L’Inde et le mythe de la nation végétarienne

L’Inde et le mythe de la nation végétarienne

Lors de dis­cus­sions por­tant sur la conve­nance du régime ali­men­taire végé­ta­rien (ou végé­ta­lien, bien que ces deux régimes soient très dif­fé­rents dans leurs effets) pour l’être humain, sou­vent, des défen­seurs du végé­ta­risme (ou du véga­nisme), sans doute peu ren­sei­gnés, évoquent l’Inde comme une sorte de preuve, d’argument en sa faveur. Cette men­tion de l’Inde est fran­che­ment hon­teuse. Notam­ment parce que, comme nous l’apprend une étude, « chaque jour, plus de 6 000 enfants de moins de cinq ans meurent en Inde. Plus de la moi­tié [les deux tiers, envi­ron, NdT] de ces décès sont dus à la mal­nu­tri­tion, prin­ci­pa­le­ment à une carence en vita­mine A, en fer, en iode, en zinc et en acide folique. 57 % des enfants d’âge pré­sco­laire et de leurs mères pré­sentent une carence sub­cli­nique en vita­mine A. » Plus de la moi­tié de la popu­la­tion souffre d’anémie. L’anémie fer­ri­prive est une des prin­ci­pales causes des pro­blèmes de mor­bi­di­té des femmes. 17% de la popu­la­tion souffre d’une carence en iode, 37% d’une carence en acide folique, 54% d’une carence en fer, 53% d’une carence en vita­mine B12, 61% d’une carence en vita­mine D, etc. On com­prend pour­quoi le jour­na­liste d’origine indienne Rit­wik Deo estime que « le végé­ta­risme est un fléau pour l’Inde ».

Syl­via Kar­pa­gam, une doc­to­resse indienne, sou­ligne que « ces carences, dont cer­taines pour­raient faci­le­ment être cor­ri­gées par un régime ali­men­taire riche en nutri­ments et com­pre­nant davan­tage d’a­li­ments d’o­ri­gine ani­male, contri­buent aux nom­breux pro­blèmes de san­té aux­quels le pays est confron­té, tels que les décès mater­nels et infan­tiles, le dia­bète, l’hy­per­ten­sion, les mala­dies car­diaques, la tuber­cu­lose, etc. ».

Le 6 mai 2022, le Ban­ga­lore Mir­ror, un quo­ti­dien indien, rap­por­tait qu’un « groupe de doc­teurs, de nutri­tion­nistes, de parents, d’avocats, de cher­cheurs et d’activistes ont écrit une lettre ouverte au minis­tère de la San­té, au minis­tère du Déve­lop­pe­ment de l’enfant et de la femme et au bureau du Pre­mier ministre afin d’exprimer leur inquié­tude concer­nant les récentes “attaques irra­tion­nelles contre les habi­tudes ali­men­taires et les droits nutri­tion­nels des citoyens, pre­nant la forme de lois, d’interdits et d’appels au boy­cott de la consom­ma­tion de viande, qui risquent d’affecter la nutri­tion et le bien-être des enfants et de nuire à leur croissance” ».

Ain­si que le rap­pellent les deux textes qui suivent, tra­duits depuis l’anglais, l’Inde n’est pas un pays de végé­ta­riens (et encore moins de végé­ta­liens). La majo­ri­té des Indiens mangent de la viande — même si, en maigre quan­ti­té (l’Inde est aujourd’­hui le prin­ci­pal pays expor­ta­teur de bœufs, mais les Indiens n’en béné­fi­cient guère). En outre, le végé­ta­risme, en Inde, résulte de la domi­na­tion d’une élite qu’impose le sys­tème des castes — autre­ment dit, comme le for­mule le socio­logue indien Surya­kant Wagh­more, en Inde, le végé­ta­risme est plu­tôt « lié à la hié­rar­chie des castes qu’à l’a­mour des animaux ».

(Rit­wik Deo sou­ligne en outre que « les vaches indiennes ne sont pas les vaches heu­reuses de la mytho­lo­gie ; pour la plu­part, elles sont sous-ali­men­tées et mal­trai­tées : leur ventre est gon­flé par des sacs en plas­tique coin­cés dans leur tube diges­tif et leurs côtes pitoyables res­sortent tel un xylo­phone sous une bâche ten­due. Celles qui n’ont plus de rai­son d’être sont subrep­ti­ce­ment expé­diées au Ban­gla­desh pour un voyage d’une semaine dans des camions et des trains pour être abat­tues. La peau brute est ensuite ren­voyée en Inde pour être tan­née et trans­for­mée en sacs à main et en bottes qui seront ven­dus dans les rues de Del­hi à Dal­las. » En Inde, le végé­ta­risme — encou­ra­gé, voire impo­sé par un ordre social hié­rar­chique, et fina­le­ment tout rela­tif — n’est pas non plus syno­nyme de bien­trai­tance animale.)

