Héritage thatchérien, baisses d’impôts, aides mal distribuées et mal financées : l’austérité qui vient au Royaume-Uni

Héritage thatchérien, baisses d’impôts, aides mal distribuées et mal financées : l’austérité qui vient au Royaume-Uni
Désignée le 6 septembre 2022, Liz Truss, la nouvelle Première ministre du Royaume-Uni, tire sa légitimité des seul·es 172 000 adhérent·es du parti conservateur [1]. Cet « électorat », majoritairement âgé et riche, a voté pour un programme de baisses d’impôts et de dérégulation de l’économie britannique. Comme pour les rassurer, la nouvelle Première ministre a annoncé, peu après son élection, qu’elle n’était pas là pour « distribuer des subventions » [2]. Dans le même temps, le nouveau Chancelier de l’Échiquier [3], Kwasi Kwarteng, définissait l’objectif principal du gouvernement de la façon suivante : « Stabilité monétaire et discipline budgétaire à moyen terme » [4]. Tout cela n’a rien de surprenant de la part d’une nouvelle Première ministre qui prend pour modèle Margaret Thatcher. Cette dernière avait violemment durci les conditions nécessaires pour organiser une grève au Royaume-Uni, la première souhaite augmenter le pourcentage minimum de présence des membres d’un syndicat lors de la consultation officielle qui précède une grève [5]. Liz Truss veut également qu’un service minimum soit assuré sur les infrastructures nationales comme le train ou les bus quand il y a une grève, ce qui permettrait de casser les grèves en tout légalité [6].

Liz Truss arrive au pouvoir dans un contexte d’inflation à l’origine d’une vague de grèves

Liz Truss est mise sous pression par « Dont’ Pay », par les syndicats, par les organisations non gouvernementales et par certain·es économistes

Liz Truss s’installe à Downing Street dans un contexte inflationniste non-compensé par une hausse des salaires. Notamment provoquée par une crise énergétique, et largement amplifiée par la spéculation, cette inflation atteignait plus de 10% en juillet 2022 [7]. Combinée à la baisse de l’activité économique, elle a provoqué un profond mécontentement social caractérisé par l’un des mouvements de grève les plus massifs depuis des décennies. Il traverse plusieurs professions : les cheminots, les dockers, les avocat·es pénalistes ou encore les enseignant·es de la fonction publique [8]. La contestation a également débouché sur le mouvement « Don’t pay UK ». Une pétition a été lancée pour ne pas payer les factures d’énergie si un million personne promettent de le faire d’ici au 1er octobre 2022 [9]. Ces mouvements explosent dans un pays particulièrement touché par la hausse des prix de l’énergie, où le prix du gaz a été multiplié par sept sur une année [10].

Malgré sa volonté de faire un pas supplémentaire dans le désengagement de l’État de l’économie, Liz Truss est mise sous pression par « Dont’ Pay », par les syndicats (même si les grèves se sont interrompues avec la mort d’Elisabeth II), par les organisations non gouvernementales et par certain·es économistes. Elle n’avait d’autre choix que d’apporter une réponse à la flambée des prix de l’énergie, d’autant plus que les plafonds des factures énergétiques devaient quasiment doubler au 1eroctobre 2022 [11]. Beaucoup de foyers britanniques n’auraient pas pu payer, ce qui aurait amplifié la colère sociale et l’aurait rendue incontrôlable.

Liz Truss bloque les prix de l’énergie et baisse les impôts : des mesures qui profitent davantage aux plus riches qu’aux plus pauvres

Les premières mesures annoncées par Liz Truss feront gagner, en moyenne, 4 700 livres aux 10% des ménages les plus riches et seulement 2 200 livres aux 10% les plus pauvres

Depuis le début de son mandat, Liz Truss a annoncé plusieurs mesures – dont le gel du prix de l’énergie et des baisses d’impôts – favorisant davantage les plus riches que les plus pauvres.

La première mesure phare est le gel des prix de l’énergie pour les particuliers pendant deux ans. Ainsi, la facture énergétique d’un foyer britannique moyen s’élèvera à 2 500 livres (environ 2 800 euros) par an [12]. Pour un ménage britannique moyen, cela représentera une économie d’environ 1000 livres par an. Si rien n’avait été fait, les factures énergétiques auraient presque doublé dès octobre 2022 pour atteindre une moyenne de 3 549 livres annuelle. Précisons enfin que le gel des prix de l’énergie vient s’ajouter à une baisse de 400 livres des factures concédée par le gouvernement précédent.

