Le JSFedor, anti-JSF

Le JSFedor, anti-JSF

Le JSFedor, anti-JSF

23 juillet 2021 – Il y a une grande gloutonnerie d’autosatisfaction chez les commentateurs les plus courus de la dissidence nécessairement antiaméricaniste, – et par conséquent habitués à une grande proximité, et de Poutine, et de la Russie. Je cite ici les articles presque parallèles, et d’ailleurs alignés sur la même grille de présentation du site du premier, du Saker-US et de Pepe Escobar. Pour une fois, ces deux commentateurs réputés quittent de concert la sphère de la Grande Politique pour la ferraille prodigieuse des avions de combat.

La cause de cet intérêt soudain pour la ferraille a un nom : “Checkmate”, ce qui “parle” à la tradition russe du jeu stratégique des échecs ; elle a un matricule : Su-75, à partir de son concepteur “historique” Soukhoi (Pavel de son prénom). Il s’agit d’un avion de combat “léger” (un moteur), d’appui tactique, extrapolé de la formule du chasseur moyen-lourd (deux moteurs) Su-57 ; d’où, probablement, l’inversion du chiffrage de la désignation officielle, le “5-7” du Su-57 devenant le “7-5” du Su-75.

Le Saker-US, particulièrement, a fait un travail très précis, très technique, et également très “communicationnel” dans cette sphère spécifique des avions de combat avancés. Le Su-75 est un 5G [cinquième génération] présenté comme “complet”, – la précision est sans cesse mise en évidence,  suivez mon regard torve vers le petit monstre américaniste qui toussote sur le tarmac avant de remettre son vol pour cause de Covid, – avec toutes les technologies qui vont avec, jusqu’à la sacro-sainte ‘Intelligence Artificielle’.

La première surprise de communication est qu’il y a effectivement eu une complète surprise, à partir de quelques vagues indications sur la présentation d’un avion de combat complètement nouveau au salon MAKS [acronyme pour le russe Mezhdunarodnyj aviatsionno-kosmiches, littéralement Salon international de l’aéronautique et de l’espace], sur l’aéroport Joukovski près de Moscou ; et l’on doit, selon ma ligne de raisonnement, considérer ce fait du “secret-bien-gardé” bien plus du point de vue de la communication que du point du ‘Secret-Défense’. Il s’agit bien de prendre l’arrivée de ce nouveau Su-75, d’abord comme un événement dans la guerre de la communication, comme un direct-surprise en pleine poire de l’adversaire, avant d’en venir aux considérations de la ferraille militaire et opérationnelle.

Le Saker-US : « [P]our la première fois depuis des décennies, les Russes ont (enfin !) réussi à garder les choses vraiment secrètes et il n'y a eu pratiquement aucune fuite concernant le Su-75, et la plupart de celles qui ont eu lieu ont été soigneusement orchestrées par les autorités russes. Je ne parle pas des médias de masse comme ‘Argumenty i Fakty’ ou ‘Popular Mechanics’. Même la presse spécialisée n'avait que peu d'idées sur ce à quoi ressemblerait ce “chasseur de 5e génération totalement nouveau qui sera bientôt dévoilé”. Il y avait eu quelques photos partielles, quelques dessins, quelques photos partielles, le tout agrémenté de suppositions éclairées. En outre, nous ignorons encore beaucoup de choses, y compris sur des sujets très importants comme le radar du Su-75 et les missiles air-air à longue portée.  Nous pouvons donc en conclure que les services de contre-espionnage russes ont finalement bien maîtrisé la situation en matière de sécurité et sont désormais capables de garder secret ce qui doit l'être.  Là encore, il s'agit d'une évolution très positive et nécessaire. »

On retrouve toutes les données et caractéristiques principales sur cet appareil, qui a soudain jaillit comme un diable de sa boite. L’image devrait bien aller dans le sens de l’irritation haineuse chez les gens de Lockheed Martin comme chez ceux du Pentagone, car il nous paraît absolument manifeste que le Su-75 est un anti-JSF, et cela dans tous les sens, y compris sinon surtout celui qui nous intéresse de la communication.

La chose a été aussitôt mise en évidence, du fait même de “sources officielles”, déniant qu’il y ait un rapport de concurrence entre le JSF et le JSFedor. (On choisit cette “russification” en hommage à Fedor Dostoïevski, dont ce n’était certainement pas du tout la tasse de thé mais qui est tout de même convoqué au Grant Tribunal de l’affrontement culturel, – puisque communication il y a, et donc culture russe, même hypermoderne, il y a.) Quand on écarte officiellement et avec une certaine ironie cynique comme font les officiels russes une hypothèse absolument évidente, c’est qu’on la confirme : c’est officiellement faux, mais vous pouvez y aller à fond… L’art de la FakeNews brandie en doigt d’honneur avec les bons vœux spécialement pour le CMI yankee…

Donc, le Saker-US nous parle en termes précis de cette connivence confrontationnelle déniée par les officiels russes entre le F-35 et le Su-75. La chose est détaillée minutieusement par les susdits “officiels”, un peu trop minutieusement je trouve, ce qui montre effectivement qu’il y a non seulement anguille sous roche, mais éclatante confirmation…

