Les femmes victimes de trafic sexuel furent les premières victimes des injections de silicone (par Genevieve Gluck)

Les femmes victimes de trafic sexuel furent les premières victimes des injections de silicone (par Genevieve Gluck)

Tra­duc­tion d’un article ini­tia­le­ment publié, en anglais, sur le site de Gene­vieve Gluck, le 28 décembre 2021.


Les implants mam­maires en sili­cone conti­nuent de nuire aux femmes

Une publi­ci­té pour les injec­tions de sili­cone pra­ti­quées sur des femmes japo­naises vic­times de tra­fic sexuel. Mal­gré les infec­tions et les décès, elle affirme qu’« aucun effet nocif n’a été signalé ».

C’est au prin­temps 1962 que Tim­mie Jean Lind­sey, mère de six enfants, s’al­longe sur la table d’o­pé­ra­tion de l’hô­pi­tal texan Jef­fer­son Davis à Hous­ton pour subir la pre­mière opé­ra­tion au monde de pose d’un implant mam­maire en sili­cone. Lind­sey s’é­tait ren­due à l’hô­pi­tal pour faire effa­cer un tatouage et se ren­sei­gner sur la pos­si­bi­li­té de tirer et col­ler ses oreilles en arrière, mais elle avait accep­té l’offre d’une opé­ra­tion expé­ri­men­tale gra­tuite d’aug­men­ta­tion mam­maire que lui avaient pro­po­sée les chi­rur­giens Frank Gerow et Tho­mas Cronin.

C’est après avoir tri­po­té un sac de sang que Gerow eut l’idée des implants en sili­cone. Selon Tere­sa Rior­dan, auteur de Inven­ting Beau­ty : A His­to­ry of the Inno­va­tions That have Made Us Beau­ti­ful (« Inven­ter la beau­té : Une his­toire des inno­va­tions qui nous ont ren­dus beaux »), « Frank Gerow a pres­sé une poche de sang en plas­tique et a remar­qué à quel point elle res­sem­blait à un sein de femme [NdLT : il ne devait pas en avoir beau­coup tou­ché jusqu’ici]. C’est à ce moment-là qu’il a eu l’i­dée de l’im­plant mam­maire en silicone. »

Les essais cli­niques de cette chi­rur­gie d’un nou­veau genre étaient qua­si­ment inexis­tants et consis­taient en une seule étude menée sur une chienne. Les chi­rur­giens avaient implan­té la poche de sili­cone dans le corps d’Es­me­ral­da, la chienne en ques­tion, et avaient atten­du « quelques semaines ». Comme elle ne mou­rut pas, Gerow décla­ra que l’im­plant était « aus­si inof­fen­sif que de l’eau ».

« Une fusée par­vient à décol­ler en se sou­le­vant et en pous­sant — c’est la même chose pour l’aug­men­ta­tion mam­maire » [NdLT : What ?], décla­ra Tho­mas Biggs lequel, en 1962, tra­vaillait avec Gerow et Cro­nin en tant qu’interne junior en chi­rur­gie esthétique.

« J’é­tais en charge de la chienne. L’im­plant avait été insé­ré sous sa peau et lais­sé pen­dant quelques semaines, jus­qu’à ce qu’elle ronge ses points de suture et qu’il faille le reti­rer. » [NdLT : Nous pou­vons nous deman­der pour­quoi la chienne ron­geait ses points de suture : pro­ba­ble­ment pour reti­rer le corps étranger.] 

Bien que Gerow et Cro­nin aient été cré­di­tés pour l’in­ven­tion de l’im­plant mam­maire en sili­cone, ils n’é­taient pas les pre­miers hommes à avoir expé­ri­men­té sur le corps des femmes avec du sili­cone, et loin d’être les pre­miers hommes à muti­ler les seins des femmes au nom de l’ex­ci­ta­tion sexuelle masculine.

Depuis les années 1890, les hommes injectent des maté­riaux étran­gers dans les seins des femmes.

Le chi­rur­gien Vin­cenz Czer­ny est à l’o­ri­gine de la pre­mière opé­ra­tion d’aug­men­ta­tion mam­maire docu­men­tée, qui a eu lieu en Alle­magne en 1895.

