L’Ukraine peut encore éviter le pire

L’Ukraine peut encore éviter le pire

L’auteur est chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM)*

Au moment où ces lignes sont écrites, la situation en Ukraine est critique. Quelque 10 millions d’Ukrainiens sont devenus des réfugiés à l’étranger ou des déplacés dans leur pays sur une population d’environ 40 millions d’habitants. Des centaines de milliers d’entre eux sont des jeunes, les forces vives du pays dont le départ affaiblit la nation ukrainienne. La ville stratégique de Marioupol est sur le point de tomber, ce qui permettra aux forces russes de consolider leur présence dans le Sud et l’Est.

Il y a un risque de voir le conflit s’inscrire dans la durée, ce qui n’annonce rien de bon pour l’Ukraine. Face à ce constat, la seule option pour éviter le pire repose sur la diplomatie. C’est sans doute pour cela que le président Zelensky demande instamment une rencontre avec son homologue russe. Ces appels, quoi qu’on dise de la situation des forces russes sur le terrain, montrent que l’Ukraine est en perte de vitesse. Vladimir Poutine l’a bien compris lorsqu’il répond à son homologue ukrainien qu’un sommet entre chefs d’État se prépare et qu’il a tout son temps.

Les Russes ont posé leurs conditions. Elles sont au nombre de quatre. Avant l’éclatement du conflit le 24 février, Moscou a insisté pour que l’Ukraine renonce à sa candidature à l’OTAN, adopte un statut neutre sur la scène internationale et se démilitarise. Il y a trois semaines, les Russes ont ajouté la reconnaissance par Kyiv de l’annexion de la Crimée et de l’indépendance des deux républiques prorusses dans l’Est. La réaction spontanée du gouvernement a été de tout rejeter en bloc.

Pourtant, alors que l’Ukraine fait face à une crise multidimensionnelle qui en menace l’existence, la politique de Zelensky doit être guidée par un calcul minutieux des conséquences et non par des réactions émotives.

Le président semble en être maintenant conscient, forcé par deux évènements sur le terrain. Le premier est le refus catégorique, et 100 fois répété, des Occidentaux d’intervenir directement dans le conflit. Et ils feront tout pour éviter d’entrer en collision avec les Russes à travers une zone d’exclusion aérienne, par exemple.

La deuxième raison est la situation dans une bonne partie du pays.

Les grandes villes se vident, les populations fuient à l’étranger, les vivres manquent. À ce rythme, une bonne partie de l’Ukraine sera aux mains des Russes, actant ainsi la partition du pays, ce qui est sans doute l’objectif final de Moscou.

Zelensky est maintenant disposé à négocier sur trois des quatre conditions posées par les Russes. Kyiv, a-t-il dit, fait son deuil d’une adhésion à l’OTAN. Le Parlement devra donc modifier la constitution ukrainienne pour retirer cette mention dans le texte. Sur le statut de neutralité, les Russes ont avancé les exemples de la Suède et de l’Autriche comme modèle, l’Ukraine les a rejetés.

Kyiv propose plutôt la signature d’un accord international qui offrirait des « garanties de sécurité absolues » à l’Ukraine et où les signataires, comme les États-Unis, la France et l’Allemagne, s’engageraient à intervenir du côté de l’Ukraine en cas d’agression. Il serait très surprenant que les Russes acceptent de signer un tel accord puisque ses termes sont identiques à la protection offerte par l’article 5 de la charte de l’OTAN. Et il n’est pas certain que les pays occidentaux voudraient s’engager aussi loin avec l’Ukraine après ce qui vient de se passer.

Zelensky s’est montré ouvert à une négociation concernant l’avenir des deux républiques prorusses, mais au sein de l’Ukraine. N’est-il pas trop tard ? Les accords de Minsk de 2014 et de 2015 prévoyaient déjà une large autonomie pour ces deux régions et ils n’ont jamais été appliqués. Les populations locales sont-elles prêtes à retourner dans le giron ukrainien ?

Enfin, sur la question de la « démilitarisation » de l’Ukraine, les Russes n’ont jamais défini exactement ce qu’ils voulaient dire par là. Il existe de nombreux modèles visant à limiter le potentiel militaire d’un pays dont le plus connu est celui adopté par les signataires du traité sur la réunification des deux Allemagnes en 1990 imposant un plafond aux effectifs de la nouvelle armée allemande.

Afin de négocier dans un climat de sérénité, si cela se peut, Zelensky a demandé l’instauration d’un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire. C’est mal connaître la logique de la guerre. Le pays disposant de l’avantage sur le terrain n’acceptera pas de faire taire les armes.

En décembre 1972, les Américains ont accepté une petite trêve de quelques heures pour les célébrations de Noël. Ils ont repris rapidement leurs bombardements massifs des villes du Nord-Vietnam en même temps qu’ils négociaient la paix avec les Nord-Vietnamiens à Paris. Un accord est intervenu un mois plus tard.

Les Russes ont donc l’avantage, pour l’instant. Dimanche, à CNN, Zelensky a tendu la main à Poutine. « S’il existe seulement 1 % de chance d’arrêter cette guerre, nous devons la saisir », a-t-il dit en rappelant son offre de rencontrer le leader russe. Il a raison. Il sait aussi que c’est lui qui devra faire les compromis les plus douloureux pour obtenir cette paix. Il est urgent d’agir.

* Jocelyn Coulon a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017. Il a publié récemment Le Canada à la recherche d’une identité internationale.

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