La terreur du Baloutchistan : un outil menaçant pour perturber l’économie sino-pakistanaise

La terreur du Baloutchistan : un outil menaçant pour perturber l’économie sino-pakistanaise

par Pepe Escobar.

Un attentat suicide baloutche visant des travailleurs chinois à Karachi survient un mois à peine après l’éviction du Premier ministre Imran Khan, soutenue par les États-Unis. Le Pakistan est une plaque tournante essentielle de la BRI dans le vaste projet de connectivité eurasiatique de Pékin, et il semble que le CPEC soit la cible ultime de cette perturbation.

C’est l’histoire concise de la façon dont un attentat suicide peut avoir le potentiel de bouleverser l’ensemble du processus complexe et continu d’intégration de l’Eurasie.

Récemment, le Front de libération du Baloutchistan (BPLF) a publié une vidéo influencée par l’État islamique menaçant « les fonctionnaires et les installations chinoises » dans la vaste province du Pakistan.

Pourtant, ce qui s’est réellement produit à la fin du mois d’avril, c’est un attentat-suicide à la sortie de l’Institut Confucius de l’Université de Karachi – pas au Baloutchistan – et qui visait des enseignants chinois, pas des « fonctionnaires et des installations ».

Le kamikaze était une femme, Shaari Baloch, alias Bramsh, qui a fait exploser sa veste au moment où une camionnette transportant des membres du personnel de l’Institut approchait de l’entrée. L’attentat a été revendiqué par la brigade Majeed du BPLF, qui a souligné que c’était la première fois qu’elle utilisait une femme kamikaze.

Shaari Baloch était une institutrice titulaire d’un diplôme de zoologie, inscrite pour poursuivre une deuxième maîtrise, mariée à un dentiste et professeur au Makran Medical College dans sa ville natale de Turbat, dans le sud du Baloutchistan. Elle a trois frères, dont un médecin, un directeur adjoint d’un projet financé par le gouvernement et un fonctionnaire. Shaari Baloch était donc loin d’être une simple djihadiste salafiste indigente endoctrinée en ligne.

Le ministère pakistanais des Affaires étrangères a dû souligner l’évidence : il s’agissait d’une « attaque directe contre l’amitié entre le Pakistan et la Chine et la coopération en cours », toujours qualifiée, par les deux parties, de « frères de fer ». Le Pakistan est un nœud absolument essentiel de l’Initiative chinoise Ceinture et Route (BRI) visant à relier la masse continentale eurasiatique.

Il ne s’agissait pas d’une attaque terroriste ordinaire. Ses répercussions sont immenses, non seulement dans l’une des provinces du Pakistan et en Asie du Sud, mais aussi dans toute l’Eurasie. Elle peut être le signe avant-coureur de graves turbulences à venir.

L’acte de désespoir de Shaari Baloch doit être considéré, pour commencer, comme l’incarnation d’une aliénation baloutche profondément ancrée, ressentie par les classes moyennes éduquées, des avocats aux commerçants en passant par les étudiants, qui imprègnent constamment la relation complexe avec un Islamabad distant. Une partie importante du puzzle est que 26 agences de renseignement pakistanaises n’ont rien vu venir.

Les dirigeants baloutches ont immédiatement fait valoir que la meilleure réaction possible serait de convoquer une grande jirga – sur le modèle de la shahi jirga pratiquée au moment de la partition du sous-continent – qui réunirait tous les anciens des tribus pour traiter les griefs locaux les plus pressants.

Rassembler les suspects habituels

Sur le plan géostratégique, le Baloutchistan est aussi précieux que les minerais de terres rares : un immense désert situé à l’est de l’Iran, au sud de l’Afghanistan, et doté de trois ports de la mer d’Oman, dont Gwadar, pratiquement à l’embouchure du détroit stratégique d’Ormuz.

Constituant près de 48% de la superficie du Pakistan, le Baloutchistan est riche en uranium et en cuivre, potentiellement très riche en pétrole, produit plus d’un tiers du gaz naturel pakistanais, et faiblement peuplé. Les Baloutches représentent la majorité de la population, suivis des Pachtounes. Quetta, la grande capitale provinciale, a été considérée pendant des années comme le centre des Taliban par le Pentagone.

