L’affaire Hanouna/Boyard acte le basculement du pouvoir du politique au médiatique

L’affaire Hanouna/Boyard acte le basculement du pouvoir du politique au médiatique

 

En traitant le jeune député LFI Louis Boyard de « merde » (« t’es une merde »), l’animateur Cyril Hanouna a acté le renversement de pouvoir du politique vers le médiatique. Un député de la République pèse moins qu’un animateur télé, quel que soit le résultat du procès en diffamation intenté par la « victime ». On parle ici bien sûr du pouvoir politique visible, pas du pouvoir profond qui, lui, est inaltérable, puisqu’il n’est pas élu et se transmet par cooptation, communautaire et/ou réseautaire.

 

En réalité, ce basculement ne date pas d’aujourd’hui. Quand on voit les ministres ramper devant des animateurs ou même de simples chroniqueurs pour glaner de la popularité ou pour échapper à l’accusation meurtrière de ringardise, on comprend que les élus ou les représentants de la République ne sont que des pantins. Le vrai pouvoir, il est chez ceux qui justement impressionnent les animateurs télé.

Baffie : « Attendez j’ai essayé de lui parler à BHL quand il est sur un plateau pour expliquer son livre, il n’a pas tellement envie que Baffie dise un truc, pas trop. Non, je suis pas bien-pensant, je subis l’ascendant idéologique. Thierry, explique-leur que j’ai fait des vannes pourries… Et comme lui ne relevait, comme lui ne voulait pas jouer, ça a été coupé parce que ça n’avait pas d’intérêt. »

(93, Faubourg Saint-Honoré Paris Première 07/10/06)

L’exemple frappant est la soumission de Laurent Baffie lors des invitations de BHL par Ardisson, dans Tout le monde en parle. Le sniper ne lance plus de vannes mais des fleurs, ou alors il se tait. Dans l’extrait qui suit, BHL, invité comme un prince, déclare avec raison que « les intermittents du spectacle aujourd’hui, c’est quand même les hommes politiques ».

Le petit Boyard, après avoir créé de toutes pièces son esclandre chez son ancien taulier, fait maintenant la promo de l’antifascisme en bonne compagnie. Dans ce couple, on ne sait qui manipule qui…

 

Hanouna avait dit que son émission, TPMP, allait pour la saison 2022-2023 devenir plus divertissante que politique. Dans la période actuelle, où la politique s’insinue profondément dans la vie et la tête de chaque Français, c’est le contraire qui s’est passé : son émission est devenue 100 % politique, et les fractures idéologiques de la société française y sont bien représentées. Il manque juste l’esprit E&R, et ce sera une authentique émission démocratique. La seule aussi.

Mais ne soyons pas naïfs : les médias de masse ne peuvent pas prôner autre chose que la pensée dominante, au fond, même si la forme illusionne. Si la gauche mélenchoniste n’est plus vraiment la gauche de Jaurès, ou le socialisme des origines, il est encore trop social pour le Marché, c’est-à-dire le parti de la bourgeoisie. Le problème, c’est que les masses laborieuses préfèrent regarder Hanouna que lire L’Humanité, et on parle là de L’Huma des années 60 ou 70, pas le brûlot gauchiste actuel qui matche avec les injonctions mondialistes.

Ce paradoxe est développé dans un article du Monde diplo de novembre 2022, avec des extraits d’un texte de 1907 qu’on croirait écrit pour aujourd’hui !

Contre les grands quotidiens « populaires » qui s’épanouissent au début du XXe siècle, les organisations ouvrières entendent offrir aux travailleurs une information provenant de leurs rangs et affranchie du pouvoir de l’argent. (…)

Mais le basculement du rapport de forces au profit de grandes entreprises se présentant en porte-parole du peuple oblige la gauche à tenter d’occuper le terrain des journaux à large diffusion, sans les moyens ni les méthodes de ses adversaires.

Face à des sociétés disposant de capitaux colossaux et maîtrisant à la perfection l’art de séduire les foules, le combat s’engage mal. Dans la première décennie du XXe siècle, lorsque la Confédération générale du travail (CGT) se dote d’un hebdomadaire, La Voix du peuple, puis d’une revue bimensuelle, La Vie ouvrière, chacun sait qu’en dehors du cercle militant la part de marché détenue par les grands journaux capitalistes reste intacte. Du côté socialiste, le projet de lancer un grand quotidien populaire est beaucoup plus ambitieux. Mais les tirages quotidiens de L’Humanité, fondé par Jean Jaurès en 1904, sont inférieurs à 70 000 exemplaires en 1912. Ceux des « quatre grands » restent inatteignables et écrasent toute concurrence : 1,3 million pour Le Petit Parisien, près d’un million pour Le Journal, 850 000 pour Le Petit Journal, près de 650 000 pour Le Matin.