Men­tion­ner l’Inde comme exemple en faveur du végé­ta­risme, c’est donc, entre autres choses, men­tion­ner des enfants qui meurent de mal­nu­tri­tion comme preuve qu’un régime ali­men­taire est excellent.

Nico­las Casaux


I. Inde : le mythe de la nation végétarienne (par Soutik Biswas)

Article ini­tia­le­ment paru le 4 avril 2018 sur le site de la BBC.

Quels sont les mythes et les sté­réo­types les plus cou­rants concer­nant ce que mangent les Indiens ?

Le prin­ci­pal mythe, bien sûr, veut que l’Inde soit un pays lar­ge­ment végé­ta­rien. Mais ce n’est pas du tout le cas.

Des esti­ma­tions anté­rieures, dépour­vues de bases solides, sug­gé­raient que plus d’un tiers des Indiens étaient végé­ta­riens. À en croire trois enquêtes gou­ver­ne­men­tales, on estime que 23 % à 37 % des Indiens sont végé­ta­riens. En soi, cela n’a rien de remar­qua­ble­ment révélateur.

Mais de nou­velles recherches entre­prises par l’an­thro­po­logue Bal­mur­li Natra­jan, basé aux États-Unis, et l’é­co­no­miste Sur­aj Jacob, basé en Inde, mettent en évi­dence un ensemble de preuves indi­quant que ces esti­ma­tions sont exa­gé­rées en rai­son de « pres­sions cultu­relles et poli­tiques ». Ain­si, les gens sous-déclarent man­ger de la viande — en par­ti­cu­lier du bœuf — et sur-déclarent man­ger des ali­ments végétariens.

Selon les cher­cheurs, si l’on tient compte de tous ces élé­ments, seuls 20 %, envi­ron, des Indiens sont réel­le­ment végé­ta­riens, soit beau­coup moins que ne le laissent entendre les affir­ma­tions et les sté­réo­types cou­rants. Les hin­dous, qui repré­sentent 80 % de la popu­la­tion indienne, sont de gros man­geurs de viande. Et même par­mi les Indiens pri­vi­lé­giés, appar­te­nant aux castes supé­rieures, seule­ment un tiers sont végétariens.

Les don­nées gou­ver­ne­men­tales montrent que les ménages végé­ta­riens sont plus riches et consomment davan­tage que les ménages qui consomment de la viande. Les castes infé­rieures, les Dalits (autre­fois appe­lés intou­chables) et les popu­la­tions tri­bales sont prin­ci­pa­le­ment des man­geurs de viande.

Villes végé­ta­riennes en Inde

– Indore : 49%.

– Mee­rut : 36%.

– Del­hi : 30 %.

– Nag­pur : 22%.

– Mum­bai : 18 %.

– Hyde­ra­bad : 11 %.

– Chen­nai : 6 %.

– Kol­ka­ta : 4 %.

(Inci­dence moyenne du végé­ta­risme. Source : Natio­nal Fami­ly Health Sur­vey) Presentational grey line

D’autre part, Natra­jan et Jacob constatent que l’am­pleur de la consom­ma­tion de viande de bœuf est beau­coup plus impor­tante que ce que les affir­ma­tions et les sté­réo­types laissent entendre. Selon les enquêtes gou­ver­ne­men­tales, au moins 7 % des Indiens mangent du bœuf.

Mais des preuves sug­gèrent que cer­taines des don­nées offi­cielles sont « consi­dé­ra­ble­ment » sous-décla­rées, notam­ment parce que le bœuf se trouve « au cœur de conflits cultu­rels, poli­tiques et iden­ti­taires en Inde ».