Cependant, selon la Resolution Foundation, les premières mesures annoncées par Liz Truss – le gel du prix de l’énergie et les baisses d’impôts annoncées pour le printemps 2023 – feront gagner, en moyenne, 4 700 livres aux 10% des ménages les plus riches par rapport aux revenus qui auraient été les leurs si rien n’avait été fait. Concernant les 10% les plus pauvres, le bénéfice des mesures annoncées par Liz Truss n’atteindra, en moyenne, que 2 200 livres [13].

Ce différentiel a deux explications principales. La première tient au fait que les ménages les plus riches consomment bien plus d’énergie que les plus pauvres. Leurs habitations sont bien plus grandes donc plus gourmandes en chauffage, leurs voitures sont plus nombreuses et plus grosses donc consomment davantage. Comme les mesures gèlent les prix de l’énergie sans cibler une population particulière, elles profitent – en valeur absolue – davantage à ceux et celles qui consomment le plus. D’autre part, l’écart entre le bénéfice des premières mesures gouvernementales annoncées pour les plus pauvres et pour les plus riches s’explique par la baisse d’impôts annoncée par Liz Truss pour le printemps prochain. Cette baisse – qui profitera 250 plus aux ménages les plus riches qu’aux plus pauvres [14] – sera répercutée sur l’assurance nationale. Elle est donc synonyme d’une baisse des ressources pour une caisse (celle liée à l’assurance nationale) qui sert à financer les soins sociaux et le système de santé public britannique. La Première ministre assume cette politique fiscale profondément inégalitaire, affirmant qu’il ne faut pas voir toutes les politiques économiques « sous l’angle de la redistribution » [15].

Liz Truss a aussi décidé de lever temporairement une taxe sur l’énergie destinée à financer la transition énergétique vers la neutralité carbone, dans le but de faire baisser les factures énergétiques des foyers britanniques [16]. Après le terrible été 2022, il est évident que la bifurcation écologique et énergétique est une priorité qui doit mobiliser des ressources massives. La baisse des factures pour les ménages doit passer par d’autres moyens que la suspension d’une taxe dédiée à cet objectif, bien que celle-ci soit insuffisante.

Encadré : Pour répondre à la crise énergétique, Liz Truss relance la production de gaz de schiste

Dans le but de produire davantage d’énergie pour être moins dépendante de la production venant de l’étranger, Liz Truss a décidé de lever un moratoire sur la production de gaz de schiste [17]. Plutôt que de cibler le train de vie des plus riches qui polluent le plus – en 2019, les 10% les plus riches ont émis la moitié des émissions de dioxyde de carbone mondiales [18]– en utilisant la règlementation ou la taxation, Liz Truss décide donc de relancer la fracturation hydraulique.

Cette dernière, très répandue aux États-Unis, a provoqué de multiples conséquences néfastes : destruction de paysages, séismes locaux, pollutions des eaux, cancers, naissances prématurées, dégâts sur le système nerveux et respiratoire pour les personnes vivant à proximité des puits de gaz ou de pétrole, perturbations des trajets migratoires des oiseaux [19]… Pendant l’extraction du gaz de schiste, 4% du méthane libéré pendant l’opération – un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2 – se dégage dans l’atmosphère.

Une étude de la National Oceanic and Atmospheric Administration, portant sur les émissions des puits de gaz du comté de Weld au Colorado, a conclu que ces infrastructures destinées à extraire le gaz émettaient l’équivalent de 1 à 3 millions de voitures.

Site de fracturation hydraulique pour extraire du gaz de schiste
https://creativecommons.org/licenses/by-nd-nc/2.0/jp/?ref=openverse.

Des mesures entièrement financées par l’endettement

Les 150 milliards de livres empruntés pour financer les mesures annoncées par Liz Truss vont être remboursés pendant des années par les contribuables britanniques, qui ne débourseront pas 150 mais 195 milliards de livres

L’ensemble des mesures de soutien décidées par Liz Truss vont coûter 150 milliards de livres à l’État britannique [20], qui va prendre à sa charge l’écart entre le prix du marché exercé par les fournisseurs d’énergie et le coût effectivement payé par les consommateur·ices. C’est plus du double des sommes qui avaient été dépensées pour financer le chômage partiel pendant la pandémie de Covid-19.
Pour financer ces nouvelles dépenses, Liz Truss aurait pu augmenter les impôts sur les grandes entreprises, sur les ménages les plus riches du pays, ou taxer les profits exceptionnels des grandes entreprises du secteur de l’énergie. Elle a choisi de faire reposer le gel des prix de l’énergie (et les baisses d’impôts des plus riches) sur l’endettement. Un endettement qui devient de plus en plus coûteux pour deux raisons :

  • La Banque d’Angleterre va augmenter ses taux d’intérêt [21].
  • Face à la hausse des dépenses publiques annoncée par le gouvernement, les spéculations des marchés financiers ont abouti à la hausse des taux d’intérêt des bons du trésor britannique à 10 ans, autour de 3% [22].

