« You Lost Russia, Stupid… »

« You Lost Russia, Stupid… »

« You Lost Russia, Stupid… »

1er ocrobre 2022 (21H15) – Le discours d’hier du président Poutine installant les quatre régions ukrainiennes russophones comme partie intégrante de la Fédération de Russie a, comme l’on s’en doute, suscité des réactions diverses et, bien entendu, souvent extrêmes sinon extrêmement basses et agressives.

Je mentionne juste les françaises sans m’y attarder pour dire, comme monsieur de la Palisse et sans plus, qu’il y en eut. Elles furent en général, dans le courant qui domine, dit d’un mot exquisément français ‘mainstream’, ou selon un mot forgé dans les ateliers du site, conformes à la “presseSystème” (y compris les réseaux TV, certes, et la censure courante). De celle-ci, de la presseSystème dans sa vastitude conforme et qui forme la majorité de la communication française, je m’en tiendrais à cette citation de la plume gaillarde et très ferme de Régis de Castelnau, valant pour toutes les occurrences russes qui permettent aux petits marquis friqués et salonards de vomir leur antirussisme.

L’extrait vient d’un texte concernant l’attaque et la sabotage des gazoducs. Peu importe le thème, puisque ce qui importe ce sont la méthode, l’état d’esprit et la soumission stupide, et sans répit :

« … Les médias système français quant à eux, ne se gênaient pas pour avancer immédiatement et sérieusement la même hypothèse  [les Russes coupables, ou « Célérusses ! »]. […]

» Accuser les Russes, c’est considérer que pour éteindre une gazinière, plutôt que de tourner le bouton, il vaut mieux donner un coup de hache sur le tuyau. Ce qui est d’ailleurs intéressant, c’est que lorsque l’on se tourne vers les États-Unis pour voir ce que la presse en dit, en constate que les journalistes américains n’hésitent pas à poser le problème et à interpeller, voire accuser l’administration Biden. Malheureusement chez nous cet épisode a permis de constater une fois de plus l’effondrement intellectuel et déontologique de la classe médiatique qui s’est précipitée sans aucun complexe sur l’hypothèse la moins crédible. Avançant par exemple l’argument inepte de la volonté russe de faire monter le prix du gaz ou de porter préjudice à l’Allemagne son meilleur client. Inepte parce qu’il leur suffisait de tourner le bouton. Ou celui de la volonté russe de porter préjudice à l’image des États-Unis en Occident. Ils ont pourtant fait la démonstration à plusieurs reprises qu’ils s’en moquaient éperdument. Triste constat de voir que dans cette sphère occidentale les élites françaises de la communication sont, soit les plus bêtes, soit les plus corrompues. »

Passons outre puisque la chose est universellement connue. Il reste qu’il y eut un discours celui de Poutine, et que j’avoue ne pas l’avoir suivi précisément. En cette matière, j’ai mes sources, que je vérifie à chaque occasion et dont j’attends qu’elles répondent à une perception intuitive qui m’est propre et que je tiens, dans cette période de postvérité, comme une référence essentielle de mon appréciation subjective confrontée par moi en permanence à ce que je perçois de la vérité-de-situation. Me suis-je bien expliqué ?

On sait, car on l’a déjà vu et que je m’en suis expliqué justement, qu’Alexander Mercouris tient actuellement ce rôle avec brio. C’est donc vers lui que je me tourne, notamment sur cette vidéo où il intervient seul, hier 30 septembre 2022 (le commentaire sur le discours de Poutine est à 25’20” jusqu’au terme [58’49”] sur la vidéo). Mercouris juge que le discours est 

« dans son ensemble tout à fait extraordinaire et, d’une certaine façon, quelque chose de tout à fait différent de tous les discours qu’il a fait dans le passé… Pour la première fois à ma connaissance, tout au long de son discours, Poutine différencie clairement la Russie de l’Europe… »

Pour Mercouris, cette précision fondamentale, – culturellement, géopolitiquement, économiquement, – n’avait plus été exprimée depuis les alentours de Pierre Le Grand, y compris par les dirigeants soviétiques, Lénine d’abord, Staline pendant la guerre, Krouchtchev et Brejnev ensuite. S’il y avait des mésententes, des querelles, des affrontements  idéologiques avec d’autres pays européen, sinon avec le reste de l’Europe, cela était toujours perçu et exprimé dans un cadre commun, c’est-à-dire la Russie faisant partie de l’Europe… C’en est donc fini !

