Candyman : l’horreur sociale au cinéma — Jacques FRANJU

Candyman : l’horreur sociale au cinéma — Jacques FRANJU

En 2020 nous avons vu aux Etats-Unis se développer les manifestations du mouvement Black Live Matters (« la vie des Noirs compte ») après l’assassinat de George Floyd, un Afro-américain, par des policiers. Ce qui a ressurgi c’est la question du racisme et celle du sort fait aux descendants d’Africains. Ces manifestations n’ont pas tardé à rencontrer un écho à l’international, dont en France, avec des thématiques plus hexagonale. Il faut se rappeler que la majorité des noirs aux Etats-Unis sont arrivés par l’esclavage et que la Révolution aux États-Unis est venue permettre d’assurer le droit de propriété des Blancs sur leurs esclaves noirs [1]. La guerre de Sécession a mis fin à l’esclavage mais dans les faits de nombreuses discriminations ont continué à perdurer, notamment dans le sud du pays. Les années 50 à 70 ont vu émerger des leaders noirs comme Martin Luther King et Malcolm X. Malgré certaines avancées, la vie des Afro-Américains restent encore difficile : sans faire de populisme et dire que tous les Noirs américains subissent la discrimination – certains sont bien implantées dans la haute-bourgeoisie et exploitent leurs congénères peu importe leur couleur de peau – il est vrai qu’ils restent majoritaires à remplir les prisons de l’oncle Sam et à vivre dans la pauvreté.

Dans les années 80 se développe le genre du slasher, c’est-à-dire des films où un tueur, souvent masqué, vient massacrer des jeunes Blancs des quartiers aisés des banlieues pavillonnaires, désinvolte et faisant l’erreur de ne pas rester chaste. On est loin de tout ça avec Candyman de Bernard Rose, sorti en 1992, et qui va nous permettre d’évoquer la problématique exposée ci-dessus.

Le film raconte l’histoire d’Helen Lyle, jouée par Virginia Madsen, étudiante à l’université d’Illinois à Chicago, préparant avec son amie Bernadette une thèse sur les légendes urbaines. Au cours de ses recherches, elle entend parler de la légende de Candyman, un esprit vengeur qui apparait pour tuer si on prononce 5 fois son nom. Apprenant que ce mythe terrorise les habitants du quartier de Cabrini Green, où vivrait son esprit après que ses cendres y furent dispersées. Ne croyant pas à la légende, elle ne tardera pas à apprendre que certaines histoires sont vraies.

Le générique du film nous offre une contre-plongée sur la route de San Francisco où se déroule le film. Une route en ligne droite qui relie les quartiers aisés où vit notre personnage principal et celui du défavorisé Cabrini Green, où hante Candyman. Cette scène nous donne du surplomb et nous écrase par rapport à cette ville. En arrivant à Cabrini Green, nous avons droit au premier discours du monstre, dont les abeilles formant un nuage recouvrent la ville, montrant l’aura menaçante de celui-ci sur toute la ville. En disant « Je suis venu te chercher », le réalisateur fait un fondu des immeubles sur le visage d’Helen Lyle, indiquant au passage le lien presque mystique entre Candyman et elle. Une scène magnifiquement servie par la musique de Philippe Glass qui instaure une ambiance gothique et romantique [2].

Quitte à parler de la ville, parlons des formes géométriques la recouvrant. Il y en a, grosso, modo 3 dans le film [3]. Le premier c’est le cercle de l’université de San Francisco, qui est fermé et réconfortant à la fois, lieu de savoir et d’une certaine aisance sociale. La seconde forme c’est le rectangle de Cabrini Green, qui enferme mais est nettement moins rassurante, synonyme d’entassement de la population et d’impossibilité de sortir de la pauvreté. La troisième est la ligne droite qui fait la jonction entre les deux univers. Typiquement la route du générique du film liant les quartiers aisés et les quartiers pauvres, ou encore le couloir de l’asile qui fait passer Helen de sa vie rassurante à un isolement social comparable à celui des habitants de Cabrini.

