Et si les pourparlers du 29 novembre sur le JCPOA échouaient ?

Et si les pourparlers du 29 novembre sur le JCPOA échouaient ?

Que pourrait-il donc se passer, si les pourparlers échouaient ? Le JCPOA serait-il enterré ?


Par Alastair Crooke – Le 19 novembre 2021 – Source Al Mayadeen

Les augures ne sont pas encourageants. Après un certain retard, dans le sillage de la formation d’une nouvelle administration en Iran, les pourparlers sont prévus pour la fin de ce mois. Washington semble toutefois incapable de fixer un cap pour ces discussions. Elle a augmenté la pression sur l’Iran, bien que légèrement, mais il n’y a aucun signe d’un plan américain alternatif – un plan B – si les pourparlers ne sont pas renouvelés ou si aucun accord n’est conclu avec les États-Unis. En effet, l’équipe Biden semble hésiter à négocier un retour de l’Iran (et des États-Unis) à l’accord de 2015 « tel quel » , ou à faire tout son possible pour obtenir un accord « plus long et plus fort ».

En pratique, cette dernière option – « plus long et plus fort » – n’est pratiquement pas « faisable »: il ne sera pas possible de la proposer à l’administration Raïssi. En bref, elle ne figure sur aucune liste d’options. Et même un retour à l’accord actuel du JCPOA est problématique. Le fait est que l’accord de 2015 est devenu de plus en plus obsolète. Il ne sert pas à grand-chose de répéter ici tous les obstacles à un accord qui sont apparus au cours des pourparlers – et qui ne sont toujours pas résolus. Ce n’est plus l’essentiel.

La dure réalité est que l’Iran a pris une telle avance en matière de prouesses techniques, d’accumulation d’uranium enrichi à 60 %, de capacité technique à fabriquer et à mouler de l’uranium métal et de capacité de ses centrifugeuses à accélérer très rapidement les niveaux d’enrichissement – et à atteindre le niveau d’enrichissement supérieur de 60 % – que le JCPOA de 2015 est devenu un peu comme ces cartes postales d’après-guerre en noir et blanc représentant des paysages familiers. Elles évoquent des époques révolues qui sont devenues si lointaines, si éloignées de notre « mode de vie » contemporain, qu’elles ne suscitent que peu de résonance chez le spectateur d’aujourd’hui, et seulement une curiosité détachée.

C’est ce que représente le JCPOA aujourd’hui – une relique d’une époque désormais révolue. Et nous ne pouvons pas plus revisiter les scènes de ces vieilles cartes postales décolorées ; les conditions du JCPOA « classique » peuvent-elles être reconstituées ? Les experts israéliens de la défense reconnaissent que le génie des connaissances techniques accumulées ne pourra jamais être repoussé dans la bouteille. Il existe. Il est là. Il est présent et restera dans le cerveau iranien.

Les experts israéliens affirment que même si les installations nucléaires iraniennes étaient totalement détruites (une hypothèse très discutable, compte tenu de leur dispersion à travers le pays, de la dissimulation de pièces clés et de la profondeur à laquelle elles sont enterrées), cela ne retarderait le programme nucléaire iranien que de deux ans maximum.

Cependant, la menace de l’option militaire décrite ci-dessus omet généralement un autre facteur essentiel : la tentative déclencherait probablement une guerre régionale et multifrontale, à laquelle « Israël » n’est pas préparé. Cet addendum, le plus souvent passé sous silence, est bien sûr ce qui change la donne. En effet, non seulement l’avancée du programme nucléaire iranien a fait du JCPOA une carte postale archaïque issue du passé, mais le déploiement de missiles intelligents et de drones en essaim autour d’« Israël » a fait voler en éclats les plans « B » des États-Unis et d’Israël.

Ils n’ont pas de plan « B ». Pourquoi ? Parce que l’« option militaire » des États-Unis et d’Israël (le bâton à brandir en cas de non-respect des règles par l’Iran), si souvent vantée sous l’ère Obama, n’a pas « disparu » . Elle existe bel et bien – comme les États-Unis ont tenté de le rappeler récemment en faisant voler un bombardier lourd B-1B, capable de transporter ses « bunker busters » les plus lourds, dans un parcours autour de l’Iran – mais c’est juste que les risques d’une telle action ont été multipliés par mille. Une guerre totale dans la région pourrait entraîner la fin d’« Israël » tel que nous le connaissons aujourd’hui. C’est aussi simple que cela. Et il vaut mieux ne pas le dire (dans les cercles occidentaux).