Au contraire, Poutine désigne les “puissances de l’Ouest” (l’Europe dont il ne fait plus partie, avec les Etats-Unis tout serrés) comme des puissances impérialistes et colonisatrices depuis la fin du Moyen-Âge, qui tentèrent à plusieurs reprises de faire de la Russie leur colonie, n’y réussirent qu’une seule fois (les années 1990), – dont la Russie s’est libérée enfin pour s’affirmer. Ce faisant, Poutine affirme que la Russie fait partie de toutes ces nations que l’on embrasse aujourd’hui sous l’expression de “Grand Sud”, – ou “Sud Profond”, ou “Sud Global”, – soit la Chine, l’Inde, nombre d’autres pays asiatiques, les pays du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Amérique Latine ; que la Russie fait partie de ces nations qui, toutes, ont un contentieux historique avec l’Europe et refusent une nouvelle forme de colonialisme (le néo-colonialisme par l’hégémonie et l’ultra-libéralisme)…

« Bien entendu, vous pouvez accepter ou dénier cette conception de l’histoire mais le point ici que la Russie et les Russes disent aux pays du ‘Sud Global’ : “Ne voyez pas la Russie comme une puissance européenne. Nous n’avons jamais fait partie de ce projet globaliste et impérialiste. Au contraire, comme vous nous avons été une de ses cibles. Comme vous, nous sommes victimes de cette même agression coloniale que vous avez subie et subissez. Nous nous identifions à vous, donc vous pouvez vous identifier à nous..”. »

Poutine présente la Russie comme une civilisation distincte de la civilisation “de l’Ouest” (USA et Europe), et il en veut pour preuve la façon dont l’Ouest est aujourd’hui occupée à “annuler” partout où il le peut, et sous toutes les formes possibles, tout ce qui est lié à la Russie et à sa culture. Il y a donc bien une “civilisation russe” distincte de l’Ouest, sinon jugée antagoniste à lui-même par l’Ouest, qui se déclare étrangère aux “valeurs” et à la façon d’être de l’Ouest pour se retourner vers le “Sud Global” dont elle est plus proche. Mercouris insiste et répète :

« C’est un point très intéressant parce que aucun dirigeant russe, certainement depuis l’époque de Pierre Le Grand, n’a jamais parlé dans ce sens. Aucun dirigeant russe n’a affirmé que la Russie est différente et distincte de l’Ouest de la façon radicale et extensive que Poutine a développée, et je suspecte, vu son autorité et sa durée à la tête du pays, que cette conception est partagée par une majorité de Russes… »

Certes, là-dessus Mercouris ajoute une réserve car il n’est pas maître des horloges de l’avenir, non plus que Poutine, non plus que, ô encore bien moins, l’Ouest chaotique et prisonnier de lui-même…

« Maintenant, combien de temps cette vision nouvelle va-t-elle durer, c’est une autre question ; de savoir si, au bout du compte, les Russes vont finir par se dire que, malgré tous les problèmes qui subsistent, ils sont finalement des Européens plutôt qu’autre chose, – Je ne sais… »

Il s’ensuit par conséquent que, selon la formule fameuse à Washington en 1949, lors de la prise de pouvoir de Mao (« Who has lost China ? »), résonne cette affirmation de Mercouris :

« Il reste que, pour le temps courant, l’Ouest a perdu la Russie… »

Et certes, voilà que je ne peux me résoudre à ce seul constat, – qui est un constat historique, du temps présent, en un temps métahistorique où le temps file à une telle prodigieuse vitesse que s’entassent les us après les autres, les “constats [les événements] historiques” ; certes, je ne peux me résoudre, en tant qu’Européen sans être fier de l’être pour ce moment, à perdre Dostoïevski, Tchaïkovski, Pouchkine et tant d’autres… C’est à ce point que tout se complique, dans un sens que Mercouris, – ni Poutine d’ailleurs, – n’a pas évoqué.

Si la Russie n’est plus d’Europe, de quelle Europe s’agit-il ? Dans mon point de vue, la France, l’Italie, l’Espagne, sont-elles d’Europe si l’Europe est à la fois l’UE et la soumission transatlantique ? Suis-je moi-même Français si la France n’est que trahison et cul de basse-fosse d’elle-même ? Combien de contradictions ce discours ne recèle-t-il pas ! Mais il n’en faut point faire grief à Poutine, malgré nos mouvements convulsifs de psychopathes pavloviens, car l’orateur n’y est pour rien

Ces contradictions sont nôtres et, bien entendu, enfantés par la folie antirusse qui nous a saisis, jusqu’à mettre à jour des contradictions extraordinaires, – qui sont les nôtres, je me répète et le répète, – pas celles de Poutine !

