Sur la foi servile des écologistes en l’État (par Nicolas Casaux)

Sur la foi servile des écologistes en l’État (par Nicolas Casaux)

À pro­pos de quelques naï­ve­tés bien trop répandues

Aujourd’hui, en France et ailleurs, la plu­part des « éco­lo­gistes » non seule­ment ne s’opposent (évi­dem­ment) pas à la civi­li­sa­tion, à l’industrie, au capi­ta­lisme et à l’État, comp­tant même sur ce der­nier pour résoudre les pro­blèmes des temps pré­sents — tels qu’ils les per­çoivent et défi­nissent. C’est-à-dire qu’en géné­ral, ils espèrent que les diri­geants poli­tiques fassent en sorte que les émis­sions de gaz à effet de serre dimi­nuent dras­ti­que­ment, « décar­bonent » l’économie, ordonnent un grand chan­tier natio­nal de BTP de « réno­va­tion ther­mique » de tous les loge­ments, ins­taurent tout un ensemble de mesures visant à limi­ter et réduire les émis­sions de GES, déve­loppent mas­si­ve­ment les « éner­gies renou­ve­lables » (fassent construire plein de cen­trales de pro­duc­tion d’énergie dite verte/propre/renouvelable) et autres tech­no­lo­gies dites vertes.

L’iniquité fon­da­men­tale de la pro­prié­té pri­vée, fon­cière, héré­di­taire, le carac­tère anti-éco­lo­gique de toutes les indus­tries exis­tantes, y com­pris des indus­tries qui pro­duisent les appa­reils à pro­duire de l’énergie verte/propre/renouvelable (indus­tries des pan­neaux solaires pho­to­vol­taïques, des éoliennes, des bar­rages hydro­élec­triques, etc.), le carac­tère hié­rar­chique de la socié­té de masse fabri­quée par l’État, la dépos­ses­sion, l’aliénation, la ser­vi­tude sala­riale, la vora­ci­té infi­nie du capi­ta­lisme, le carac­tère auto­ri­taire de la tech­no­lo­gie, etc., bref, l’essentiel du désastre leur passe, semble-t-il, à côté.

Mais arrê­tons-nous ici sur un point spé­ci­fique : leur rap­port à l’État — leur croyance à l’État. L’historien Howard Zinn s’efforçait de rap­pe­ler (il emploie le terme « gou­ver­ne­ment », mais « l’État » fonc­tion­ne­rait tout aus­si bien) :

« Les gou­ver­ne­ments ne s’en char­ge­ront jamais ! Il ne faut jamais comp­ter sur les gou­ver­ne­ments pour faire avan­cer les causes de la paix, de la jus­tice, des droits humains ! Au cours de l’histoire humaine, on n’a jamais pu comp­ter sur les gou­ver­ne­ments pour s’occuper des besoins fon­da­men­taux des gens. Après tout, les gou­ver­ne­ments n’ont pas été créés pour cela. Les gou­ver­ne­ments ont été ins­tau­rés pour ser­vir cer­tains inté­rêts, qui ne sont pas ceux des popu­la­tions. Il est très impor­tant que les gens com­prennent cela ! Ceux qui ont des croyances naïves, celles avec les­quelles on gran­dit sou­vent dans ce pays, comme quoi “le gou­ver­ne­ment est notre ami”… Non ! Le gou­ver­ne­ment n’est pas notre ami ! »

Effec­ti­ve­ment, le gou­ver­ne­ment, ou l’État, est notre enne­mi. Il a tou­jours été l’ennemi des popu­la­tions. Et dans l’ensemble, tous les éco­los (ou les socia­listes) qui ont un jour cru pos­sible de « chan­ger les choses de l’intérieur », de faire en sorte que l’État fasse le bien (ils ont été un cer­tain nombre, déjà, depuis des décen­nies), ont pitoya­ble­ment échoué — mais ont par­fois réus­si à obte­nir quelques miettes de noto­rié­té, quelques postes au sein de l’appareil du pou­voir, et à grat­ter des thunes leur per­met­tant de mener une exis­tence confortable.