Le BJP de Naren­dra Modi, le par­ti natio­na­liste hin­dou au pou­voir, prône le végé­ta­risme et estime que la vache doit être pro­té­gée, car la popu­la­tion majo­ri­tai­re­ment hin­doue du pays la consi­dère comme sacrée. Plus d’une dou­zaine d’É­tats ont déjà inter­dit l’a­bat­tage des bovins. Sous le règne de Modi, des groupes de défense des vaches, agis­sant en toute impu­ni­té, tuent des per­sonnes trans­por­tant du bétail [à ce sujet, il faut lire le texte « Le ter­ro­risme de la vache » publié sur le site de la revue La Vie des idées, NdT].

En réa­li­té, des mil­lions d’In­diens, y com­pris des Dalits, des musul­mans et des chré­tiens, consomment du bœuf. Quelque 70 com­mu­nau­tés du Kera­la, par exemple, pré­fèrent le bœuf à la viande de chèvre, qui est plus chère. Natra­jan et Jacob concluent qu’en réa­li­té, près de 15 % des Indiens — soit envi­ron 180 mil­lions de per­sonnes — consomment du bœuf. Soit 96 % de plus que les esti­ma­tions officielles.

Et puis il y a les sté­réo­types sur la nour­ri­ture indienne. Del­hi, dont seule­ment un tiers des habi­tants seraient végé­ta­riens, mérite cer­tai­ne­ment sa répu­ta­tion de capi­tale indienne du pou­let au beurre.

Mais le sté­réo­type selon lequel Chen­nai serait « la ville végé­ta­rienne du sud de l’Inde » est tota­le­ment infon­dé. Selon une enquête, seuls 6 % des habi­tants de la ville sont végé­ta­riens. De même, beau­coup conti­nuent de croire que le Pend­jab est le pays de « l’a­mour du pou­let ». En réa­li­té, 75 % des habi­tants de cet État du nord sont végétariens.

Com­ment le mythe selon lequel l’Inde est un pays lar­ge­ment végé­ta­rien s’est-il répan­du aus­si efficacement ?

D’a­bord, m’ont confié Natra­jan et Jacob, dans une « socié­té très diver­si­fiée où les habi­tudes ali­men­taires et les cui­sines changent tous les quelques kilo­mètres et en fonc­tion des groupes sociaux, toute géné­ra­li­sa­tion concer­nant de larges seg­ments de la popu­la­tion est fonc­tion de qui parle au nom du groupe ».

« Ce pou­voir de repré­sen­ter des com­mu­nau­tés, des régions, voire le pays tout entier, est ce qui crée les stéréotypes. »

Aus­si, ajoutent-ils, « la nour­ri­ture des puis­sants passe pour la nour­ri­ture du peuple ».

« L’expression “non-végé­ta­rien” l’illustre bien. Elle signale le pou­voir social des classes végé­ta­riennes, y com­pris leur pou­voir de clas­ser les ali­ments, pour créer une “hié­rar­chie ali­men­taire” dans laquelle la nour­ri­ture végé­ta­rienne consti­tue la valeur par défaut et pos­sède un sta­tut supé­rieur à la viande. Il s’ap­pa­rente donc au terme “non-Blancs » inven­té par les “Blancs » pour dési­gner la popu­la­tion incroya­ble­ment diverse qu’ils ont colonisée. »

Migration

Deuxiè­me­ment, selon les cher­cheurs, une par­tie du sté­réo­type est favo­ri­sée par le phé­no­mène de la migra­tion. Ain­si, lorsque des Indiens du Sud migrent vers le nord et le centre de l’Inde, leur nour­ri­ture devient syno­nyme de toute la cui­sine sud-indienne. Il en va de même pour les Indiens du Nord qui migrent vers d’autres régions du pays.

Enfin, cer­tains sté­réo­types sont per­pé­tués par les étran­gers — les Indiens du Nord géné­ra­lisent sur les Indiens du Sud sim­ple­ment en en ayant ren­con­tré quelques-uns, sans égard pour la diver­si­té de la région, et vice versa.

Les médias étran­gers, affirment les cher­cheurs, sont éga­le­ment com­plices « parce qu’ils cherchent à iden­ti­fier les socié­tés au moyen de quelques carac­té­ris­tiques essentielles ».

Par ailleurs, l’é­tude met en évi­dence les dif­fé­rences d’ha­bi­tudes ali­men­taires entre les hommes et les femmes. Les femmes, par exemple, sont plus nom­breuses à se décla­rer végé­ta­riennes que les hommes. Selon les cher­cheurs, cela pour­rait s’ex­pli­quer en par­tie par le fait que les hommes sont plus nom­breux à man­ger en dehors de chez eux et avec « une plus grande impu­ni­té morale que les femmes », même si le fait de man­ger à l’ex­té­rieur n’en­traîne pas néces­sai­re­ment la consom­ma­tion de viande.