Selon Flo­rence Williams, dans The Guar­dian,

« Dès 1899, des hommes injec­taient de la paraf­fine dans les seins des femmes pour les faire gros­sir. Cela ne fonc­tion­nait pas très bien. D’une part, la cire était connue pour fondre au soleil. D’autre part, elle pro­vo­quait des infec­tions et des gros­seurs appe­lées paraf­fi­nomes. L’his­toire des maté­riaux uti­li­sés pour la fabri­ca­tion des implants res­semble à un film d’hor­reur : boules de verre, rubans, car­ti­lage de bœuf, copeaux de bois et éponges de cuisine.

Durant l’oc­cu­pa­tion amé­ri­caine du Japon après la Seconde Guerre mon­diale, des fûts de sili­cone indus­triel dis­pa­rurent du port de Yoko­ha­ma. Il s’a­vère que quel­qu’un avait eu la brillante idée d’in­jec­ter ce pro­duit réfri­gé­rant dans les seins des pros­ti­tuées japo­naises afin qu’elles soient plus popu­laires auprès des mili­taires amé­ri­cains. Cette idée fran­chit l’o­céan et arri­va jus­qu’à Las Vegas et Los Angeles. Alar­mées par les infec­tions, les mal­for­ma­tions et, dans cer­tains cas, les décès cau­sés par la migra­tion du sili­cone, les auto­ri­tés amé­ri­caines inter­dirent cette pra­tique en 1965. »

Les pre­mières poses d’implants mam­maires en sili­cone ont été réa­li­sées sur des femmes japo­naises réduites en escla­vage sexuel pen­dant l’oc­cu­pa­tion amé­ri­caine de la Seconde Guerre mon­diale. Le sili­cone, volé sur les quais d’ex­pé­di­tion, a été direc­te­ment injec­té dans leurs seins, entraî­nant une gan­grène ou « nécrose de sili­cone », et dans cer­tains cas, la mort.

Selon Susan Zim­mer­mann, autrice de Sili­cone Sur­vi­vors : Women’s Expe­riences with Breast Implants (« Sur­vi­vantes du sili­cone : les expé­riences des femmes avec les implants mammaires »),

« Même si le sili­cone a été créé aux États-Unis, son uti­li­sa­tion dans les injec­tions mam­maires ne vient pas d’i­ci. Cette pra­tique a débu­té au Japon peu après la Seconde Guerre mon­diale, lorsque les forces amé­ri­caines occu­paient encore le pays. Comme les mili­taires amé­ri­cains avaient la répu­ta­tion de pré­fé­rer les femmes avec des seins plus gros que ceux de la plu­part des Japo­naises, les cos­mé­to­logues japo­nais ont com­men­cé à expé­ri­men­ter avec diverses sub­stances et pro­cé­dures pour gros­sir les seins des pros­ti­tuées japo­naises. Au début, on injec­tait direc­te­ment des sub­stances telles que du lait de chèvre et des mélanges de paraf­fine et de vase­line dans les seins des femmes. Plus tard, les cos­mé­to­logues ont com­men­cé à uti­li­ser du sili­cone liquide. La migra­tion du liquide pou­vait être empê­chée par l’a­jout d’huile d’o­live ou de coton, qui pro­vo­quait une cica­tri­sa­tion immé­diate et encap­su­lait ain­si le sili­cone au site d’injection.

Le Dr Saku­rai a été le pre­mier à pra­ti­quer des injec­tions de sili­cone au Japon et, peu de temps après, il a intro­duit sa tech­nique aux États-Unis, ouvrant un cabi­net en Cali­for­nie, où les injec­tions mam­maires (connues plus tard sous le nom de “for­mule Saku­rai”) sont deve­nues par­ti­cu­liè­re­ment popu­laires. En 1965, rien qu’à Los Angeles, plus de 75 chi­rur­giens esthé­tiques injec­taient du sili­cone dans les seins des femmes.

Si Saku­rai a fami­lia­ri­sé la com­mu­nau­té médi­cale avec les injec­tions de sili­cone, Carol Doda est pro­ba­ble­ment la per­sonne qui a fait décou­vrir cette pro­cé­dure au grand public. Dan­seuse topless au Condor Club de San Fran­cis­co dans les années 1960, Doda a atti­ré l’at­ten­tion des médias après son aug­men­ta­tion mam­maire via des injec­tions de sili­cone. Elle est immé­dia­te­ment pas­sée “d’une go-go dan­seuse plu­tôt ordi­naire avec une poi­trine de 90 B à une super­star topless de 90 D”.

