Il n’y a eu que les prétendus alliés des États-Unis pour être surpris par l’AUKUS

Il n’y a eu que les prétendus alliés des États-Unis pour être surpris par l’AUKUS

Par Andrew Korybko – Le 30/09/2021 – Source Oriental Review

Les propres « alliés » des États-Unis sont les seuls à avoir considéré AUKUS comme une « surprise absolue ». Ni la Russie, ni la Chine n’en ont été étonnées ; ces deux pays savaient déjà à quoi s’attendre de la part des États-Unis. L’hégémonie unipolaire en plein déclin fera toujours passer ses propres intérêts avant ceux de quiconque, y compris ceux de ses « alliés ».

Le « président » Macron lors de la cérémonie officielle de lancement du nouveau sous-marin nucléaire français, le « Suffren », à Cherbourg, le 12 juillet 2019

Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, a affirmé récemment que la nouvelle alliance militaire trilatérale Australie-UK-US [AUKUS] contre la Chine n’était une « surprise absolue » que pour les prétendus alliés des États-Unis, mais pour personne d’autre. Selon TASS, ses termes exacts ont été :

Pour l’OTAN, il s’est agi d’une surprise totale et d’un choc. Il s’est agi d’une surprise absolue non pas pour ceux que les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni considèrent comme leurs opposants, et contre lesquels ils collaborent, mais pour leurs alliés et les blocs militaires et politiques dont les États-Unis et le Royaume-Uni sont membres.

Ces propos ne se résument pas à du « trollage », comme certains cyniques pourraient l’affirmer ; il s’agit d’un reflet objectif de la réalité. La France a connu le choc de se faire « planter un coup de couteau dans le dos », comme son ministre des affaires étrangères l’a affirmé, après que ses « confrères alliés » étasuniens, anglais et de l’OTAN ont débauché un accord de sous-marins à 90 milliards de dollars australiens signé avec l’Australie, que les médias de l’hexagone avaient notoirement décrit comme le « contrat du siècle ».

Qui plus est, la France a été très offensée par le fait que l’ensemble de ce processus a été mené en secret, y compris durant le sommet du G7 de cet été, où Macron avait siégé aux côtés des dirigeants étasunien et britannique, et où il a été rapporté que ces deux derniers ont discuté de cet accord. Du point de vue de Paris, la conduite de ces trois pays a été inacceptable de la part de « confrères alliés ».

L’Inde et le Japon, qui coopèrent avec les États-Unis et l’Australie dans le cadre du Quad, ont connu la même surprise d’avoir été tenus à l’écart de ce bloc militaire anti-chinois de partage de technologie, même si leur réponse est bien plus réservée que celle de la France ; ces pays ne viennent pas de perdre des dizaines de milliards de dollars dans le processus. Mais ils restent sur le bord du chemin à se gratter la tête en se demandant pourquoi ils n’ont pas été invités à prendre part à cette alliance.

Mme Zakharova a donc décrit la situation stratégique avec exactitude. Les propres « alliés » des États-Unis sont ceux qui ont considéré AUKUS comme une « surprise absolue », mais pas la Russie ou la Chine. Ces deux pays savaient déjà à quoi s’attendre de la part des États-Unis : l’hégémonie unipolaire en déclin fera toujours passer ses propres intérêts avant ceux de quiconque, y compris ceux de ses « alliés ».

Les expériences que ces deux pays ont connues au cours des décennies passées leur ont enseigné à ne jamais faire confiance aux États-Unis. Après tout, ce pays a œuvré à les « contenir » tous les deux, malgré les espérances manifestées par les dirigeants russes et chinois de pouvoir établir des relations pragmatiques avec les États-Unis, sur une base de respect mutuel, chose que Washington a toujours refusé de leur accorder.

Au lieu de cela, les États-Unis ont tenté de traiter ces deux pays de la même manière qu’ils traitent leurs « alliés », en faisant tout pour les dominer et contraindre leurs dirigeants à accorder des concessions sans fin aux intérêts propres des États-Unis. Ce positionnement est considéré comme totalement inacceptable pour la Russie et la Chine qui, contrairement aux « alliés » des États-Unis, ont à cœur leur souveraineté, et ont donc décidé de résister à ce harcèlement.

