Les leçons de Samarcande

Les leçons de Samarcande

Le Sommet du Conseil de Coopération de Shanghaï de Samarcande, carrefour stratégique historique de la route de la Soie, a non seulement démontré l’émergence d’une Eurasie continentale s’étendant du Pacifique jusqu’aux confins de la Pologne rejetant plus ou moins toute forme d’hégémonie des puissances océaniques mais que le président russe Vladimir Poutine est loin d’être isolé comme l’a voulu la faction de l’État profond ayant pris le pouvoir à Washington.

Un monde nouveau s’est démarqué à Samarcande: le président russe Vladimir Poutine est entouré des Chefs d’États de près de la moitié de l’humanité. À noter la proximité du président turc Tayep Reçep Erdogan avec son homologue azéri Ilham Aliev, la présence du président iranien Raissi dont la pays a intégré le Conseil, celui du président biélorusse Loukachenko, le Premier ministre pakistanais, les présidents de l’Ouzbékistan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Kazakhstan, de la Mongolie et le Premier ministre indien.

Ce bloc eurasien, lequel est loin d’être soudé comme a montré la résurgence chronique des conflits frontaliers (Tadjikistan-Kirghizistan, Chine-Inde) , ressemble à celui de l’Empire mongol lors de sa phase d’extention maximale. Il rassemble près de la moitié de l’humanité, d’immenses ressources énergétiques et minières et un pourcentage très élevé de la terre ferme sur la planète. Il converge dans son refus d’un monde unipolaire qui a lamentablement échoué et appelle à l’émergence d’un monde multipolaire et multilatéral loin de toute mentalité hégémonique ou totalitariste.

Cette approche peut être naïve et pour le moins réductrice tant la réalité est bien plus complexe. Cette réalité enseigne pourtant à des élites de pays aux intérêts fort divergents qu’ils ont plus intérêt à s’unir contre ce qu’ils perçoivent comme une fuite en avant suicidaire des puissances océaniques et les coteries financières qui se cachent derrière ces puissances hégémoniques. Le combat est avant tout économique et l’enjeu principal est la mise à mort d’un système économique mondial à bout de souffle basé sur une immense fraude et une spéculation sans limites. Au-delà des déclarations d’intention, l’enjeu de la guerre mondiale hybride en cours est la dé-dollarisation de l’économie mondiale et la fin du monopole exclusif du cyberespace par une seule puissance.

Le dirigeant chinois Xi Jinping a appelé à faire face aux révolutions colorées et autres formes de guerre hybride visant des gouvernements de pays classés comme hostiles par la paranoïa des puissances océaniques. Pour les Chinois, comme spécifié par un éditorial édifiant à ce propos du Global Times, l’Occident collectif est incapable de percevoir le monde au delà de son prisme paranoïaque et compétitif. Tout y est perçu comme rivalité, compétition et guerre et donc comme une menace à adresser et traiter par la guerre et l’affrontement. Pour Vladimir Poutine, les élites de l’Occident collectif sont tellement engluées dans une mentalité et même une philosophie coloniale qu’elles sont incapables de voir le monde tel qu’il est et continuent à vivre dans un mythe fallacieux et artificiel. Pour le président russe, ces élites se sont habituées à vivre au dépens d’autrui et ne peuvent imaginer un monde pouvant fonctionner autrement.

La guerre en Europe orientale importe peu dans cette grande stratégie. Il s’agit d’un front parmi tant d’autres, ouvert suite à l’expansion inexorable de l’OTAN vers l’est en Eurasie. Paradoxalement même le dirigeant d’un pays clé de cette alliance militaire offensive qu’est la Turquie a compris les enjeux réels et joue des coudes pour se faire une “place au soleil” selon l’expression d’un ex-Premier ministre israélien assassiné.

Le conflit en Ukraine n’est qu’un seul parmi une dizaine en cours de préparation. La géopolitique de l’Ukraine est terriblement complexe et compliquée d’un point de vue historique. C’est un territoire artificiel qui a joué un rôle hautement déstabilisateur dans l’histoire de la Russie tsariste et la Pologne puis dans celle de l’ex-URSS jusqu’à son démantèlement. L’idée de création d’une anti-Russie dans ce territoire fort riche ne date pas d’aujourd’hui mais remonte aux années 50. La guerre en Ukraine aurait pu être évitée sans interférence étrangère mais sa transformation en pion sacrificiel de la guerre mondiale hybride pour abattre la Russie, objectif secondaire, afin de préparer le terrain à une confrontation finale avec la Chine, objectif prioritaire, a créé une situation dans laquelle il y a très peu d’options de sortie de crise sans altération significative des cartes géopolitiques. L’implantation en masse de toutes les armées privées du monde dans ce pays confirme la régression du concept des armées régulières nationales et la montée en puissance des mercenaires. Les armées nationales sont de facto de plus en plus inadaptées aux nouvelles formes de conflit impliquant un usage croissant de ce que l’on pourrait appeler la guérilla mécanotronique (drones kamikazes, drones terrestres, mines intelligentes et drones d’attaque).

C’est une nouvelle évolution semblable à celle ayant succédé à l’invention des armes à feu et à la prédominance des gens à pied (l’infanterie) sur les gens à cheval (cavalerie) dès le XVIème siècle dans un monde où l’hégémonie d’un empire déclinant qui se traduit par la ruine de son système politique basé sur le simulacre et la répression de plus en plus flagrante des libertés se heurte à celle de puissances émergentes aux intérêts divergents mais que l’agressivité de l’hegemon a mis en alerte. La mondialisation n’était en fin de compte qu’une ruse de guerre cachant une nouvelle féodalité avec nouveaux seigneurs, suzerains et une multitude de serfs et autres lansquenets corvéables à merci dans un système économique basé sur des monnaies fiduciaires manipulées et produites à volonté par les puissants. Cette globalisation était en fait une occidentalisation du monde et il est tout à fait significatif qu’elle fut utilisée comme instrument pour geler le cours de l’histoire avec le triomphe définitif de l’Empire comme l’illustre à la fois la fin de la dystopie fictive de 1984, écrit par Éric Blair, alias George Orwell, un espion du Mi-6 et “La fin de l’histoire” de Francis Fukuyama, un idéologue de la CIA. Le seul hic est que l’histoire est toujours en marche, vers le pire suivant le principe universel d’entropie, ou vers le meilleur suivant l’utopie née de l’esprit humain tentant de façonner un réel conforme à l’idée mais dont la complexité intrinsèque lui échappe depuis au moins 8000 ans.

Samarcande, le centre du monde ancien, est devenu à nouveau le centre du nouveau monde qui s’annonce. La bataille sera rude. Des pays disparaîtront de la carte et des régions entières du monde seront affectées. C’est le prix à payer pour se débarrasser d’un “système” imposé sur l’ensemble du monde pour le bénéfice d’une infime minorité qui dirige le monde en coulisse. La principale leçon de Samarcande est que les “autocrates” asiates et eurasiens ont décidé de lutter contre les marionnettistes totalitaires, bellicistes et tyranniques cachés dans l’ombre d’un théâtre factice. Le reste n’est que des notes de bas de page dans le grand livre de l’histoire du monde.


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