La strip-tea­seuse Carol Doda est deve­nue célèbre après qu’un chi­rur­gien esthé­tique lui a injec­té direc­te­ment du sili­cone liquide dans les seins.

Par la suite, la pra­tique des injec­tions mam­maires est deve­nue popu­laire dans d’autres États comme le Neva­da et le Texas, où les boîtes de nuit employaient aus­si des dan­seuses topless pour atti­rer les cha­lands mas­cu­lins. On estime à 50 000 le nombre d’A­mé­ri­caines qui se sont fait injec­ter du sili­cone liquide dans la poi­trine depuis les années 1940, date à laquelle la pro­cé­dure a été intro­duite aux États-Unis.

À l’époque, on pen­sait que le sili­cone était une sub­stance bio­lo­gi­que­ment inerte et non réac­tive, mais les femmes ayant subi ces aug­men­ta­tions mam­maires par injec­tion ont connu quan­ti­té de com­pli­ca­tions on ne peut plus sérieuses. Par exemple, cer­taines ont souf­fert d’ul­cé­ra­tions, de cica­trices et de gon­fle­ments autour de leurs seins. D’autres ont souf­fert de gan­grène, d’in­fec­tions et de défaillances pul­mo­naires. Un autre pro­blème résul­tait de la migra­tion du sili­cone dans diverses par­ties de leur corps. Les injec­tions avaient sou­vent été modi­fiées avec de l’huile des­ti­née à pro­vo­quer la fabri­ca­tion d’un tis­su cica­tri­ciel par le corps, empê­chant la migra­tion du sili­cone liquide, mais des masses de sili­cone se sont par­fois retrou­vées dans d’autres par­ties du corps. Par­fois, ces masses pou­vaient être reti­rées avec suc­cès. Cepen­dant, le plus sou­vent, les méde­cins étaient inca­pables d’ex­ci­ser ces grandes quan­ti­tés de sili­cones sans défi­gu­rer les femmes. Au moins quatre décès ont été attri­bués à des injec­tions de sili­cone. Dans l’un de ces cas, le sili­cone avait migré vers les pou­mons d’une femme, pro­vo­quant un étouf­fe­ment à mort. »

Carol Doda est décé­dée d’une insuf­fi­sance rénale à l’âge de 78 ans. Une recherche publiée en 2017 iden­ti­fie les injec­tions de sili­cone comme un cata­ly­seur de cette insuf­fi­sance rénale, décri­vant le cas d’une femme de 31 ans ayant déve­lop­pé une insuf­fi­sance rénale après 6 ans d’in­jec­tions de sili­cone : « Le sili­cone, autre­fois consi­dé­ré comme sûr pour un usage esthé­tique en rai­son de sa sta­bi­li­té ther­mique, est désor­mais décrit comme un cata­ly­seur de la toxi­ci­té des organes cibles et du dys­fonc­tion­ne­ment de mul­tiples organes. »

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Publi­ca­tion du ser­vice de san­té publique, numé­ro 1950, sep­tembre 1966, « Pro­thèses maxil­lo-faciales », décri­vant les injec­tions de sili­cone du Dr Saku­rai et d’un homme iden­ti­fié seule­ment comme « Franke » comme ayant intro­duit cette pra­tique aux États-Unis.

Ain­si, ce qui avait com­men­cé au Japon comme une expé­rience sur les femmes vic­times de l’exploitation sexuelle, trai­tées comme des objets pour la consom­ma­tion sexuelle des hommes, s’est éten­du aux show girls et aux strip-tea­seuses des États-Unis. L’ampleur des dégâts que les injec­tions de sili­cone ont infli­gés à la san­té des femmes ne sera jamais com­plè­te­ment appré­hen­dée, étant don­né que les femmes vic­times du tra­fic sexuel sont trai­tées comme des objets rem­pla­çables et qu’il n’existe pas de véri­tables dos­siers sur leur état de santé.

