Dernière Rénovation, Alternatiba, Extinction Rebellion, etc. : la pseudo-écologie au service du capitalisme industriel (par Nicolas Casaux)

Dernière Rénovation, Alternatiba, Extinction Rebellion, etc. : la pseudo-écologie au service du capitalisme industriel (par Nicolas Casaux)

Peut-être avez-vous enten­du par­ler, si vous vous inté­res­sez à l’écologie, de ces jeunes qui, en France, ont per­tur­bé un match de Roland-Gar­ros et une épreuve du tour de France, de ces jeunes qui se sont col­lé les mains à un tableau de Bot­ti­cel­li dans un musée de Flo­rence en Ita­lie, ou de celles et ceux qui ont fait pareil avec des tableaux de Van Gogh et De Vin­ci (entre autres) au Royaume-Uni ? Outre un même genre de reven­di­ca­tions, ces groupes par­tagent un autre point com­mun : ils sont tous finan­cés par un même fonds, le Cli­mate Emer­gen­cy Fund (CEF).

Le CEF a été fon­dé en juillet 2019 par trois per­sonnes prin­ci­pales : Tre­vor Neil­son, Aileen Get­ty et Rory Kennedy.

Tre­vor Neil­son est un mil­liar­daire états-unien, pré­sident de la socié­té i(x) invest­ments, co-fon­dée avec le petit-fils du mil­liar­daire War­ren E. Buf­fett (troi­sième for­tune mon­diale). I(x) Invest­ments est « une socié­té de capi­tal-risque » qui « inves­tit dans les éner­gies renou­ve­lables, l’im­mo­bi­lier vert, l’é­ga­li­té des sexes, le loge­ment abor­dable, la tech­no­lo­gie et l’in­for­ma­tion, la trans­for­ma­tion des déchets en car­bu­rants et la valo­ri­sa­tion du car­bone ». Neil­son a aus­si été direc­teur exé­cu­tif de la Glo­bal Busi­ness Coa­li­tion, une coa­li­tion de plus de 200 mul­ti­na­tio­nales dédiée aux ques­tions de san­té et créée avec le fon­da­teur de Micro­soft, Bill Gates, le finan­cier George Soros et le fon­da­teur de CNN, Ted Tur­ner. Ex-diri­geant de la Fon­da­tion Bill & Melin­da Gates, Neil­son a été nom­mé « Jeune lea­der glo­bal » par le Forum éco­no­mique mon­dial et a ser­vi à la Mai­son Blanche sous l’administration de Bill Clin­ton. Enfin, Neil­son est aus­si le PDG de la com­pa­gnie Was­te­Fuel, qui « met en œuvre des tech­no­lo­gies éprou­vées pour faire face à l’urgence cli­ma­tique et révo­lu­tion­ner la mobi­li­té », par exemple en trans­for­mant « les déchets muni­ci­paux et agri­coles en car­bu­rants à faible émis­sion de car­bone, en gaz natu­rel renou­ve­lable, et en métha­nol vert ». Par­mi les inves­tis­seurs majeurs de Was­te­Fuel figure… Aileen Getty.

Aileen Get­ty est une héri­tière de l’empire pétro­lier du même nom (Get­ty Oil Com­pa­ny). Et Rory Ken­ne­dy est la fille du célèbre séna­teur états-unien Robert F. Ken­ne­dy, fervent défen­seur du « capi­ta­lisme de libre-mar­ché » et pro­mo­teur d’un « capi­ta­lisme propre », éga­le­ment inves­tis­seur de longue date dans les éner­gies et les tech­no­lo­gies dites « vertes », « propres », « renou­ve­lables » ou « décar­bo­nées » (Robert F. Ken­ne­dy siège, entre autres, à Van­ta­ge­Point Capi­tal Part­ners, une com­pa­gnie d’investissement « en capi­tal-risque inter­na­tio­nal qui sou­tient les entre­prises, de leur créa­tion à leur déve­lop­pe­ment, en met­tant l’ac­cent sur l’in­no­va­tion et l’ef­fi­ca­ci­té énergétique »).

Et donc quoi ? Et donc, si l’identité des finan­ceurs d’une orga­ni­sa­tion ne déter­mine pas — pas tou­jours — la nature de ses acti­vi­tés (on peut trou­ver des contre-exemples), en règle géné­rale, les capi­ta­listes (pré­ten­du­ment « phi­lan­thropes ») ne financent pas n’importe qui pour faire n’importe quoi. Les groupes ici finan­cés ont été choi­sis parce qu’ils sont non-vio­lents (pré­re­quis élé­men­taire) et parce que leurs reven­di­ca­tions s’inscrivent, en gros, dans le cadre d’un pro­ces­sus visant à encou­ra­ger la décar­bo­na­tion du capi­ta­lisme indus­triel, la fameuse « tran­si­tion éco­lo­gique » (ou tech­no­lo­gique, ou éco­no­mique, c’est tout un) dont on entend de plus en plus par­ler dans les médias de masse. Il ne s’agit jamais de déman­te­ler la civi­li­sa­tion indus­trielle, d’en finir avec les rap­ports sociaux inhu­mains qu’imposent l’État et le capi­ta­lisme, avec la dépos­ses­sion poli­tique. Il s’agit plu­tôt de deman­der des finan­ce­ments pour ci ou ça. Ici pour le déve­lop­pe­ment mas­sif des indus­tries de pro­duc­tion d’énergie dite verte, propre, renou­ve­lable ou décar­bo­née. Là pour un vaste chan­tier natio­nal de BTP.

