La politique par d’autres moyens

La politique par d’autres moyens

Par Helmholtz Smith – Le 8 août 2022 – Source Moon of Alabama

La « guerre hybride ». Les propagandistes occidentaux adorent l’expression « Les méchants font de vilaines choses sournoises pour contrer nos activités qui sont propres, décentes et totalement justifiées« , mais ce n’est que du bruit. Cependant, comme le savait Clausewitz, il existe une signification réelle :

Nous voyons donc que la guerre n’est pas seulement un acte politique, mais aussi un véritable instrument politique, une continuation du commerce politique, une réalisation de celui-ci par d’autres moyens. Tout ce qui, au delà, est strictement propre à la guerre ne se rapporte qu’à la nature particulière des moyens qu’elle emploie (…) car la vue politique est l’objet, la guerre est le moyen, et le moyen doit toujours inclure l’objet dans notre conception.

En ce sens, toutes les guerres intelligemment menées sont des « guerres hybrides » avançant sur plusieurs niveaux pour atteindre l’« objet politique » par d’« autres moyens ».

Quel est cet « objet » ?

Moscou sait que l’OTAN/États-Unis sont le véritable ennemi, que les misérables Ukrainiens sont ses marionnettes et que leur pays, pillé et usé, n’est que l’arène du combat. Poutine lui-même a déclaré qu’il fallait mettre un terme à la menace que l’OTAN fait peser sur la Russie. L’OTAN, et l’Union européenne avec laquelle elle est étroitement liée, doivent être démasquées comme inutiles, activement nuisibles à leurs membres et leur hostilité doit être vaincue.

L’OTAN, qui aime se présenter comme pacifique (malgré les cinq ou six guerres qu’elle a déclenchées au cours du dernier quart de siècle), ne peut ou ne veut pas comprendre le point de vue de la Russie. Moscou va s’y engouffrer. Poutine dit qu’il a maintes fois essayé d’autres moyens (Munich 2007 étant l’un des premiers). Ces moyens ayant échoué, il en utilise d’autres cette fois-ci.

Des objectifs de grande envergure nécessitent une attaque sur plusieurs fronts. Examinons les fronts.

LE FRONT MILITAIRE. Poutine a expliqué les objectifs – dénazification et démilitarisation. Peut-être auraient-ils pu être atteints par la négociation – bien que des années d’ignorance des accords de Minsk par Kiev laissent penser que non – mais cela ne s’est pas produit. Peut-être que Moscou espérait que sa feinte sur Kiev pourrait éviter un bain de sang, mais cela ne s’est pas produit non plus. La bataille de l’anéantissement est donc lancée – la puissance militaire de l’Ukraine est écrasée et les nazis tués.

Cela prend beaucoup de temps pour plusieurs raisons. Imaginez la ligne de tranchées du front occidental, mais avec trois fois plus de temps pour la construire avec du béton plutôt qu’avec des sacs de sable et du bois. La Russie et ses alliés ont attaqué avec des forces plus réduites. Les forces alliées avancent lentement pour réduire leurs pertes et parce qu’elles ne sont pas particulièrement pressées. Les Ukrainiens résistent avec beaucoup de ténacité et l’OTAN les encourage. Les forces ukrainiennes sont méthodiquement massacrées, les pertes alliées sont une fraction des pertes ukrainiennes parce que « l’artillerie conquiert et l’infanterie occupe« .

LE FRONT DIPLOMATIQUE. L’Occident aime prétendre que la Russie est isolée. Mais, en termes de population, la soi-disant « Communauté internationale » ne représente que 15 à 20 % du monde et les Russes sont bien accueillis ailleurs. Voici Lavrov très présent à l’ASEAN, en Afrique (notez les tentatives des médias pour le faire oublier) et dans le monde arabe.

La Russie n’est pas du tout isolée et sa diplomatie a des effets. La diplomatie américaine, en revanche, se résume à des menaces – l’Afrique est avertie, la Chine menacée.