Il n’a donc pas été surprenant pour eux de voir les États-Unis poignarder la France avec autant d’audace, tout en décevant l’Inde et le Japon. Manquer de respect à ses « alliés » constitue la règle, et non l’exception, dans la pratique de la politique étrangère étasunienne. La Russie et la Chine ont appris cela en se voyant traitées fort mal par les États-Unis, y compris au cours de la période où ces deux pays jouissaient de relations cordiales avec la première puissance mondiale de l’époque.

Les « alliés » des États-Unis sont en train d’apprendre cet enseignement à la dure ; plus durement sans doute que la Russie ou la Chine. Ces deux pays s’étaient toujours montrés prudents dans leurs rapprochements avec les États-Unis, y compris au cours des prétendus « périodes meilleures », car leurs administrations permanentes militaires, de renseignement et diplomatiques (« États profonds ») ne faisaient à l’époque pas l’unanimité à cet égard. Pour cette raison, certains courants en leur sein avaient limité leurs paris.

Ces courants plus prudents avaient principalement relevé des branches militaires, et surtout de renseignements, de ces structures obscures. L’appareil intérieur chinois est plus opaque que celui de la Russie, si bien qu’il est difficile d’affirmer avec précision qui avait prôné cette prudence, mais les héros russes en la matière avaient été les dirigeants des renseignements, à savoir Yevgeny Primakov, le cerveau du concept Russie-Inde-Chine (RIC), ainsi que Vladimir Poutine.

Bien que les « alliés » des États-Unis disposent également de leurs propres appareils militaires et de renseignements, ceux-ci n’ont pas la même influence dans la définition des politiques qu’en Russie ou en Chine, en raison des différences dans leurs modèles de gouvernement. Les forces patriotes de tout pays tendent en général à se concentrer dans ces deux branches, mais ils ont davantage de difficultés à peser sur les politiques dans les soi-disant « démocraties » que dans les autres systèmes.

Parmi les trois « alliés » qui ont été les plus surpris par AUKUS — la France, l’Inde et le Japon — l’Inde est celui qui est le mieux positionné pour s’adapter avec flexibilité à ce développement inattendu. Cela résulte du fait que ce pays, bien qu’il se présente comme une « démocratie », et loin du modèle occidental en la matière, et incarne de fait certaines tendances à la centralisation qui sont plus souvent associées aux modèles russe et chinois.

En pratique, ceci signifie que les branches militaire et de renseignement de l’Inde disposent, en comparaison, d’une influence plus importante sur le choix des politiques qu’en France ou qu’au Japon. Ceci ne signifie pas intrinsèquement que l’Inde va considérer les États-Unis avec suspicion à partir d’AUKUS, mais simplement que le géant asiatique est le pays qui présente les probabilités les plus importantes, de ces trois pays, de se comporter de manière indépendante.

Après tout, New Delhi est déjà confronté à des menaces de sanctions de la part de Washington, du fait qu’il s’en tient loyalement à l’accord de défense aérienne signé avec Moscou pour acquérir des missiles S-400. L’Inde fut également outrée des violations de sa Zone Économique Exclusive par la Navy étasunienne, début 2021, qui avait mené une opération de soi-disant « liberté de navigation » dans la région. Les forces militaires et de renseignements de ce pays ont commencé à apprendre à se méfier de la fiabilité des États-Unis.

Ceci étant dit, l’Inde conserve également un intérêt à coopérer plus étroitement avec les États-Unis, au vu du désir partagé entre ces deux pays de contenir la Chine, mais l’Inde pourrait se montrer un peu plus réticente à s’engager aussi complètement que par le passé ; les suspicions montent du fait d’accords secrets établis par les États-Unis, tel AUKUS. Les événements à suivre montreront la trajectoire choisie par New Delhi, que l’on ne saurait à ce stade déterminer sur la base de sources publiques.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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