La grande majorité de l’intrigue se passe donc à Cabrini Green, quartier qui existe vraiment et qui était réputé pour être mal famée à l’époque [4]. Il était composé de grands ensembles destinés comme les nôtres à loger des millions de travailleurs de la ville – en l’espèce des Afro-Américains. Seulement Cabrini Green s’est transformé en lieu de pauvreté avec des immeubles délabrés, une criminalité qui explose et seulement 9% des habitants ayant un emploi rémunéré au début des années 90. Les décors de Cabrini dans le film, c’est-à-dire les graffitis, l’aspect sale et les fenêtres cassées, ne sont pas inventés : c’était bien ce à quoi ressemblait le quartier à l’époque. En 1987, c’est déroulé le meurtre de Ruthie Mae McCoy, qui fut assassinée après que quelqu’un fut passé par le miroir de sa salle de bains [5]. Malgré ses appels à la police, celle-ci ne l’a pas cru. Cette histoire est reprise à peu de chose près dans le long-métrage de Bernard Rose. Ce dernier a décidé de tourner à Cabrini car il s’est rendu compte en y allant que le lieu dégageait une peur palpable, même si en revenant plus tard il a constaté que celle-ci était exagérée [6]. Le quartier est en quelque sorte isolé, même s’il est en centre-ville, ce qui le rend plus facilement victime de la violence quotidienne, les policiers n’intervenant pas quand Ruthie Jean se fait assassiner (même si sa voisine qui entend les cris appel), mais agit lorsqu’une blanche n’habitant pas le quartier se fait agresser.

Candyman se moque aussi des slasher des années 80, à travers la première histoire racontée de Candyman. Celle-ci se passe dans une banlieue riche, rurale, où une jeune fille blanche, adolescente, batifole avec un jeune homme sans faire attention au danger la nuit. Cette histoire parait ridicule car nous en avons vu une foison sortir de la décennie précédente, avec tous ses clichés et ses histoires invraisemblables. Même le personnage principal s’en moque, ce qui nous fait passer le message que nous n’allons pas voir un simple slasher.

Venons-en donc à notre personnage principal : Helen Lyle. C’est une thésarde blanche faisant partie des classes aisées, dont le mari est un enseignant renommé à l’université de l’illinois (elle est probablement son ancienne étudiante). Elle fait des recherches sur les légendes urbaines et c’est dans ce cadre qu’elle s’intéresse à l’histoire de Candyman. Le film va nous narrer sa descente aux enfers et la perte de son statut social. Sa caractéristique primordiale est d’être à la croisée des classes sociales : elle est une privilégiée dont la vie paisible est bien différente de ceux vivant à Cabrini Green, mais en même temps, dans la hiérarchie de sa classe, la petite-bourgeoisie, elle est sans cesse rabaissée par les hommes de sa classe qui doute de ses capacités, l’amenant à se mettre en danger pour prouver le contraire.

Dans le premier cas, elle se rendra bien compte de son statut privilégié quand elle verra la différence de traitement lors de son agression et celui réservé aux habitants du quartier. De même, elle comprendra l’isolement face au danger et l’horreur de voir sa parole mise en cause quand Candyman la fera passer pour folle. D’ailleurs au début du film, elle ne s’intéresse pas aux habitants de Cabrini Green et n’a pas d’avis divergent par rapport aux clichés habituels propagés sur les personnes qui y vivent.

Dans le deuxième cas, on voit son statut inférieur dans certaines scènes, comme celle où elle dine avec l’ami arrogant de son mari, qui se moque d’elle en montrant qu’il a plus d’information qu’elle sur la légende. De même, dans sa relation avec son mari, on comprend dès l’apparition de celui-ci qu’une hiérarchie existe dans le couple : lui est prof reconnu, il ne respecte pas le souhait de sa femme (ne pas parler des légendes urbaines avant qu’elle ait fini sa thèse) et la trompe probablement avec une étudiante. Plus tard, quand elle aura besoin de lui au commissariat, il ne répondra pas au téléphone car absent de la maison, des photos du couple et le lit vide servant à nous symboliser qu’il est aussi absent du couple. De manière significative, lorsqu’elle est amenée à l’hôpital, son mari lui tient la main avant de la lâcher quand elle entre dans les lieux, indiquant qu’il l’abandonne totalement, ce qui est également démontré quand elle revient constater qu’après un mois d’internement son mari a déjà refait sa vie avec une étudiante, réaménageant l’appartement et effaçant sa vie de couple avec Helen. Comme si celle-ci n’était au final qu’un individu jetable à sa merci.