Ce qu’il semble sou­vent man­quer aux éco­lo­gistes type « mou­ve­ment cli­mat » et autres par­ti­sans d’une civi­li­sa­tion indus­trielle verte et bio, c’est donc, tout sim­ple­ment, une com­pré­hen­sion sérieuse de ce qu’est l’État (Fré­dé­ric Dufoing pro­pose ici des rap­pels impor­tants).

Plu­sieurs choses peuvent nous aider à dis­si­per les illu­sions et naï­ve­tés com­munes au sujet de l’État (fran­çais, par exemple). D’abord, l’étude de l’histoire de sa for­ma­tion (depuis le Royaume de France jusqu’à la pre­mière « Répu­blique ») : des vio­lences, des guerres, des vio­lences, et davan­tage de vio­lences. Ensuite, l’étude de la manière dont il a tou­jours trai­té les popu­la­tions pauvres à l’intérieur de ses fron­tières : des vio­lences, des vio­lences et davan­tage de vio­lences. Aus­si, la manière dont il a assu­ré (et dont il assure) sa pros­pé­ri­té au moyen de la colo­ni­sa­tion (Fran­ça­frique, etc.) : des vio­lences, des guerres, des vio­lences et davan­tage de violences.

On en voit d’ailleurs, ces temps-ci, qui, réagis­sant à l’actualité, en pro­fitent pour sou­li­gner com­bien il fait meilleur vivre en France qu’au Tali­ba­nis­tan, com­bien il serait absurde de qua­li­fier de « dic­ta­ture » cette douce France en regard de la dic­ta­ture des Tali­bans en Afgha­nis­tan. C’est en par­tie vrai, et en par­tie idiot. Comme le note Zyg­munt Bau­man, depuis la mon­dia­li­sa­tion du sys­tème capi­ta­liste, de l’économie :

« […] tout ce qui se pro­duit à un endroit don­né influe sur la vie, les espoirs et les attentes des hommes dans le reste du monde. Rien ne peut être rai­son­na­ble­ment consi­dé­ré comme appar­te­nant à un “ailleurs” maté­riel. Rien n’est réel­le­ment ou ne peut demeu­rer long­temps hors d’atteinte, indif­fé­rent à tout le reste. Le bien-être d’une socié­té n’est jamais sans lien avec la misère d’une autre. Pour reprendre la for­mule suc­cincte de Milan Kun­de­ra, cette “uni­té de l’humanité” qu’entraîne la mon­dia­li­sa­tion signi­fie sur­tout que “per­sonne ne peut s’échapper nulle part”. »

Autre­ment dit, d’une cer­taine manière, il n’existe plus qu’un seul gigan­tesque sys­tème social, pla­né­taire, qui s’avère moins dur, moins violent, moins osten­si­ble­ment auto­ri­taire dans cer­tains endroits parce qu’il l’est davan­tage dans d’autres. Pour le dire encore autre­ment, ceux qui chantent les louanges du régime poli­tique fran­çais pour la rai­son qu’il serait moins pire que d’autres ailleurs sont en réa­li­té en train de se réjouir des ter­ribles exac­tions de ces régimes pires qui existent ailleurs : la glo­rieuse France ne serait pas ce qu’elle est sans ses colo­nies (ou néo­co­lo­nies) afri­caines, sans les hor­reurs (com­man­di­tées par la France) qui s’y sont pro­duites, et qui conti­nuent de s’y pro­duire. Mon­dia­li­sa­tion oblige, la France com­merce d’ailleurs depuis long­temps avec l’Afghanistan :

« Le com­merce bila­té­ral fran­co-afghan demeure faible en rai­son prin­ci­pa­le­ment des condi­tions de sécu­ri­té. Il génère néan­moins un solde posi­tif depuis 2001. Après des baisses en 2013 et 2014 (45 mil­lions d’eu­ros en 2012 ; 25 mil­lions d’eu­ros en 2013 ; 17 mil­lions d’eu­ros en 2014), les expor­ta­tions fran­çaises vers l’Af­gha­nis­tan ont repris en 2015, attei­gnant 21,8 mil­lions d’eu­ros. Les trois prin­ci­paux postes fran­çais à l’exportation vers Afgha­nis­tan sont les pro­duits des indus­tries agroa­li­men­taires, les pro­duits phar­ma­ceu­tiques et équipements. »