On pour­rait pen­ser que le groupe bri­tan­nique « Just Stop Oil » (« Arrê­tez le pétrole ») fait excep­tion, parce qu’il demande l’arrêt de l’extraction et de la consom­ma­tion de com­bus­tibles fos­siles. Sauf qu’il demande en contre­point aux gou­ver­ne­ments de finan­cer le déve­lop­pe­ment mas­sif des indus­tries de pro­duc­tion d’énergie dite « renou­ve­lable » et fait la pro­mo­tion du « plan pour par­ve­nir à la neu­tra­li­té car­bone » d’ici 2050 de l’AIE (Agence inter­na­tio­nale de l’éner­gie). Là encore, il ne s’agit pas du tout de sor­tir du capi­ta­lisme indus­triel. (Ces gens-là semblent en outre igno­rer que le déve­lop­pe­ment des éner­gies pré­ten­du­ment renou­ve­lables néces­site l’usage de com­bus­tibles fossiles).

Il y a quelques jours, Extinc­tion Rebel­lion France célé­brait l’a­dop­tion de la « loi cli­mat » por­tée par Joe Biden aux États-Unis en la pré­sen­tant comme une déci­sion qui « va dans le bon sens » au motif qu’elle per­met­trait « la réduc­tion des émis­sions de CO2 », sans même pré­ci­ser son conte­nu. Eh bien, cette loi vise à déblo­quer 369 mil­liards de dol­lars afin de « déve­lop­per la pro­duc­tion d’éner­gie éolienne et solaire, mettre les véhi­cules élec­triques à la por­tée d’un plus grand nombre d’A­mé­ri­cains et mettre 1,5 mil­liard de dol­lars à la dis­po­si­tion des com­pa­gnies pétro­lières pour qu’elles réduisent leurs émis­sions de gaz à effet de serre et les péna­li­ser si elles ne le font pas. Par ailleurs, elle contri­bue­ra au déve­lop­pe­ment de tech­no­lo­gies telles que le cap­tage et la séques­tra­tion du car­bone, l’hy­dro­gène et les petits réac­teurs nucléaires qui, selon les experts, seront néces­saires pour que les États-Unis atteignent la neu­tra­li­té car­bone d’i­ci 2050, que les scien­ti­fiques estiment néces­saire pour évi­ter un chan­ge­ment cli­ma­tique catas­tro­phique[1]. »

Busi­ness-as-usual. Construire tou­jours plus de cen­trales de pro­duc­tion d’énergie pour ali­men­ter les machines de la civi­li­sa­tion indus­trielle, pro­duire tou­jours plus de machines mais pré­ten­du­ment « neutres en car­bone » (comme les voi­tures élec­triques), per­pé­tuer le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique et la course au pro­fit capi­ta­liste. Non seule­ment il est très dou­teux que tous ces déve­lop­pe­ments réduisent réel­le­ment les émis­sions de CO2 (comme le sou­ligne Jean-Bap­tiste Fres­soz en poin­tant du doigt la manière dont les sources de pro­duc­tion d’énergie ne font que s’accumuler ; ce n’est pas parce qu’on construit une cen­trale pho­to­vol­taïque qu’on ferme une cen­trale à com­bus­tible fos­sile), mais ce qui est sûr c’est qu’ils consti­tuent autant de désastres sup­plé­men­taires pour la nature (je ne revien­drais pas ici sur les impli­ca­tions maté­rielles, éco­lo­giques, de la pro­duc­tion de pan­neaux solaires pho­to­vol­taïques, d’éoliennes, de voi­tures élec­triques, etc., suf­fi­sam­ment décrites dans d’autres textes publiés sur ce site). Il faut être pro­fon­dé­ment stu­pide pour célé­brer une telle loi et se pré­tendre écologiste.

Et c’est à cause de ce phé­no­mène — qu’on observe depuis plus d’un siècle — du finan­ce­ment d’associations et autres groupes soi-disant éco­lo­gistes par des ultra-riches, des fon­da­tions pri­vées, des indus­triels, des entre­prises ou des gou­ver­ne­ments, que nous n’avons pas de mou­ve­ment éco­lo­giste digne de ce nom. En matière de recru­te­ment, d’organisation d’actions, de por­tée média­tique, il est très dif­fi­cile, sinon impos­sible, pour des col­lec­tifs (réel­le­ment) éco­lo­gistes, c’est-à-dire anti-indus­triels, de concur­ren­cer ces groupes dis­po­sant de moyens autre­ment plus consé­quents, de contacts dans les médias, etc.

Nico­las Casaux


  1. https://www.politico.com/news/2022/08/07/inflation-reduction-act-climate-biden-00050230

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