Vient alors ce fameux texte vieux de 115 ans aujourd’hui, et qu’on vous livre malgré l’ire possible de Serge Halimi (il n’a qu’à se dire que c’est de la pub) :

Beaucoup d’énergie militante est dépensée, sans grand succès, pour tenter de convaincre les ouvriers de délaisser ces lectures trompeuses et de se tourner vers la presse prolétarienne. Le 1er mai 1907, le journal de la Fédération nationale des travailleurs de l’alimentation, affiliée à la CGT, publie un article intitulé « À bas la presse », signé par « un groupe d’ouvriers syndiqués des limonadiers-restaurateurs » :

« Ouvriers, employés, petits fonctionnaires, n’achetez plus de journaux bourgeois, radicaux ou autres ; ne contribuez plus à faire vivre les journalistes, ramassis d’ignorants et de fumistes ! Ce sont nos pires ennemis. Ils tournent en dérision nos plus justes revendications. (…)

Après trente-sept ans de régime républicain, les journalistes sont encore avec les exploiteurs, contre les exploités ! Ils finiront par nous dégoûter de la république ! Partisans de la “liberté de la presse”, nous, ouvriers confiants et naïfs, espérions que les journalistes républicains seraient les champions de la justice et de la vérité, les défenseurs des humbles et des faibles.

Nous avons été déçus.

Il n’y a dans la presse bourgeoise que des menteurs et des arrivistes toujours prêts à flatter les puissants et à se moquer du peuple. Ils prennent plaisir à fausser l’opinion publique ; ils aiment à se payer la tête du lecteur, à abuser de sa crédulité.

Par la ruse et le mensonge, ils sont devenus les maîtres de la situation ; ils sont maintenant le premier pouvoir dans l’État. Ils gouvernent plus que le gouvernement. On peut compter sur la presse bourgeoise. On la retrouve dans toutes les combinaisons louches. (…) Travailleurs de tous les partis, méprisons la clique des journalistes bourgeois. Engageons-nous à ne plus lire une seule feuille de leur presse aussi bête qu’immorale. »

CQFD !

On vous refile la fin de la diatribe socialiste en douce, pendant que le fils Halimi regarde ailleurs :

« Nous ne perdrons rien à ne plus avoir sous les yeux chaque matin la prose d’un tas de gens sans convictions, qui crieraient aussi facilement : “Vive le pape” que “Vive la république” ! Ne prenons plus au sérieux tous ces “ratés” qui causent de tout sans avoir rien appris ; qui écrivent des articles de trois colonnes sur des sujets dont ils ignorent le premier mot. (…) Ouvriers, employés, petits fonctionnaires, ne dépensez plus votre argent pour de sales journaux bourgeois. Mettez-vous bien dans la tête que les sommes versées annuellement par vous dans les caisses de la presse bourgeoise représentent des millions et des millions de francs perdus pour le prolétariat au profit de la classe ennemie.

Abstenez-vous. N’achetez plus un seul de leurs “canards” et criez : “À bas la presse !” »

Nous avons toujours le même combat de classe aujourd’hui, à ceci près que Boyard est le descendant gauchisé (antinational et pro-immigration) de ce pur socialisme, et Hanouna est le digne héritier de la grande presse bourgeoise. Tout change, et rien ne change…

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Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation

À propos de l'auteur Égalité et Réconciliation

« Association trans-courants gauche du travail et droite des valeurs, contre la gauche bobo-libertaire et la droite libérale. »Égalité et Réconciliation (E&R) est une association politique « trans-courants » créée en juin 2007 par Alain Soral. Son objectif est de rassembler les citoyens qui font de la Nation le cadre déterminant de l’action politique et de la politique sociale un fondement de la Fraternité, composante essentielle de l’unité nationale.Nous nous réclamons de « la gauche du travail et de la droite des valeurs » contre le système composé de la gauche bobo-libertaire et de la droite libérale.

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