Roulette russe

Roulette russe

Deux nouvelles extrêmement intéressantes sont tombées qui pourraient avoir des conséquences géostratégiques aussi palpitantes qu’importantes à moyen terme. A double tranchant également…

Un haut placé du ministère russe de la Défense a émis l’idée que la Syrie pourrait (le conditionnel reste pour l’instant largement de mise) rejoindre l’Organisation du Traité de Sécurité Collective, fondée en 2002 et regroupant, outre la Russie, le Kazakhstan, l’Arménie, le Tadjikistan, la Biélorussie et le Kirghizstan.

Certes, les conditions restent à définir et les obstacles sont pour l’instant trop nombreux pour que la proposition puisse être étudiée sérieusement. Ceci dit, Moscou parlant rarement pour ne rien dire, l’idée a visiblement déjà fait son chemin dans les hautes sphères de la capitale.

C’est d’autant plus intéressant que l’OTSC a un article 4 qui ressemble comme deux gouttes d’eau au fameux article 5 de l’OTAN : l’agression contre un signataire est perçue comme une agression contre tous et l’obligation de défense mutuelle entre par conséquent en jeu.

De quoi faire cogiter sérieusement à Tel Aviv, à Ankara mais aussi paradoxalement, quoique de manière moins aigüe, à Téhéran qui verrait alors son influence militaire sur la Syrie s’affadir. Nous n’en sommes pas encore là mais la chose est à garder dans un coin de la tête…

OTSC justement. L’un de ses membres semble jouer un jeu assez dangereux en Afghanistan. Avant d’y venir, précisons que l’impressionant ras-de-marée taliban n’a pas été tout à fait complet et que la célèbre vallée du Panshir, chère au feu commandant Massoud et maintenant sous la direction de son fiston, refuse de se soumettre.

Les chances de l’Alliance du nord sont plus que minces étant donné que la province est totalement encerclée mais certains sont peut-être allés un petit peu trop vite en besogne. Le vice-président afghan Amrullah Saleh s’y est réfugié avec quelques centaines de militaires, rejoignant les forces panshiries. Au total, environ 10 000 hommes en armes ; trop peu pour se lancer à l’aventure en dehors de la vallée mais suffisamment pour constituer une irritante épine dans le pied taleb.

Résistera ou pas, attaquera ou pas ? Pour l’instant, les deux camps jouent les prolongations, plaçant leurs forces en ordre de bataille mais continuant à négocier. C’est dans ce contexte qu’est tombée une petite bombe : le Tadjikistan aurait ravitaillé en matériel l’Alliance du nord !

L’information, rapportée par les médias indiens et apparemment reprise par leurs confrères russes, n’est pas confirmée. De fait, elle pose quelques problèmes : comment les hélicos ont-ils survolé les régions du nord afghan théoriquement contrôlées par les talibans ? Ce contrôle n’est-il que partiel, les enturbannés n’ont-ils par de défense anti-aérienne ?

Si la chose est confirmée, le Tadjikistan prend là un bien gros risque. L’épisode ne sera pas oublié par les talibans qui avaient offert le rameau d’olivier aux pays voisins, les assurant qu’il n’y aurait aucun débordement au-delà des frontières.

De plus, le -stan du Pamir est un proche allié de la Russie (mais aussi de l’Inde, férocement anti-talibane). Douchanbé a-t-elle pris ses aises toute seule, y a-t-elle été poussée par New Delhi, a-t-elle reçu le feu vert tacite du Kremlin ? Beaucoup de questions et peu de réponses pour l’instant.

Il se passe d’ailleurs de petites choses curieuses à Moscou. Il y a quelques jours, Lavrov a appelé une nouvelle fois à la constitution d’un gouvernement représentatif de la société mais a ajouté un commentaire pour le moins ambigu : « Dans la vallée du Panshir se concentrent les forces de résistance de l’ancien vice-président Amrullah Saleh et d’Ahmad Massoud ». Simple constat objectif ou légère prise de partie («résistance») ?

Toujours est-il que l’initiative tadjike, si confirmée rappelons-le, et si tacitement autorisée par Moscou – ce qui fait certes beaucoup de «si» – mettrait quelque peu l’ambassadeur russe à Kaboul en porte-à-faux. A moins qu’il ne s’agisse là d’un petit maniement de la carotte et du bâton à la sauce tartare.

Elle placerait également l’OTSC dans un certain embarras. Quid si, dans quelques mois, les talibans s’en prennent à leur voisin septentrional ? Voulant sans doute désamorcer toute équivoque, le porte-parole du Kremlin a assuré, justement à l’issue d’une réunion de l’organisation, que la Russie n’avait aucune intention de s’ingérer dans le conflit entre talibans et Panshir. Ce qui n’empêche pas l’ours de proposer à ses alliés bordant l’Afghanistan des rabais sur ses griffes. On n’est jamais trop prudent…

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À propos de l'auteur Chroniques du Grand Jeu

« La géopolitique autrement, pour mieux la comprendre... »Présent à l'esprit de tout dirigeant anglo-saxon ou russe, le concept de Grand jeu est étonnamment méconnu en France. C'est pourtant lui qui explique une bonne part des événements géopolitiques de la planète. Crise ukrainienne, 11 septembre, tracé des pipelines, guerre de Tchétchénie, développement des BRICS, invasion de l'Irak, partenariat oriental de l'UE, guerre d'Afghanistan, extension de l'OTAN, conflit syrien, crises du gaz, guerre de Géorgie... tous ces événements se rattachent directement ou indirectement au Grand jeu. Il ne faut certes pas compter sur les médias grand public pour décrypter l'état du monde ; les journaux honnêtes font preuve d'une méconnaissance crasse, les malhonnêtes désinforment sciemment. Ces humbles chroniques ont pour but d'y remédier. Le ton y est souvent désinvolte, parfois mordant. Mais derrière la façade visant à familiariser avec la chose géopolitique, l'information est solide, étayée, référencée. Le lecteur qui visite ce site pour la première fois est fortement invité à d'abord lire Qu'est-ce que le Grand jeu ? qui lui donnera la base théorique lui permettant de comprendre les enjeux de l’actuelle partie d’échecs mondiale.Par Observatus geopoliticusTags associés : amerique latine, asie centrale, caucase, chine, economie, etats-unis, europe, extreme-orient, gaz, histoire, moyen-orient, petrole, russie, sous-continent indien, ukraine

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