« Parce que les mili­taires amé­ri­cains mobi­li­sés au Japon pré­fé­raient des seins plus gros… Des barils de sili­cone de qua­li­té indus­trielle ont été volés sur des quais japo­nais et injec­tés dans les seins de pros­ti­tuées japo­naises. » Mars 2016, Annals of Plas­tic Sur­ge­ry https://www.researchgate.net/publication/297680823_Illicit_Cosmetic_Silicone_Injection

De plus, la Food and Drug Admi­nis­tra­tion (FDA) des États-Unis (l’ad­mi­nis­tra­tion amé­ri­caine des den­rées ali­men­taires et des médi­ca­ments) a cau­tion­né ces abus médi­caux [NdT : tout comme elle cau­tionne les chi­rur­gies muti­lantes trans, notam­ment l’ablation des seins des filles et des femmes et le pré­lè­ve­ment de rou­leaux de peau sur d’autres par­ties du corps pour fabri­quer un bou­din vian­deux tenant lieu de pénis]. En 1965, le Dow Cor­ning Cen­ter to Aid Medi­cal Research (Centre d’aide médi­cale Dow Cor­ning) a reçu la per­mis­sion de la FDA afin d’étudier les effets du sili­cone liquide sur les ani­maux et les humaines. Un nombre incon­nu de femmes ont été sou­mises à des expé­riences par des méde­cins amé­ri­cains, à leur insu ou sans leur per­mis­sion, et leurs dos­siers n’ont jamais été pré­sen­tés à la FDA.

Un article paru en 1967 dans le Jour­nal of Plas­tic and Recons­truc­tive Sur­ge­ry (jour­nal de chi­rur­gie esthé­tique recons­truc­tive), dont l’au­teur prin­ci­pal était le Dr Frank­lin Ash­ley, décrit ce qui s’est pas­sé lorsque du sili­cone liquide a été injec­té dans les seins de singes : chez 13 des ani­maux, les injec­tions de sili­cone ont pro­vo­qué une « nette réac­tion fibreuse » et une « des­truc­tion de l’a­na­to­mie locale ».

Dans le même article, Ash­ley affirme qu’un « groupe consti­tué d’un panel de femmes » a reçu des injec­tions répé­tées de 5 à 10 mil­li­litres de sili­cone liquide dans les seins. Le Dr Nor­man Ander­son, un chi­rur­gien de l’hô­pi­tal Johns Hop­kins ayant pré­si­dé les groupes consul­ta­tifs de la FDA sur les implants mam­maires en 1983 et 1988, a décou­vert que les résul­tats des injec­tions expé­ri­men­tales de sili­cone admi­nis­trées à envi­ron 20 000 à 40 000 femmes n’a­vaient jamais été ni publiés ni com­mu­ni­qués à la FDA.

Suite à cela, la FDA a mis fin à la licence d’ex­pé­ri­men­ta­tion sur les femmes et a révo­qué l’autorisation de mener ses expé­ri­men­ta­tions accor­dée à Dow. Mais en 1969, la FDA a de nou­veau auto­ri­sé Dow à tes­ter le sili­cone liquide, à condi­tion qu’il ne soit pas injec­té direc­te­ment dans les seins des femmes. Les chi­rur­giens plas­tiques ont donc com­men­cé à injec­ter le sili­cone direc­te­ment dans le visage des femmes.

Selon la jour­na­liste Judy Fore­man, écri­vant pour le Bos­ton Globe en 1992 :

« Dow a alors com­men­cé sa pre­mière grande étude sur les injec­tions de sili­cone pour les cor­rec­tions des tis­sus mous, y com­pris les rides et les cica­trices du visage chez 1 337 patientes, selon les recherches d’An­der­son. Mais selon les enquê­teurs du Congrès pour le dépu­té Ted Weiss, D‑N.Y., dont le sous-comi­té super­vise la FDA, pour un grand nombre de ces patientes, Dow ne four­nit jamais de don­nées à la FDA. »

Tan­dis que Dow menait à cette époque ses injec­tions de sili­cone liquide, les femmes des bor­dels du Neva­da qui avaient reçu des injec­tions de sili­cone ont com­men­cé à faire entendre leurs plaintes.