Car ce que Poutine dénonce et qui lui fait rejeter l’Europe, c’est d’abord une culture et une façon d’être que rejettent tant de gens dans les peuples d’Europe, dans des mouvements déjà constitués et désignés comme populistes “de droite et de gauche” par le Système. Ce que défendent la Russie et Poutine, ce sont, schématiquement dit, la tradition et les structures qu’elle implique, contre les folies de la déconstructuration. Ce que défend une Georgia Meloni, – quoiqu’il ne fut pas utile qu’elle envoyât un message de soutien à Zelenski, – “ce sont, schématiquement dit, la tradition et les structures qu’elle implique, contre les folies de la déconstructuration”… Guénon n’est pas très loin, n’est-ce pas ?

Une partie importante des conservateurs et patriotes occidentaux n’a pas compris, souvent par inculture historique et ignorance des relations internationales depuis 1989, qui défendait quoi dans la guerre en Ukraine, et qui était fautif de quoi. Par inculture, oui, ils en sont restés aux confortables lieux communs de la Guerre Froide, n’ayant toujours pas compris le rôle qu’y ont joué les Etats-Unis. Par affectivisme, celle qu’il reproche si souvent à leurs adversaires intérieurs essentiellement sur tant de sujets sociétaux, ils ont choisi le parti de l’Ukraine qui n’est rien d’autre que “le parti de l’OTAN” en ignorant absolument ce que l’OTAN a fait pour parvenir à cette situation.

On pourrait observer les mêmes ambiguïtés, les mêmes contradictions sur les sujets sociétaux justement (LGTBQ & Cie). On sait que les LGTBQ et tout ce qui compte de féministes furieuses et d’écologistes enragés (la ministre allemande des affaires étrangères en est un excellent exemple, comme va-t’en-guerre atlantiste), c’est-à-dire tout ce qui compte de déstructurant dans ces mouvements, sont partisans de Zelenski et ennemi à mort de Poutine.

Les conservateurs et patriotes occidentaux, les “tradis” et autres, se trouvent-ils à l’aise dans cette position ? Ne croient-ils pas qu’il y aurait un petit travail d’éclairage et de compréhension à faire ? Savent-ils que la question ukrainienne ne se règle pas sur les plateaux TV parisiens, mais aussi bien dans l’histoire des relations entre l’Europe, les USA, l’OTAN et la Russie depuis 1990 ? (Voyez Sachs, par exemple, qui vous dit chez qui naît la faute de « Ukrisis à l’origine ».)

Ces gens-là, qui défendent les belles vertus structurant les civilisations, ne sont-ils pas en train de “perdre la Russie” par simple inculture et paresse très parisienne (je me comprends) de l’esprit ?

Cela dit, bien entendu, “la Russie qui ne fait pas partie de l’Europe”  c’est un peu dur à avaler d’un point de vue conceptuel et, justement, culturel… Sinon, bien sûr, à redescendre sur terre et à se rire de l’Europe qu’ils prétendent avoir instituée, et qui n’est que l’Orque immonde auquel une ‘Secte’ fait ses dévotions… Chacun doit préciser ses conceptions. 

“Cela dit, bien entendu” (bis), il ne faut pas trop chercher de noises à Poutine. Malgré ses habiletés stratégiques (mettre le ‘Sud Global’ dans sa poche, et encore sans trop solliciter l’histoire face à une Europe-USA qui passe son temps à se flageller), il a fait un discours de survivaliste. Pour lui, le sort, l’existence même de la Russie est en jeu sur ses frontières occidentales, et lui qui sait parfaitement ce qu’est le nucléaire face aux fous conduits par un gâteux qui n’en savent rien, il n’hésitera pas à en faire usage si le sort l’y contraint. C’est une perspective qui doit être lourde à porter, de la sorte que Pierre Le Grand lui-même n’eut jamais à considérer, lorsqu’on a en face, pour “dialoguer”, le choix entre les fous et un gâteux. Sa rupture avec l’Europe se place dans cette nécessité qu’on ne peut en aucun cas soumettre à une discussion puisque lui-même (Poutine) refuserait de s’y soumettre sans qu’on puisse le lui reprocher.

Pour le reste, il n’empêche pas que l’on puisse réfléchir sur les véritables fondements de cette évolution, sur le fait qu’un incroyable imbroglio où l’“Ouest” a l’essentiel de la faute, nous fasse déboucher sur des positions aussi radicales sinon absurdes et insupportables, et qu’on ne peut pour autant écarter ni condamner.

Tout ça pour ça ? Oui, justement… Dieu ne joue pas aux dés mais, comme dit l’autre, si souvent cité par les temps qui volent (ce qui est un indice), 

Il « se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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