Autant Helen est en décalage avec Cabrini Green, autant elle se rapproche sur plusieurs points de Candyman : comme lui elle fait partie de la classe dominante, mais à cause d’un préjugé, lui sa couleur de peau, elle son sexe, ils sont tous les deux dominés au sein même de leur classe sociale et ne sont pas estimés à leur valeur, chacun subissant une ostracisation lorsque les bornes de ce qu’accepte leur milieu seront dépassées. Par cette relation, accompagnée d’une attraction, le personnage d’Helen permet de lier à la fois la question du racisme et celui du féminisme. Tout comme le fantôme vengeur, Helen finira par devenir une légende et vivra éternellement dans la peur des hommes.

Son amie Bernadette, qui fait la thèse avec elle, a la peau noire mais appartient au même groupe sociologique qu’elle et ne semble pas rencontrer de souci particulier, mis à part comme Helen d’être sous-estimé dans ses capacités.

Le personnage d’Anne-Marie McCoy, résidente de Cabrini Green et qui rencontre Helen lors de sa première visite, tente d’élever comme elle peut son garçon dans un quartier violent, sachant qu’elle est isolée en cas d’agression. Superstitieuse et croyant en la légende de Candyman, elle est piégée dans les stéréotypes qu’on renvoi des habitants de Cabrini.

A tout seigneur tout honneur, intéressons-nous au monstre du long-métrage, le Candyman. Même s’il s’agit du premier personnage parlant du film, il tarde à arriver dans l’intrigue, ne se manifestant qu’au moment où son existence est remise en cause. Sa première apparition aura donc lieu dans le parking où il vient chercher Helen. De son vrai nom Daniel Roubitaille [7], celui-ci était un fils d’esclave affranchi aux Etats-Unis au XIXe siècle. Son père ayant fait fortune et devenu un bourgeois, Daniel ira dans les meilleures écoles et fera partie de cette même classe sociale, d’autant plus qu’il avait un grand talent pour la peinture. Appelé par un riche homme pour faire le portrait de sa fille afin de faire rayonner son nom et ses titres de propriétés, Candyman s’éprendra de la jeune fille et la mettra enceinte. Devant le risque de ternir sa lignée par une union mixte, le riche homme fera assassiner Daniel de manière barbare et dispersera ses cendres dans ce qui deviendra Cabrini Green. Ainsi la légende de Candyman est créée. En tant qu’esprit vengeur, Candyman est orgueilleux et suffisant, se prenant pour un dieu et utilisant à son égard le lexique de la divinité. Parlant toujours de manière courtoise, il tue ses victimes, peu importe leur statut social ou leur couleur de peau. Son existence dépend du fait que les gens croient en lui et son but est de continuer à propager sa légende uniquement pour pouvoir continuer à exister. La rationalité sociologique d’Helen pour appréhender sa légende le niant, il est obligé d’intervenir pour perdurer car elle sème le doute chez ses « fidèles ». Toutefois, loin de seulement la tuer pour vivre, il décidera de la faire basculer et de l’isoler afin qu’elle accepte de le rejoindre, puis de la transformer en une légende comme lui afin de vivre ensemble pour l’éternité, Helen ressemblant beaucoup à sa bien-aimée.

Un côté romantique se dégage du personnage, à la façon d’Edgar Allan Poe, qui est bien servi par la prestation de son interprète Tony Todd. Pour accentuer l’aspect fantomatique du personnage, dans la version originale toute les répliques de Candyman sont redoublées au montage, afin de donner l’impression que ses paroles ne sont pas prononcées à l’endroit où il se trouve. Sur bien des aspects, il ressemble à Dracula. Tout d’abord, lors des moments d’hypnose d’Helen, la lumière est mise sur les yeux d’Helen comme dans le Dracula de Tod Browning. On peut rapprocher le long-métrage d’un autre Dracula sortie la même année que Candyman, celui de Coppola, où le monstre de Bram Stoker devient romantique, cherchant à séduire et à amener de son côté une femme ressemblant à sa chère et tendre. A la fin du film sa légende passera à Helen : une preuve en étant les fresques de Cabrini comptant l’histoire de Candyman sont remplacées par celle d’Helen.