Gwadar, le port construit par la Chine sur la côte sud-ouest du Baloutchistan, sur la mer d’Oman – directement en face d’Oman – est le nœud essentiel du corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) et constitue le maillon essentiel d’une interminable saga de pipelines. Le gazoduc Iran-Pakistan-Inde (IPI), précédemment appelé « gazoduc de la paix », qui prévoit de passer du Baloutchistan iranien au Baloutchistan pakistanais (l’Inde n’a toujours pas pris sa décision), est un anathème absolu pour Washington depuis l’ère George W. Bush.

Le CPEC reste une source inépuisable de controverses, même à l’intérieur du Pakistan. Au-delà de toutes les liaisons prévues entre Gwadar et le Xinjiang d’ici 2030, la majeure partie de cet ambitieux corridor de connectivité concerne l’énergie, les zones industrielles et les projets routiers et ferroviaires dans différentes parties du pays – une amélioration globale de ses infrastructures en retard. Depuis des années, les Chinois plaisantent en disant qu’en fait « tout le Pakistan est un corridor ».

L’establishment sécuritaire américain, comme on pouvait s’y attendre, planifie depuis des années l’instrumentalisation d’une insurrection au Baloutchistan pour – quoi d’autre – « perturber » d’abord la possibilité d’un pipeline énergétique de Gwadar au Xinjiang, puis l’ensemble du projet CPEC. Les suspects habituels, comme la National Endowment for Democracy (NED) des États-Unis, sont très présents au Baloutchistan. WikiLeaks avait déjà révélé une grande partie du jeu en 2015.

Un rapport de l’Institut Carnegie a noté que « de nombreux leaders nationalistes baloutches viennent désormais des districts urbanisés de Kech, Panjgur et Gwadar (et dans une moindre mesure de Quetta, Khuzdar, Turbat, Kharan et Lasbela). Ils sont bien reliés à Karachi et aux villes du Golfe, où les structures tribales sont inexistantes. En fait, si la violence sévit dans toute la province, l’insurrection semble se concentrer principalement dans ces zones urbanisées ».

Le kamikaze Shaari Baloch est originaire de Turbat, la deuxième ville de la province, où le BPLF est très actif. Du point de vue des suspects habituels, il s’agit d’atouts de choix, surtout après la mort d’importants chefs tribaux tels qu’Akbar Bugti. Le rapport a dûment noté comment « les jeunes Baloutches instruits et de la classe moyenne sont à l’avant-garde » de l’insurrection.

L’instrumentalisation anti-chinoise du BPLF est également liée à l’opération parlementaire de changement de régime à Islamabad qui a récemment déposé l’ancien Premier ministre Imran Khan, qui a toujours été un farouche adversaire de la « guerre éternelle » américaine en Afghanistan. Khan a résolument nié l’utilisation du Pakistan dans les opérations militaires américaines « au-delà de l’horizon » : c’était l’une des principales raisons de son éviction.

Aujourd’hui, avec un nouveau régime souple, approuvé par Washington, un miracle vient de se produire : le Pentagone est sur le point de conclure un accord formel avec Islamabad pour utiliser l’espace aérien pakistanais pour – quoi d’autre – continuer à s’ingérer en Afghanistan.

Pékin, ainsi que les autres membres de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), ne vont pas apprécier. Quelques semaines seulement avant le coup d’État blanc, Imran Khan avait rencontré le président chinois Xi Jinping et souligné une fois de plus combien le Pakistan et la Chine étaient des « frères de fer ».

Imran Khan était une véritable épine dans le pied de l’Occident, car il ne cessait de faire comprendre aux Pakistanais que la guerre éternelle en Afghanistan était militairement impossible à gagner. Il savait que tous les mandataires – dont le BPLF – qui ont déstabilisé l’Afghanistan et le Pakistan pendant des décennies faisaient et font toujours partie des opérations secrètes des États-Unis.

Pas un complot Iran-Inde

Le Baloutchistan est aussi profondément tribal que les zones tribales pachtounes. Les chefs tribaux locaux peuvent être aussi ultra-conservateurs qu’Islamabad est négligent (et ils ne sont pas exactement des parangons des droits de l’homme non plus). La plupart des tribus s’inclinent cependant devant l’autorité d’Islamabad – à l’exception, avant tout, des Bugti.

Et puis il y a le Front de libération du Baloutchistan (BPLF), que Washington et Londres considéraient comme un groupe terroriste, avant de l’oublier. Le BPLF a opéré pendant des années à partir de Kandahar en Afghanistan (à seulement deux heures de Quetta), et déjà au cours de la décennie précédente – simultanément à l’annonce des nouvelles routes de la soie et du CPEC – elle a souligné qu’elle se préparait à attaquer les non-Baloutches (code pour le gouvernement d’Islamabad ainsi que les étrangers chinois).

