Il y a 50 ans, Sept-Îles sous occupation syndicale

Il y a 50 ans, Sept-Îles sous occupation syndicale

Sociologue et professeur retraité de l’Université du Québec en Outaouais, école Manikoutai et cégep de Sept-Îles (1971-1983) ; président du FTU (1971-1972) et conseiller syndical au Conseil central de Sept-Îles (1975-1998)*
 

Il y a 50 ans, le 10 mai 1972, les salariés syndiqués de Sept-Îles, tant du secteur public que du secteur privé, s’absentaient du travail et investissaient les lieux publics, dont la rue, la place du palais de justice, le poste local de radio, et cela, selon le modèle de l’occupation ouvrière d’une usine. Tout d’un coup, la ville était sous le contrôle des syndicats avec la complicité d’une portion non négligeable de la population.

Tôt le matin, la seule voie d’accès terrestre à ce milieu, la route 138, était sectionnée à l’ouest et bloquée par des poids lourds à l’est. Ces débrayages étaient provoqués par l’emprisonnement des présidents des trois centrales syndicales (FTQ, CSN et CEQ), dont les syndicats affiliés du secteur public négociaient en front commun le renouvellement de leurs conventions collectives. Cette forme de contrôle et de paralysie d’une partie des activités courantes de ce milieu a été rapidement désignée comme l’occupation syndicale d’une ville.

Des comptes rendus de cet événement ont été fournis à des moments différents et sur des supports divers : médias d’information, ouvrages d’histoire et de sciences sociales, documentaires vidéo, écrits engagés ou militants. Une partie de ces informations écourtent cette période d’emprise syndicale sur la ville, la résumant souvent à deux jours, les 10 et 11 mai.

Or, ce n’est que le 17 mai que les ouvriers de la construction et les salariés du secteur public sont retournés au travail, et cela, en dépit du déploiement d’un contingent important de la Sûreté du Québec, qui avait transité par l’aéroport la nuit du 10 au 11 mai dans le but de contrôler la population. Nous sommes quelques signataires à avoir été, parmi d’autres, des témoins impliqués de diverses façons dans cette occupation, et nous tenons à rétablir certains faits.

Ainsi, plusieurs commentateurs tendent à faire coïncider l’effritement de l’action syndicale avec le drame de la voiture qui a foncé dans la foule des manifestants sur le terrain du palais de justice en fin de journée le 10 mai. Il en est résulté un décès et 35 blessés supplémentaires, sans parler des traumatismes profonds causés chez ces derniers et aussi chez les témoins qui ont évité de près l’impact physique. Certes, ce choc a déstabilisé la mobilisation, mais il ne l’a pas étouffée.
 

Tourner la page trop vite

Évidemment, les élites locales et autres rébarbatifs à la protestation sociale ont eu tôt fait d’attribuer un tel geste à l’action syndicale : voilà à quoi aboutit l’action des syndicats, la violence. Or, il y a une première rectification à établir : le geste de celui qu’on a désigné comme le « chauffard » était un acte délibéré de la part de cette personne qui en voulait aux syndicats.

Des témoins l’ont entendu dans au moins un bar, propos qui pouvaient annoncer son action. Il ne s’agissait pas du geste d’un conducteur en état d’ébriété qui fait une manœuvre dangereuse sur une route. Certes, il peut avoir agi avec des facultés affaiblies, mais il était déterminé à s’attaquer aux manifestants. Il s’agit donc d’un attentat, un qualificatif qu’on n’a pas osé utiliser dans les commentaires et les analyses.

Il y a une deuxième rectification à établir. Trop couramment, on attribue l’événement de l’occupation de la ville à une action spontanée déclenchée par quelques militants plus audacieux qui ont bloqué la route. Or, une telle mobilisation populaire ne peut pas surgir spontanément et se maintenir sur une période aussi importante. Certes, il y eut l’élément déclencheur de l’emprisonnement des chefs syndicaux. Mais on doit savoir aussi qu’au cours des deux années précédentes, des représentants de syndicats locaux affiliés aux trois centrales s’étaient donné un important programme d’intervention en se regroupant dans le Front des travailleurs unis (FTU).

Ils avaient réussi à faire réserver, dans un secteur des terres publiques, des lots pour que des salariés ordinaires puissent se construire des maisons familiales, alors que des entrepreneurs monopolisaient terrains et logements, ce qui créait pénurie et surenchère. Cette action était ancrée à la fois dans le projet de l’émancipation nationale ou l’indépendance du Québec et dans la profonde aspiration ouvrière et populaire à la maîtrise de son environnement et de ses conditions de vie.

Enfin, un troisième rectificatif doit être apporté en ce qui concerne les contributions d’un mouvement social qui s’est déployé avec une telle ampleur. Certains le décrivent comme antisocial, tandis que d’autres le présentent plutôt comme une défaite étant donné que cela n’aurait rien apporté tant pour les salariés en grève que pour la population en général. Or, c’est tourner la page trop vite.

D’un côté, les négociations de 1972 ont effectivement abouti, déjà à court terme, au salaire plancher réclamé de 100 $ par semaine, ainsi qu’à la réduction des écarts salariaux, à la sécurité d’emploi, aux caisses de retraite, en plus d’avoir une incidence sur le salaire minimum et la sécurité du revenu. D’un autre côté, à Sept-Îles même, en plus des actions syndicales, on a vu émerger et croître, au cours des 10 ans qui ont suivi mai 1972, des groupes très actifs sur des enjeux concernant les femmes, les jeunes et les droits sociaux.

* Ont aussi signé ce texte : Diane Huet, école Manikoutai (1970-2004), Michelle Desfonds, vice-présidente du FTU (1970-1972) et conseillère syndicale au SERF-CEQ (1977-1982), Pierre Rouxel, enseignant au cégep de Sept-Îles (1971-2005)
 

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