Le patriar­cat — et la poli­tique — pour­raient y être pour quelque chose. « Le far­deau de la per­pé­tua­tion d’une tra­di­tion de végé­ta­risme pèse de manière dis­pro­por­tion­née sur les femmes », affirment Natra­jan et Jacob. 65% des couples consomment de la viande, et seule­ment 20% sont végé­ta­riens. Mais dans 12 % des cas, le mari est un man­geur de viande, tan­dis que la femme est végé­ta­rienne. L’in­verse ne se retrouve que dans 3% des cas.

Il est clair que la majo­ri­té des Indiens consomment de la viande — du pou­let et du mou­ton, prin­ci­pa­le­ment — régu­liè­re­ment ou occa­sion­nel­le­ment, et que le végé­ta­risme n’est pas pra­ti­qué par la majorité.

Alors pour­quoi le végé­ta­risme est-il si pré­émi­nent dans les repré­sen­ta­tions de l’Inde et des Indiens ? Cela a‑t-il à voir avec le « contrôle » des choix ali­men­taires et la per­pé­tua­tion des sté­réo­types ali­men­taires dans une socié­té extrê­me­ment com­plexe et multiculturelle ?

Sou­tik Biswas


II. « Les Indiens végétariens ne mangent pas de légumes »

Article ini­tia­le­ment paru le 29 mai 2022 sur le site du maga­zine indien Down To Earth. Il s’agit d’une inter­view de Mano­shi Bhat­ta­cha­rya, une his­to­rienne de l’a­li­men­ta­tion et méde­cin indienne.

Vous avez étu­dié 2 000 ans d’histoire des régimes ali­men­taires indiens. Avez-vous consta­té une impor­tante foca­li­sa­tion poli­tique ou publique sur l’a­li­men­ta­tion dans le passé ?

Nos ancêtres sui­vaient lar­ge­ment un régime méso­li­thique (8000–2700 avant notre ère) fru­gal, qui com­pre­naient des légumes et de la viande. En Inde, l’ap­port ali­men­taire géné­ral était limi­té, entre­cou­pé de jours de jeûne. Les pré­lè­ve­ments sur le monde végé­tal et ani­mal étaient faibles. Il y avait cepen­dant quelques aberrations.

En 500 avant notre ère, lorsque le jaï­nisme est appa­ru, ses adeptes sont deve­nus végé­ta­riens. C’é­tait le choix des riches et de l’é­lite qui pou­vaient man­ger fru­ga­le­ment, tout en main­te­nant un régime végé­tal. Ce n’é­tait pas popu­laire. Aujourd’­hui, les jaïns sont une com­mu­nau­té mino­ri­taire, bien que la plu­part d’entre eux soient des conver­tis récents à la foi.

Le boud­dhisme a connu un déve­lop­pe­ment simi­laire. Le Boud­dha man­geait de la viande. Aujourd’­hui encore, les boud­dhistes du monde entier mangent de la viande. Mais lorsque Hiuen Tsang (un moine et éru­dit boud­dhiste chi­nois) s’est ren­du en Inde en 630 de notre ère, il a été stu­pé­fait de consta­ter que les boud­dhistes indiens étaient deve­nus végé­ta­riens. Dans les monas­tères, ils man­geaient copieu­se­ment plu­sieurs fois par jour et buvaient de l’a­mi­don de riz tout au long de la journée.

En 600 avant Jésus-Christ, l’empereur Har­sha­vard­ha­na, qui régnait sur l’Ha­rya­na, a ten­té d’im­po­ser le végé­ta­risme. Il n’y par­vint pas. À la même époque, Megha­va­ha­na, roi du Gand­ha­ra (aujourd’­hui appe­lé Afgha­nis­tan), qui régnait sur le Cache­mire, a éga­le­ment ten­té, sans suc­cès, d’in­tro­duire le végétarisme.

Com­ment le com­merce et les migra­tions ont-ils modi­fié nos habi­tudes alimentaires ?