Des « mil­liers » de ces femmes « com­men­cèrent à pro­tes­ter », se sou­vient le Dr Edward Kopf, pro­fes­seur adjoint de chi­rur­gie esthé­tique à l’é­cole de méde­cine de l’u­ni­ver­si­té du Neva­da, se plai­gnant de pro­blèmes tels que des bosses, des kystes de sili­cone et des seins durs comme de la pierre.

En 1975, le Dr Kopf par­vint à per­sua­der les légis­la­teurs du Neva­da d’in­ter­dire le sili­cone injec­table. Le Colo­ra­do et la Cali­for­nie lui ont rapi­de­ment emboî­té le pas.

Cepen­dant, Dow conti­nua à fabri­quer des implants en gel de sili­cone. En 1976, lorsque le Congrès des États-Unis auto­ri­sa fina­le­ment la FDA à régle­men­ter les dis­po­si­tifs médi­caux, ces implants mam­maires furent exemp­tés de régle­men­ta­tion et de sur­veillance de la FDA parce qu’ils étaient déjà sur le marché.

Un chi­rur­gien retire le gel de sili­cone des seins d’une femme.

Judy Fore­man explique qu’un employé de Dow avait pro­tes­té contre l’u­ti­li­sa­tion de gel de sili­cone dans les implants, et avait été igno­ré par l’entreprise :

« La même année, Tho­mas Tal­cott, un ingé­nieur chi­miste de Dow qui dit avoir essayé “de convaincre Dow durant 13 mois” de ne pas uti­li­ser de sili­cone fluide pour ses implants rem­plis de gel, quit­ta la socié­té. Il décla­ra ne voir “aucune dif­fé­rence” entre le sili­cone que Dow met­tait dans le gel et la forme liquide que la FDA avait inter­dite en 1969 pour l’injection directe dans les seins des femmes.

Bien que le mar­ché des implants était en plein essor, Dow conti­nuait de fabri­quer du sili­cone liquide. En 1978, la FDA don­na son accord à Dow pour une étude sur le sili­cone injec­table dans le cadre des défor­ma­tions faciales graves, à condi­tion que la socié­té effec­tue un sui­vi de sept ans.

En 1990, Dow sou­mis ses résul­tats à la FDA — mais ceux-ci étaient plus que dis­cu­tables. Un tiers des 128 per­sonnes injec­tées ne pré­sen­taient même pas les défor­ma­tions faciales sti­pu­lées dans le plan de l’é­tude, selon l’é­quipe de Weiss. Dow pré­sen­ta éga­le­ment des pho­tos “avant” mais pas “après” de nombreux·se patient·es. Et la moi­tié des patient·es ne furent sui­vis que pen­dant quatre ans. Deux per­sonnes pré­sen­taient une grave dégra­da­tion des tis­sus cutanés. »

En 2013, la pré­si­dente du Centre natio­nal amé­ri­cain de recherche sur la san­té, Dia­na Zucker­man, écri­vit, sur au sujet de son enquê­té menée sur les nui­sances des implants mam­maires dans les années 90 :

« Lorsque les implants mam­maires furent ven­dus pour la pre­mière fois aux États-Unis dans les années 1960, aucun test n’a­vait été exi­gé pour s’as­su­rer de leur inno­cui­té. Pen­dant les 30 années qui sui­virent, plus d’un mil­lion de femmes aux États-Unis se firent poser des implants mam­maires, sans savoir qu’aucune étude sur des femmes n’a­vait jamais été réa­li­sée pour prou­ver leur inno­cui­té ou pour déter­mi­ner com­bien de mois ou d’an­nées ils dure­raient. [NdLT : il serait plus exact de dire que des chi­rur­giens hommes ont posé des implants mam­maires à plus d’un mil­lion de femmes aux États-Unis, sans se sou­cier de leur san­té.]

En 1990, je tra­vaillais comme enquê­trice à la Chambre des repré­sen­tants des États-Unis lors­qu’une employée du Sénat me contac­ta. Elle me racon­ta que sa mère s’é­tait fait poser des implants mam­maires après une mas­tec­to­mie, ce qui avait entraî­né de ter­ribles pro­blèmes, notam­ment une fuite de sili­cone au niveau des mame­lons. Sa mère avait été gué­rie du can­cer, mais les implants lui firent vivre l’enfer. J’é­tais sûre que la FDA avait des règles très strictes en matière de tests de sécu­ri­té, mais je pro­mis de me renseigner.