En outre, la France entre­tient d’importantes rela­tions mar­chandes avec les Émi­rats arabes unis (les­quels consti­tuent le prin­ci­pal par­te­naire com­mer­cial de l’Afghanistan : « En 2019, l’Afghanistan a expor­té près d’un mil­liard de dol­lars d’or vers les Émi­rats arabes unis ») :

« Les rela­tions [entre la France et les Émi­rats arabes unis], dans un pre­mier temps limi­tées aux hydro­car­bures et aux coopé­ra­tions de sécu­ri­té, couvrent aujourd’hui un large spectre : coopé­ra­tion cultu­relle et uni­ver­si­taire, sta­tion­ne­ment de forces fran­çaises per­ma­nentes à Abou Dabi, pro­jets conjoints dans le domaine des éner­gies renou­ve­lables, coopé­ra­tion dans les domaines des nou­velles tech­no­lo­gies, de l’intelligence arti­fi­cielle, de la sécu­ri­té ali­men­taire, de la san­té et du spa­tial, etc. Les consul­ta­tions au plus haut niveau sont régu­lières et le Dia­logue stra­té­gique mis en place en 2012 per­met un sui­vi opé­ra­tion­nel des prin­ci­paux pro­jets struc­tu­rant la rela­tion bila­té­rale. Le 3 juin 2020, la France et les Émi­rats arabes unis ont ain­si adop­té une nou­velle feuille de route pour la pro­chaine décen­nie de leur par­te­na­riat stra­té­gique (2020–2030). […] Avec 3,3 mil­liards d’euros d’exportations fran­çaises vers les Émi­rats, la Fédé­ra­tion est notre 2ème débou­ché dans le Golfe. Le volume des échanges com­mer­ciaux bila­té­raux s’est éta­bli à 4,8 mil­liards d’euros en 2019, en hausse après cinq années de baisse consé­cu­tive. Nos expor­ta­tions vers les Émi­rats sont diver­si­fiées : les trois pre­miers sec­teurs expor­ta­teurs (plus de 70 % de nos ventes) sont les biens d’équipements, les pro­duits chi­miques, par­fums et cos­mé­tiques et enfin les pro­duits tex­tiles et habille­ment. A l’inverse, les impor­ta­tions (esti­mées à 1,5 mil­liard d’euros) sont domi­nées par les hydro­car­bures. Les Émi­rats accueillent aujourd’hui plus de 600 implan­ta­tions de socié­tés fran­çaises (+10% par an), dont la majo­ri­té des grands groupes du CAC 40. En France, les Émi­rats sont le deuxième pays inves­tis­seur du Conseil de coopé­ra­tion du Golfe après le Qatar. »

La France entre­tient éga­le­ment d’excellentes rela­tions com­mer­ciales avec le Qatar (petite dic­ta­ture entre­te­nant de bonnes rela­tions avec les Tali­bans), ses « échanges com­mer­ciaux avec le Qatar se sont éle­vés à 4,5 Mds EUR en 2019, un mon­tant en hausse de 28% par rap­port à 2018 fai­sant du Qatar le 2e client de la France au Proche et Moyen-Orient. Avec 3,2 Mds EUR d’excédent com­mer­cial, l’émirat consti­tue le cin­quième excé­dent com­mer­cial fran­çais. La France demeure éga­le­ment un réci­pien­daire impor­tant des inves­tis­se­ments directs qata­riens (envi­ron 25 Mds d’euros), der­rière le Royaume-Unis mais devant les États-Unis. Le fonds d’investissements bila­té­ral “Future French Cham­pions”, doté de 300 mil­lions d’euros et dont l’un des objec­tifs est d’investir dans les PME et ETI fran­çaises inno­vantes, a été créé en 2013. Il s’agit d’un par­te­na­riat entre la Bpi­france (ex-CDC IC dont les acti­vi­tés ont été trans­fé­rées à Bpi­france fin 2018) et le fonds sou­ve­rain Qatar Invest­ment Autho­ri­ty. À ce jour, plus de 120 implan­ta­tions fran­çaises sont recen­sées au Qatar dont une grande par­tie des entre­prises du CAC 40 et des grands groupes français. »

Les amis de nos amis sont-ils nos enne­mis ? Quoi qu’il en soit, une chose est sûre. Le coût réel, les coûts sociaux et envi­ron­ne­men­taux de la for­mi­dable liber­té des Fran­çais sont innom­brables et impliquent de diverses manières les régimes poli­tiques hor­ribles que cer­tains déplorent comme s’ils n’avaient rien à voir avec.