Par­tout où les humains voyagent, ils emportent leur nour­ri­ture avec eux. Ils consomment éga­le­ment de nou­veaux types d’a­li­ments qui, au fil du temps, se voient inté­grés dans leur régime ali­men­taire. Par exemple, il y a envi­ron 80 000 ans, des per­sonnes ori­gi­naires d’A­frique ont migré et se sont ins­tal­lées en Inde, ce qui a eu une influence sur notre cuisine.

L’aubergine est ori­gi­naire d’Inde. Lorsque les habi­tants de la Méso­po­ta­mie, en Asie occi­den­tale, ont visi­té la civi­li­sa­tion Harap­pan dans la val­lée de l’In­dus, ils y ont man­gé de l’aubergine frite, l’ont rame­née chez eux, y ont ajou­té du lait caillé et ont ain­si inven­té ce qu’on appelle aujourd’­hui le Bora­ni Badem­jam iranien.

Les Méso­po­ta­miens ont peut-être décou­vert le riz par le biais des Harap­pans. Les oignons pous­saient en Méso­po­ta­mie. L’a­jout d’oi­gnons au pulao pour faire du birya­ni pour­rait avoir eu lieu à Harap­pa ou en Méso­po­ta­mie. Il s’agit de ter­ri­toires voi­sins qui ont par­ta­gé leurs recettes tout en conser­vant leurs identités.

Le régime colo­nial bri­tan­nique a‑t-il eu une influence sur notre alimentation ?

Le régime bri­tan­nique a indi­rec­te­ment impo­sé le végé­ta­risme aux masses en aug­men­tant les taxes sur la viande et le pois­son. Ils ont intro­duit la loi sur les forêts de 1865 afin de prendre le contrôle total des forêts, des terres com­munes, des rivières et des mers. Cela a obli­gé les habi­tants des forêts et les com­mu­nau­tés tri­bales à cher­cher du tra­vail. Les Bri­tan­niques les payaient en céréales, qui ne fai­saient pas par­tie de leur régime alimentaire.

Les pro­duits agri­coles et les ani­maux étaient lour­de­ment taxés et deve­naient inabor­dables. Les gens ne pou­vaient plus offrir de la viande à leurs dieux pen­dant les fes­ti­vals, ils y ont donc renoncé.

Au cours des 200 années de domi­na­tion colo­niale, les céréales et les plantes sau­vages sont subrep­ti­ce­ment deve­nues la base de l’a­li­men­ta­tion. Les famines sont deve­nues endé­miques et ont conduit à la créa­tion d’une nou­velle cui­sine, fon­dée sur les saveurs pour com­pen­ser le manque de nutri­ments. Toutes les célèbres cui­sines indiennes dont nous par­lons aujourd’­hui sont issues de la « cui­sine de la famine ».

Aujourd’­hui, 70 % des Indiens mangent de la viande, du pois­son ou des œufs, mais en moindre quan­ti­té ou de manière peu fré­quente. Il s’agit d’une aber­ra­tion dont nous héri­tons du pas­sé, qui montre que nous avons tou­jours l’esprit colonisé.

[Dans un autre article, paru en avril 2022, trai­tant éga­le­ment du tra­vail de Mano­shi Bhat­ta­cha­rya, on peut lire : « Il y a quelques siècles, le bœuf puis la viande ont dis­pa­ru des régimes ali­men­taires des brah­manes et de cer­taines autres castes supé­rieures. Les rai­sons sont diverses, mais la foi n’é­tait pas le seul moteur. D’après Mano­shi Bhat­ta­cha­rya, les brah­manes du sud de l’Inde ont man­gé de la viande au moins jus­qu’au XVIe siècle. Dans le nord, ils ne l’ont aban­don­née, de même que d’autres castes supé­rieures, qu’à la fin du 19e siècle.

Elle pense que le colo­nia­lisme, qui a modi­fié l’u­ti­li­sa­tion des terres, la concep­tion de l’a­gri­cul­ture et le com­merce, et pro­vo­qué des famines, a joué un rôle impor­tant dans la mise en place du pro­gramme ali­men­taire indien actuel — une pré­do­mi­nance de riz, de blé et de dals (len­tilles). »

Il semble que Mano­shi Bhat­ta­cha­rya cherche à mettre l’accent sur le colo­nia­lisme plu­tôt que sur l’hindouisme. Mais les deux semblent avoir joué un rôle dans l’essor — tout rela­tif — du végé­ta­risme en Inde. (NdT)]

Vos recherches montrent un chan­ge­ment pro­gres­sif du régime ali­men­taire indien, pas­sant d’une ali­men­ta­tion riche en fibres au début de l’ère pas­to­rale à une ali­men­ta­tion pauvre en fibres, en graisses et en pro­téines à par­tir de 1947. Com­ment cela s’est-il produit ?