Je décou­vris que j’a­vais tort : la FDA n’a­vait jamais exi­gé d’es­sais cli­niques pour les implants mam­maires. Une audi­tion fut orga­ni­sée au Congrès, je pour­sui­vis mon enquête et, bien­tôt, les his­toires d’hor­reur de femmes dont la san­té avait été détruite par les implants mam­maires s’entassaient sur mon bureau – et parais­saient omni­pré­sentes dans les médias. »

Après des décen­nies d’ex­pé­ri­men­ta­tion médi­cale sur le corps des femmes, les implants mam­maires en sili­cone ont été approu­vés par la FDA en 2006. Cette déci­sion a été prise 14 ans après qu’un mora­toire ait été mis en place en 1992 par la FDA — en réponse aux mil­liers de femmes qui s’étaient plaintes du fait que les fuites de sili­cone pro­ve­nant de leurs implants (ou d’implants qui écla­taient) les ren­daient gra­ve­ment malades — et plus de quatre décen­nies après que le pro­duit chi­mique ait été intro­duit pour la pre­mière fois aux États-Unis à des fins esthétiques.

L’au­to­ri­sa­tion a été accor­dée par le direc­teur du ser­vice des dis­po­si­tifs médi­caux de la FDA, Daniel Schultz, qui a démis­sion­né en 2009, au beau milieu d’une contro­verse. Il avait été accu­sé de cor­rup­tion finan­cière — d’avoir pris le par­ti de four­nis­seurs indus­triels contre les recom­man­da­tions scientifiques.

Ces der­nières années, les implants mam­maires en sili­cone ont été liés à une nou­velle forme de can­cer du sein et à des actions en jus­tice collectives.

En 2012, un scan­dale a écla­té après qu’un rap­port du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique a révé­lé que les implants mam­maires fabri­qués par la socié­té Poly Implant Pro­thèse (PIP) pré­sen­taient un taux de rup­ture deux fois plus éle­vé que les autres. On a éga­le­ment décou­vert qu’ils étaient fabri­qués avec le même type de sili­cone que celui uti­li­sé dans les mate­las. On estime que plus de 400 000 femmes ont été tou­chées dans le monde, et que près de 50 000 d’entre elles étaient bri­tan­niques. L’A­mé­rique latine a été la plus tou­chée, en par­ti­cu­lier la Colom­bie, où l’on estime à 60 000 le nombre de victimes.

Les femmes ont décrit des dou­leurs et des maux mys­té­rieux, accom­pa­gnés d’un épui­se­ment extrême. Cer­taines femmes ont fait état de maux de tête intenses et de sai­gne­ments de nez. D’autres encore ont décla­ré être épuisées.

Cette année, un juge­ment de la Cour d’ap­pel de Paris a décla­ré que la socié­té alle­mande TÜV Rhein­land, qui avait cer­ti­fié que les implants étaient sûrs, avait com­mis une négli­gence. TÜV Rhein­land a été condam­née à ver­ser 60 mil­lions d’eu­ros à 20 000 vic­times euro­péennes pour négli­gence médi­cale. Tou­te­fois, cette indem­ni­sa­tion ne repré­sente que 3 000 euros par per­sonne et ne couvre même pas le coût de l’in­ter­ven­tion chi­rur­gi­cale ini­tiale, et encore moins les frais médi­caux occa­sion­nés par la maladie.

Le 14 mai 2020, la FDA amé­ri­caine a adres­sé une lettre d’a­ver­tis­se­ment à deux fabri­cants d’im­plants mam­maires — Aller­gan, en Cali­for­nie, et Ideal Implant Incor­po­ra­ted, au Texas — pour ne pas s’être confor­més aux exi­gences de réa­li­sa­tion d’é­tudes pour déter­mi­ner les risques poten­tiels et la sécu­ri­té de leurs implants ayant été rap­pe­lés en 2019. La FDA a décla­ré avoir fait cette demande « pour pro­té­ger les femmes contre le lym­phome ana­pla­sique à grandes cel­lules asso­cié aux implants mam­maires (BIA-ALCL). »

En octobre, la FDA amé­ri­caine a pla­cé des aver­tis­se­ments sur les embal­lages des implants mam­maires et a deman­dé aux fabri­cants de ne vendre ces dis­po­si­tifs qu’aux pres­ta­taires de soins de san­té qui exa­minent les risques poten­tiels avec les patients. Les implants mam­maires ont été liés à un can­cer du sys­tème immu­ni­taire et à une foule d’autres affec­tions chro­niques, notam­ment des mala­dies auto-immunes, des dou­leurs arti­cu­laires, une confu­sion men­tale, des dou­leurs mus­cu­laires et une fatigue chronique.