Pour un budget de 6 millions de dollars, le film en a rapporté 25 millions. Adapté de la nouvelle “ The Unforgiven ” de Clive Barker, Bernard Rose devait tourner initialement une autre œuvre de Clive Barker mais il a préféré celle-ci. La production a commencé très vite et le film a été bouclé en un an. Le tournage à Cabrini a lui été fait en 3 jours. La musique du film a été composé par le musicien renommé Philippe Glass, dont les partitions permettent de donner un côté très gothique au film et une certaine puissance. Il est étonnant d’ailleurs que le film ait pu être tourné, ses codes étant bien loin de ceux des slashers auxquels il est sensé se rattacher. A tel point que la production avait peur car le film n’était pas assez gore.

Le public visé du film est difficile à cerner : on sent que c’est à la fois le public adolescent qui va voir les slashers [8] mais, en même temps, l’allure globale du film et son côté Alice au pays des merveilles [9] peut faire penser à la recherche d’un public plus à l’aise avec le conte et la littérature gothique.

A la sortie, le film fut critiqué par certains pour véhiculer des images racistes [10]. Même si ces critiques n’ont plus lieu aujourd’hui, il semble intéressant d’y revenir.

Les Noirs du film sont représentés comme superstitieux ? En général dans les films d’horreur pour qu’on croit au surnaturel on fait intervenir des personnages superstitieux ayant peur d’une légende, afin de mettre en garde le personnage principal contre le danger encouru. Encore une fois, on peut prendre l’exemple de Dracula et des habitants proche de son château qui sont morts de peur à l’idée de se rendre près de l’antre du seigneur des vampires, les histoires les plus folles courant à son sujet. C’est donc un cliché de film d’horreur assez banal. Le film représente des dealers ? Certes il faut convenir que ce n’est pas la meilleure représentation, mais le film nous montre que c’est loin d’être les seuls habitants du ghetto. Candyman tue des Noirs ? Encore une fois il tue tout le monde, peu importe la couleur de peau. Candyman est attiré par les femmes blanches ? Il est attiré par une en particulier car elle ressemble à sa compagne.

Si l’on veut conclure sur le film, celui-ci reflète plus largement la difficulté des Afro-Américains à s’intégrer, d’autant plus s’ils sont défavorisés. C’était donc une mauvaise interprétation de le considérer comme raciste. On peut aussi y voir une métaphore sur les barrières de classe à tous les niveaux (économique, socio-culturel, géographique, amoureuse, etc) qui enserrent les individus et les empêchent de se développer paisiblement. C’est peut-être même l’autre métaphore du film, l’impossibilité de l’épanouissement personnel dans une société divisé en classe.

[1] Contre-histoire du libéralisme de Domenico Losurdo.

[2] Au sens d’Edgar Allan Poe.

[3] « Candyman, Candyman, Candyman, Candyman… [Spécial Halloween] », ratelrock, 25/10/2020.

[4] Aujourd’hui, il aurait fait l’objet d’un embourgeoisement, ce dont devrait traiter la suite-remake de Candyman en 2021.

[5] « Découvrez l’histoire terrifiante qui a inspiré le film Candyman », Daily geek show, 19/08/2020.

[6] « Horrorella Talks Tolstoy, Beethoven and Candyman with Writer-Director Bernard Rose ! », Ain’t it cool news, 12/08/2015.

[7] Son véritable nom n’est jamais donné dans le film, seulement dans les suites.

[8] Emission radiophonique Le cinéma est mort sur Candyman, 16/03/2019.

[9] « Candyman », critique par le site Le bleu du miroir.

[10] « Black slasher Candyman draws fire over racist depictions », Chicago Tribune, 29/10/1992.

»» https://lecuirassedoctobre.fr/2021/08/02/candyman-lhorreur-social-au-cinema/

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

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