Les taux d’intérêt sur les obligations britanniques n’ont jamais été aussi hauts depuis dix ans. Ainsi, l’endettement se renchérit et les 150 milliards de livres empruntés pour financer les mesures annoncées par Liz Truss vont être remboursés pendant des années par les contribuables britanniques, qui ne débourseront pas 150 mais 195 milliards de livres (150 milliards + 3% d’intérêts annuels, dans le cas où toutes les obligations sont émises sur 10 ans).

Dans quelques mois, le retour certain d’une politique d’austérité accroissant violemment des inégalités déjà abyssales

Les 2 365 milliards de livres d’une dette publique équivalente à 99,6% du PIB constitueront le prétexte parfait pour désengager l’État de l’économie, privatiser et détruire les mécanismes de redistribution

Les premières mesures de Liz Truss, qui poursuit un objectif de « discipline budgétaire », creusent considérablement le déficit public et la dette publique. Il faut donc s’attendre à un violent retour de l’austérité au Royaume-Uni dans les prochains mois et dans les prochaines années. En effet, l’héritage thatchérien de Liz Truss ne laisse aucun doute sur la suite des évènements. Les 2 365 milliards de livres d’une dette publique équivalente à 99,6% du PIB [23]constitueront le prétexte parfait pour désengager l’État de l’économie, privatiser et détruire les mécanismes de redistribution. L’austérité touche principalement les plus pauvres car elle réduit les dépenses sociales – allocations familiales, allocations logement et handicapé·es, services sociaux, minimas sociaux – vitales pour une partie importante de la population. L’austérité s’attaque également aux services publics qui sont un puissant facteur de réduction des inégalités car tout le monde y a accès. Sans surprise, les pays qui ont mené des politiques d’austérité drastiques sont parmi les plus inégalitaires au monde [24]. Le Royaume-Uni en fait déjà partie avant même le début du mandat de Liz Truss. Déjà marqué par près de 40 années d’austérité, le pays est le deuxième pays le plus inégalitaire parmi les pays du G7, derrière les États-Unis [25].

Une politique d’austérité sera d’autant plus dangereuse que le niveau de dette privée au Royaume-Uni est inquiétant. Avec une dette privée équivalente à 322,8% du PIB en 2020, le risque de crise de la dette privée dans le pays est réel. Or, en réduisant la présence de l’État dans l’économie, Liz Truss transfèrera aux particuliers en difficultés des dépenses assurées par l’État, augmentant par conséquent leurs dépenses globales donc leurs niveaux d’endettement. Dans un contexte d’inflation non compensée par une hausse des salaires et des allocations sociales, une telle politique pourrait faire exploser les niveaux d’endettement privé (notamment les crédits à la consommation). Un tel scénario pourrait alors provoquer une crise de la dette privée qui pourrait mettre des banques en faillite et faire exploser la dette de l’État si ce dernier décidait de sauver ces dernières, comme il l’a fait en 2008-2009 suite à la crise des subprimes.

Maxime Perriot

L’auteur remercie Pablo Laixhay, Christine Pagnoulle et Éric Toussaint pour leurs relectures
Notes :

[1] Ces adhérent·es ont voté pour trouver un·e remplaçant·e à Boris Jonhson qui a démissionné le jeudi 7 juillet 2022.
[3] Le ministre du gouvernement britannique chargé des finances et du trésor.
[4] Ibid.
[5] Le Trade Union Act de 2016 a rendu obligatoire une consultation officielle qui doit réunir au moins 50% des membres d’un syndicat pour déclencher une grève. Liz Truss souhaite faire grimper ce taux.
[8] Marie Billon, art.cité.
[9] Le vendredi 16 septembre, près de 189 000 personnes avaient signé la pétition.
[12] « Royaume-Uni : Liz Truss annonce un gel des prix de l’énergie », art.cité.
[15] Ibid.
[16] « Royaume-Uni : Liz Truss annonce un gel des prix de l’énergie », art.cité.
[17] Alex Lawson, Jessica Elgot, « Liz Truss’s energy bailout : key points at a glance », The Guardian, 08/09/2022, https://www.theguardian.com/business/2022/sep/08/liz-truss-energy-bills-plan-key-points
[20] « Royaume-Uni : Liz Truss annonce un gel des prix de l’énergie », art.cité.
[21] A.G avec AFP, art.cité.
[22] Cela signifie que l’État britannique paiera, tous les ans, 3% de la somme empruntée en guise d’intérêts aux créanciers qui auront acheté une obligation qui met 10 ans à arriver à échéance.
[23] En mars 2022, chiffres de l’Office national des statistiques britannique.
[25Peter Qalker, Rupert Neate, art.cité.

Maxime Perriot CADTM Belgique


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