Voici l’impasse cruciale : l’Iran est probablement déjà un État au seuil technologique lui permettant d’assembler une arme nucléaire. Il n’est cependant pas un État susceptible d’acquérir des armes nucléaires. Peut-être que les choses en resteront là. Peut-être pas.

Voilà où nous en sommes : ni les États-Unis, ni l’Iran n’ont de plan « B » crédible qui ne risquerait pas de transformer la région en un désert fumant, et le « programme » iranien a suffisamment progressé pour que l’on ne puisse pas l’empêcher d’atteindre le seuil pour théoriquement le retarder (apparemment) de deux ans.

Que pourrait-il donc se passer, si les pourparlers échouaient ? Le JCPOA serait-il enterré ?

Rien de tout cela n’est clair. Tout d’abord, si les négociations échouent ou n’ont pas lieu, la question de la responsabilité se posera. Les pays de l’UE-3 1 et les États-Unis au G20 ont déjà défini le cadre permettant de faire porter le chapeau à l’Iran.

Mais il faut approfondir la question. Il y a deux composantes différentes à cela. La première préoccupation de Biden sera d’éviter les reproches des élites spécialisées en politique étrangère à Washington. Il est déjà sous le feu des critiques dans son pays pour la « faiblesse » de sa politique étrangère. L’évaluation plus large au niveau mondial sera pour lui une considération secondaire. Mais pas pour l’Iran.

La Russie et la Chine n’auraient probablement pas de problème avec l’Iran en tant qu’État au seuil nucléaire (même si elles ne l’ont pas dit explicitement). Par exemple, le Japon est depuis longtemps un État au seuil nucléaire, mais il ne possède pas d’armes. L’axe Russie-Chine pourrait considérer que l’Iran en est déjà un aujourd’hui. Peut-être. Toutefois, ils ne se réjouiraient pas que l’Iran devienne un État doté d’armes. Ils souhaiteraient plutôt que l’Iran continue de se conformer à ses obligations au titre du Traité de non-prolifération (y compris les inspections spécifiques au TNP par l’AIEA).

Cela impliquerait-il le maintien du TNP, même s’il s’agit d’un cadavre creux ne fonctionnant que grâce à un respirateur artificiel ? C’est une question discutable. Y a-t-il un sens à cela ? Que ferait l’UE-3 ? C’est également discutable. Toutefois, comme d’habitude, ils suivront probablement l’exemple de Biden et accuseront l’Iran. Ils se sont déjà engagés sur cette voie – avec la déclaration commune publiée à Rome, préparant le discours de culpabilisation de l’Iran.

Que se passera-t-il alors ? Probablement pas grand-chose. Il est déjà évident que le gouvernement israélien se sent obligé de « faire quelque chose », pour son électorat national. Il y a beaucoup de fanfaronnades de loup, menaçant de « faire sauter la maison iranienne », bien que la maison iranienne soit maintenant construite en briques. Et « Israël » a besoin d’au moins deux ans de préparation pour être prêt à faire face à une grande guerre. Bennett a plutôt menacé d’intensifier les attaques là où il voit une certaine vulnérabilité iranienne : c’est-à-dire en Syrie et au Liban, où « Israël » se sent peut-être encore capable de mener des micro-attaques contre l’Iran sans déclencher une guerre régionale.

Bennett a peut-être raison. Mais notez que de nombreux membres du cabinet israélien ont désormais les yeux rivés sur Moscou (à la suite du retrait progressif des États-Unis de la région). Ces Israéliens voient Moscou aux commandes de la région et pensent qu’« Israël » doit se recalibrer en conséquence. Le calcul de Bennett sur la vulnérabilité iranienne pourrait toutefois s’avérer une erreur. Le gouvernement de Raïssi ne restera pas passif, mais répondra probablement de manière asymétrique (et niable) et calibrée (voir les récentes « guerres de pétroliers »).

En cas de « non-accord », la Russie et la Chine ne rejetteront pas la faute sur l’Iran, mais plutôt sur Washington, à juste titre. Le pétrole iranien continuera de couler et l’économie s’intégrera progressivement à la Communauté économique eurasienne.

Mais… mais, la région est une « terre sèche » : tendue, avec des populations en situation désespérée, à bien des égards, du fait d’étés suffocants, de mauvaises récoltes et d’une entropie systémique. ​Un faux mouvement des États-Unis ou d’« Israël » et tout cela pourrait exploser en un feu de brousse dévastateur.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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