Selon la jour­na­liste Roni Caryn Rabin du New York Times :

« Il y a dix ans, la FDA a iden­ti­fié pour la pre­mière fois un lien pos­sible entre les implants mam­maires à sur­face tex­tu­rée et un can­cer par­ti­cu­lier, le lym­phome ana­pla­sique à grandes cellules.

Début 2019, après avoir reçu des cen­taines de mil­liers de rap­ports sur les effets secon­daires indé­si­rables liés aux implants au fil des ans, l’a­gence a enten­du le témoi­gnage de dizaines de femmes sur leurs luttes contre le can­cer et une mul­ti­tude d’autres pro­blèmes médi­caux han­di­ca­pants qui se sont déve­lop­pés après la chi­rur­gie des implants, des condi­tions qui sont sou­vent appe­lées la mala­die des implants mammaires. »

Les nou­velles direc­tives de la FDA iden­ti­fient les femmes ayant souf­fert d’un can­cer du sein comme étant les plus expo­sées au risque de can­cer lié aux implants — le groupe de femmes vers lequel les implants sont sou­vent com­mer­cia­li­sés pour la chi­rur­gie de recons­truc­tion. La FDA a éga­le­ment exi­gé la divul­ga­tion com­plète des ingré­dients des implants mam­maires pour la toute pre­mière fois.

Selon la FDA, un tiers des femmes ayant subi une opé­ra­tion d’im­plan­ta­tion mam­maire res­sen­ti­ront une dou­leur, une sen­si­bi­li­té ou une perte de sen­si­bi­li­té du sein, ou une asymétrie.

La moi­tié d’entre elles connaî­tront un res­ser­re­ment dou­lou­reux du tis­su cica­tri­ciel autour de l’im­plant, et un tiers auront des implants qui se rompent ou fuient. Près de 60 % des patientes devront subir une nou­velle intervention.

« C’est mieux que rien, mais ce n’est pas aus­si bien que cela pour­rait l’être », a décla­ré Dia­na Zucker­man, la scien­ti­fique qui dirige le Natio­nal Cen­ter for Health Research et qui était membre du groupe de tra­vail ayant conseillé la FDA sur la sécu­ri­té des implants.

« Les scien­ti­fiques disent des choses comme : “les implants mam­maires sont asso­ciés au lym­phome”, mais le lym­phome est en fait cau­sé par les implants », a décla­ré le Dr Zucker­man au New York Times. « Les gens com­prennent seule­ment si vous dites : “Les implants mam­maires peuvent cau­ser un lymphome” ».

Cet essai ne consti­tue en aucun cas un exa­men com­plet de la longue his­toire des abus médi­caux et des expé­ri­men­ta­tions pra­ti­quées sur les femmes par l’es­ta­blish­ment médi­cal et l’in­dus­trie de la chi­rur­gie esthé­tique — domi­nés par les hommes. Une telle ana­lyse méri­te­rait au moins un, voire plu­sieurs livres. Si j’at­tire l’at­ten­tion sur l’his­toire des implants mam­maires, c’est pour deux rai­sons : pre­miè­re­ment, cette infor­ma­tion a été occul­tée de la conscience publique et, deuxiè­me­ment, les implants mam­maires conti­nuent d’être com­mer­cia­li­sés auprès des femmes et ont trou­vé un regain de popu­la­ri­té grâce à la pré­va­lence crois­sante des influen­ceurs de beau­té sur les médias sociaux et à la mon­tée en puis­sance des chi­rur­gies esthé­tiques dites « d’af­fir­ma­tion du genre ».

Gene­vieve Gluck


Tra­duc­tion : Audrey A.

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