D’ailleurs, si l’on se base sur la défi­ni­tion de « dic­ta­ture » que donne le dic­tion­naire, soit un « régime poli­tique dans lequel le pou­voir est entre les mains d’un seul homme ou d’un groupe res­treint qui en use de manière dis­cré­tion­naire » (CNRTL), il ne paraît pas effa­rant de consi­dé­rer que cela carac­té­rise rela­ti­ve­ment bien l’État fran­çais — comme tous les autres États, comme l’É­tat en géné­ral et, plus lar­ge­ment, comme la civi­li­sa­tion indus­trielle mon­dia­li­sée. Certes, en France, le « groupe res­treint » qui pos­sède le « pou­voir » ne peut en user de manière tota­le­ment dis­cré­tion­naire — sans doute beau­coup moins que les diri­geants tali­bans. Peut-être serait-il plus judi­cieux de consi­dé­rer qu’il existe des dic­ta­tures plus ou moins vio­lentes, plus ou moins dures, que de refu­ser caté­go­ri­que­ment de consi­dé­rer la France comme une dic­ta­ture pour la seule rai­son qu’on y est plus en sécu­ri­té et plus libre qu’en Afgha­nis­tan. « Ce n’est pas une dic­ta­ture ici parce que c’est pire là-bas », c’est assez léger.

Au bout du compte, ceux qui exaltent le régime poli­tique fran­çais en com­pa­rai­son de l’afghan se réjouissent du fait de vivre dans une dic­ta­ture douce, impé­ria­liste, matrice du genre de dic­ta­tures dures qu’ils déplorent (c’est à cause de la France que nombre de dic­ta­tures dures virent le jour et se per­pé­tuèrent en Afrique). Mieux vaut vivre dans les pays (France ou États-Unis) — dic­ta­tures douces — qui fabriquent des dic­ta­tures dures que dans ces dic­ta­tures dures ! Oui, certes ! (Réjouis­sons-nous car nous ne savons pas ce que fomentent actuel­le­ment les ser­vices secrets de l’É­tat français !)

Mais lais­sons ici cette digres­sion. Pour en reve­nir à la nature de l’État (par exemple fran­çais) : il importe éga­le­ment de consi­dé­rer la manière dont il a tou­jours répri­mé les mou­ve­ments sociaux cher­chant à s’opposer aux injus­tices qu’il impose au quo­ti­dien : des vio­lences, des vio­lences et davan­tage de vio­lences. Le défer­le­ment de vio­lences à l’encontre des gilets jaunes est éga­le­ment ins­truc­tif. Le fait est que l’État n’hésite jamais à employer la vio­lence contre ceux qui dérangent ses plans.

Alors, bien enten­du, si votre objec­tif consiste sim­ple­ment à récla­mer ce que l’État compte de toutes façons impo­ser (le déve­lop­pe­ment des éner­gies dites vertes ou propres, la « car­bo­neu­tra­li­té », etc.), vous n’avez pas beau­coup de sou­ci à vous faire.

Mais dès lors qu’on sou­haite s’opposer de quelque manière à ses plans, à des pro­jets indus­triels (pré­ten­du­ment verts ou non), ou qu’on sou­haite réel­le­ment mettre un terme au désastre social et éco­lo­gique, il faut bien réa­li­ser que cela implique, selon toute pro­ba­bi­li­té, un com­bat révo­lu­tion­naire contre l’État (visant non pas à s’emparer de l’État, comme le sou­haite la gauche « néo­lé­ni­niste » à la Andreas Malm et Fré­dé­ric Lor­don, mais à le détruire).

Nico­las Casaux

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À propos de l'auteur Le Partage

« Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. »En quelques années, à peine, notre collec­tif a traduit et publié des centaines de textes trai­tant des prin­ci­pales problé­ma­tiques de notre temps — et donc d’éco­lo­gie, de poli­tique au sens large, d’eth­no­lo­gie, ou encore d’an­thro­po­lo­gie.contact@­par­tage-le.com

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