Les Baloutches sont enclins à considérer le BPLF comme un groupe de résistance. Mais Islamabad l’a toujours nié, affirmant que leur soutien ne dépasse pas 10% de la population de la province.

Une ample controverse fait rage au Pakistan depuis des années pour savoir si le BPLF a été totalement détournée par la CIA, le MI6 et le Mossad. Lors d’une visite en Iran en 2006, on m’a empêché de me rendre dans la province du Sistan-Baloutchistan, dans le sud-est de l’Iran, car, selon la version de Téhéran, la CIA infiltrée depuis le Baloutchistan pakistanais était impliquée dans des attaques transfrontalières secrètes. Ce n’était un secret pour personne dans la région que depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis contrôlaient pratiquement les bases aériennes baloutches de Dalbandin et de Panjgur.

En octobre 2001, alors que j’attendais une ouverture pour passer de Quetta à Kandahar, j’ai passé un certain temps avec un certain nombre d’associés et de sympathisants du BPLF. Ils se décrivaient comme « progressistes, nationalistes, anti-impérialistes » (ce qui les rendait difficiles à coopter par les États-Unis). Ils critiquaient vivement le « chauvinisme punjabi » et insistaient toujours sur le fait que les ressources de la région appartenaient d’abord aux Baloutches ; c’est la raison pour laquelle ils attaquaient les gazoducs.

Ils mettent l’accent sur le taux d’alphabétisation atroce de la province, qui n’est que de 16% (« C’est la politique du gouvernement de maintenir le Baloutchistan dans l’ignorance »), et s’indignent du fait que la plupart des gens n’ont toujours pas d’eau potable. Ils revendiquaient le soutien d’au moins 70% de la population baloutche (« Chaque fois que le BPLF tire une roquette, les bazars en parlent »). Ils ont également affirmé être unis et coordonnés avec les Baloutches iraniens. Et ils insistaient sur le fait que « le Pakistan avait transformé le Baloutchistan en un cantonnement américain, ce qui affectait beaucoup les relations entre les peuples afghan et baloutche. »

Deux décennies plus tard, et après toute la saga État islamique en Syrie et en Irak, c’est une toute autre histoire. Les sympathisants du BPLF sont peut-être encore prêts à rester au sein d’une confédération pakistanaise, bien qu’avec infiniment plus d’autonomie. Mais ils semblent désormais disposés à utiliser l’aide impériale occidentale pour frapper non seulement le gouvernement central d’Islamabad, mais aussi le profiteur étranger « proche » (la Chine).

Après l’attentat suicide de Karachi, un récit a commencé à émerger dans certains cercles pakistanais selon lequel l’Iran et l’Inde étaient de mèche pour déstabiliser le Baloutchistan.

Cela n’a absolument aucun sens. Téhéran et Islamabad sont tous deux étroitement liés à Pékin par plusieurs nœuds des nouvelles routes de la soie. L’Iran ne tirerait aucun avantage d’une collusion avec l’Inde pour déstabiliser une région frontalière de l’Afghanistan, surtout lorsque l’OCS est pleinement engagée dans l’incorporation de Kaboul dans le processus d’intégration de l’Eurasie. En outre, l’IPI a les meilleures chances de se concrétiser dans un avenir proche, consolidant ainsi un cordon ombilical de l’Asie du Sud-Ouest à l’Asie du Sud.

Au cours des dernières années de l’administration de Barack Obama, le BPLF, bien qu’étant toujours un groupe marginal avec une aile politique et une aile militaire, se regroupait et se réarmait, tandis que le ministre en chef du Baloutchistan, Nawab Raisani, était soupçonné d’être un agent de la CIA (il n’y avait aucune preuve concluante).

À l’époque déjà, on craignait à Islamabad que le gouvernement n’ait perdu de vue la question du Baloutchistan et que le BPLF soit sur le point d’être utilisée efficacement par les États-Unis à des fins de balkanisation. C’est ce qui semble se produire actuellement. Pourtant, le cœur du problème – exprimé de manière flagrante par l’attentat suicide de Karachi – est qu’Islamabad reste imperméable à la principale revendication des Baloutches : nous voulons profiter de nos richesses naturelles et nous voulons l’autonomie.

Pepe Escobar

source : The Cradle

traduction Réseau International
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Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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