LE FRONT ÉCONOMIQUE. Lorsque Moscou a entamé son « opération militaire spéciale », elle s’attendait à ce que Nordstream 2 soit arrêté, car elle savait que l’Occident était arc-bouté sur l’idée que l’économie russe dépend de la vente d’énergie à l’Europe – « la Russie ne peut pas se permettre de réduire ses ventes de pétrole« . Moscou avait préparé sa réponse : les pays hostiles doivent payer en roubles.

Quelle est la réponse de l’Europe ? Toucher Poutine en ne prenant pas de douche. Ne le faites pas, il s’en moque. Bien sûr, le prix du pétrole a augmenté et Moscou finance probablement entièrement l’opération grâce à l’augmentation des recettes. L’Occident découvre – et, conseillé comme il l’est par des gens comme Aslund, à son grand étonnement – que « le pays qui ne fabrique rien » est un gros producteur de beaucoup de choses essentielles.

Moscou savait que Washington refilerait l’addition aux Européens – tout comme Washington se battra jusqu’au dernier Ukrainien, il sanctionnera jusqu’à ce que le dernier Européen gèle. La guerre économique fait plus de dégâts chez les ennemis de la Russie. Soit ils s’en rendent compte et changent leur comportement, soit ils ne le font pas et ils en souffrent. Moscou attend en sachant qu’elle gagne dans les deux cas.

LE FRONT DE LA PROPAGANDE. Il est communément admis que Moscou perd la guerre de la propagande, mais je n’en suis pas convaincu. La propagande doit avoir un certain fondement dans la vérité – au lieu de cela, nous avons les martyrs de l’île des Serpents qui reviennent miraculeusement à la vie, le fantôme de Kiev, des armées d’un million d’hommes qui disparaissent, les contre-attaques sur Kherson à nouveau reportées, les bombardements des maternités révélés par les mères bombardées, les corps soigneusement laissés dehors pour être vus, la Russie suppliant la Chine, l’Iran ou la Corée du Nord pour des armes, une autre arme qui « change la donne« .

La Russie était à court de munitions en mars, avril, juin et juillet. Il faut être assez comateux pour croire encore à cela. Les propagandistes ont perdu leurs compétences. Et la réalité s’échappe par les trous de ces récits peu convaincants. Témoin la réception du rapport d’Amnesty International selon lequel les tactiques ukrainiennes « mettent les civils en danger et violent les lois de la guerre lorsqu’elles opèrent dans des zones peuplées« .

« Des propagandistes de Poutine« , s’exclame le Times ; « on ne peut pas le tolérer« , dit Zelensky ; « propagande russe« . Rien de nouveau pour nous qui avons vu des combattants d’Azov s’abriter derrière des civils à Marioupol, des armes cachées dans des centres commerciaux, des troupes s’installer dans des écoles. Mais c’est un choc pour ceux qui croient au récit occidental (surtout les lectrices de Vogue !).

Les sceptiques savent que la différence entre une théorie du complot et la vérité rapportée est de quelques mois. En juin, dire que des fonctionnaires corrompus vendaient des armes occidentales était de la désinformation russe , en août c’est une info. Zelensky était un héros à l’époque, il est corrompu aujourd’hui. Attendez-vous à plus de « désinformation » se transformant en vérité.

JUDO. Poutine est bien connu pour être un maître du judo. Le judo est l’art d’utiliser les mouvements de l’adversaire contre lui. C’est ce que nous observons. Sur tous les fronts, la Russie a le temps de son côté et la domination de l’escalade. L’impuissance de l’OTAN et de l’UE – en fait, les dommages réels causés par l’appartenance à l’une ou l’autre – est plus perceptible chaque jour à l’approche de l’hiver.

La prédominance de l’Europe, de l’Occident, reposait sur trois pieds. Le pouvoir de contraindre les autres. L’aura captivante du succès. La richesse pour financer les deux. Regardez cette petite vidéo – il n’y a pas beaucoup de respect. Je m’attends à ce que nous en voyions plus comme celle-ci.

La statue est creuse, le mandat du Ciel est en train de changer.

Helmholtz Smith

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone

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