte comme un serment sceptique: ne plus se laisser mesurer par la réalité, mais la mesurer. Nier l’existence de la vérité et la remplacer par sa propre volonté.

Derrière les finasseries intellectuelles du scepticisme, c’est ce qu’on trouve le plus souvent: l’orgueil. Et derrière l’amour de la vérité se trouve dès lors tout le contraire: l’humilité.

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