Nos cultures, sur­tout après la révo­lu­tion verte, ont per­du la plu­part de leurs fibres. Les ali­ments sont deve­nus plus tendres et plus gou­teux, un chan­ge­ment qui est tou­jours en cours.

La consom­ma­tion de lait, le seul pro­duit ani­mal qui contient des glu­cides, a aug­men­té depuis la révo­lu­tion blanche. Nous consom­mons aus­si main­te­nant de la viande d’a­ni­maux domes­ti­qués, qui est assez chère.

La consom­ma­tion de graisses a été déli­bé­ré­ment réduite au moyen d’une publi­ci­té agres­sive dans les années 1900, qui pré­ten­dait que la graisse était mau­vaise pour la san­té et que la consom­ma­tion de pro­duits végé­taux était bonne pour la santé.

Aujourd’­hui, les Indiens végé­ta­riens ne mangent pas de légumes. Ils mangent du blé, du riz, du dal, des pro­duits lai­tiers, des pommes de terre et des sucre­ries. Ils rejettent la mar­gose, la cale­basse, l’aubergine et les légumes à feuilles. Tout au plus, ils mangent un peu de gom­bo. Ils consomment plu­tôt des fruits char­gés en fructose.

Vous vous êtes éga­le­ment pen­ché sur le lien his­to­rique entre ali­men­ta­tion et dia­bète. Quels indices le pas­sé fournit-il ?

L’in­dé­pen­dance de l’Inde et les révo­lu­tions verte et blanche qui ont sui­vi ont pro­vo­qué une aug­men­ta­tion très rapide du diabète.

Dans Dia­betes : The Bio­gra­phy, Robert Tat­ter­sall écrit : « La plu­part des preuves que le dia­bète était une mala­die de riches pro­viennent de l’Inde […]. L’ex­pé­rience indienne sug­gé­rait que le tra­vail men­tal et la consom­ma­tion exces­sive de fécu­lents et de sucres, aggra­vés par une vie com­plè­te­ment séden­taire, étaient à blâ­mer. C’é­tait cer­tai­ne­ment le cas du ‘Ben­ga­li Babu’ (un com­mis qui savait écrire en anglais), dont la cir­con­fé­rence avait une grande ten­dance à aug­men­ter en pro­por­tion directe de toute aug­men­ta­tion de son salaire. »

En revanche, le dia­bète était « presque incon­nu chez les veuves hin­doues, qui menaient une vie des plus banales et ne se livraient pas à des excès de sac­cha­rine ou d’autres ali­ments fari­neux », écri­vait le méde­cin CL Bose en 1907. C’est pour­quoi l’his­toire est importante.

Vous pré­co­ni­sez des quan­ti­tés modé­rées d’a­li­ments non végé­ta­riens. Plu­sieurs autres per­sonnes pro­meuvent le végé­ta­risme. Com­ment envi­sa­gez-vous ce débat ?

Être végé­ta­rien est une bonne chose tant que l’on mange fru­ga­le­ment. Les Indiens qui, autre­fois, pra­ti­quaient le végé­ta­risme man­geaient un repas par jour. Ils jeû­naient éga­le­ment plu­sieurs jours par mois, et ne gri­gno­taient pas.

Si nous com­pa­rons 100 grammes de dal cru avec 100g de viande crue, les deux contiennent 20 g de pro­téines. Mais 100g de dal cru contiennent 46g de glu­cides, qui se trans­forment en glu­cose san­guin et rendent dia­bé­tique. En revanche, 100g de viande crue ne contiennent aucun glu­cide. L’aug­men­ta­tion de la consom­ma­tion de glu­cides a fait de l’Inde la capi­tale mon­diale du diabète.

D’une popu­la­tion de per­sonnes grandes et gra­ciles avec une vie saine et longue, comme l’ont docu­men­té des voya­geurs en com­pa­rant les Indiens à leur propre peuple, nous sommes deve­nus petits, dia­bé­tiques, obèses et avons une durée de vie plus courte. Dans le même temps, le dia­bète, les mala­dies car­diaques, la mala­die d’Alz­hei­mer et d’autres syn­dromes méta­bo­liques sont deve­nus communs.

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