« En fait, les Russes nient officiellement avoir voulu faire une “réponse russe” au F-35. Ils disent que le F-35 et le Su-75 sont dans des catégories complètement différentes et quand vous regardez des paramètres tels que la vitesse, la maniabilité, la charge maximale ou, surtout, le prix, vous pouvez voir que les Russes ont fondamentalement raison : ce n’est pas “seulement” que le Su-75 est un avion bien supérieur, il est vraiment dans une catégorie de “force de frappe” complètement différente. »

Donc, c’est bien le cas : tout cela, tous ces détails techniques à profusion, n’a pas grand chose sinon absolument rien à voir avec la communication dont je parle, qui est un mélange d’apparat, de simulacre et de contre-simulacre, de maniement et de manipulation de l’information autour d’un artefact (l’avion de combat “avancé”) qui existe réellement et qui est possiblement une nouveauté de gros calibre, de façon à créer une “image” spécifique de cet artefact. Seule l’“image” m’intéresse, dans cette analyse, même si le Su-75 pète des flammes. (Pour ce dernier point, on verra, mais il se trouve que les Russes ont déjà largement démontré qu’ils savent faire désormais, et comment, dans l’armement de hautes technologies.)

L’apparat, pour le JSFedor apparaît dès la présentation en grandes pompes au MAKS, grandiose, dans le style de l’entertainment de la pyrotechnie informatique-hyperluxe si caractéristique des “avant-grandes-premières” de grandes présentations d’avions de combat nouveau, d’automobiles de luxe révolutionnaire, d’un nouveau parfum Hermès ou d’un super-film de Spielberg. Dans le genre, les Russes on fait grandiose, montrant par là qu’ils veulent et savent évoluer sur le terrain de la communication de notre modernité-tardive, au moins à l’égal du JSF, et même bien mieux. On voit cela dans telle galerie de photos de la présentation, dans tel YouTube absolument hollywoodien-Salon du Bourget.

Pour le reste, toutes les promesses et évaluations techniques et chronologiques vont dans le sens d’en faire un anti-JSF, dans le sens de prévisions qui furent celles du JSF et qui furent absolument ridiculisées par la grotesque galerie bouffonne d’erreurs et de contre-vérités de ce programme US qui a vingt-huit d’âge (!) et n’arrive pas à décoller décemment malgré de nombreuses doses vaccinales, doublées et redoublées.
• Le Su-75 est promis pour une offre opérationnelle à l’Armée de l’Air russe en 2025 ;
 • ses premières entrées en service opérationnelles sont prévues pour 2026, dans le cas de l’acceptation de l’Armée de l’Air en 2025  ;
• son prix est dans la zone des $30 millions l’exemplaire, un petit tiers (et plutôt un quart sinon un cinquième, pour mon compte) du prix du JSF/F-35 et dans les mêmes eaux (petit tiers) vis-à-vis du français “Rafale” et du suédois “Gripen”, – tous des monomoteurs relativement légers ;
• ses performances sont promises comme dévastatrices, y compris dans le combat aérien où le F-35 est inexistant (ce qui n’est pas le cas des deux autres) ; l’intégration des systèmes est annoncée comme superbe, au contraire de la casserole-JSF, avec des systèmes plus avancés que ceux que le JSF ne parvient même pas à intégrer.

Ne me parlez pas de technique à ce point : tout cela est pure communication, et c’est le domaine que je veux explorer. Désormais, dirait-on, pour les Russes il faut tenir, remplir leur cahiers des charges et des ambitions, et ce n’est pas assuré. Mais la question est bien abordée, du point de vue de la communication, au moment où le JSF entre “en service” à son train de sénateur, après 5-6 ans de déploiement préliminaire après une entrée en Operationnal Capability tout à fait théorique (2015 pour les Marines : voyez où ils en sont), – rythme endiablé, les gares !, – déploiement opérationnel du JSF comme on trempe le petit bout de son petit doigt de pied dans l’eau froide, accompagné de restrictions de vol sans nombre et de séjours réguliers en maison de repos des pilotes. Telle est l’importance de cet immense bordel que l’USAF développe une version avancée du F-15 (F-15X), et à mon sens la même chose à venir très vite sinon en développement discret avec le F-16, pour boucher les trous de l’énorme gruyère technologique qu’est le F-35.

C’est dans ce sens que le Su-75 est pour l’instant une opération de communication qui prend la voie d’être parfaitement réussie. Les Russes présentent un avion qui est d’une catégorie en-dessus de celle du JSF du fait des apport de nouvelles technologies, qu’ils promettent de mettre en service opérationnel en 2026 à partir de la base R&D (Research & Development) achevée en 2021 alors que le JSF était arrivé à cette base R&D en 2007. Ainsi en est-on à ce paradoxe où les Russes sont avantagés par le délai très important qu’ils ont mis entre le développement du JSF et l’arrivée du Su-75.

La démonstration de communication a été faite de l’incapacité où se trouvent les USA de concevoir et de produire un avion de combat moderne (5G) ; les Russes arrivent et disent : “Nous, nous allons faire”. L’opération (de communication) est beaucoup plus claire et nette que, par exemple, le Su-57 qui paraissait être pour la communication un rejeton à la traîne du F-22 (malgré tous les déboires du F-22). Cette fois, l’échec du JSF étant acté, les Russes ont le champ libre pour la possibilité de faire une démonstration brillante de leur maîtrise technologique, là où les USA ont totalement échoué. Il ne leur reste qu’à tenir leur calendrier.

S’ils réussissent, on passera aux choses plus concrètes, les Russes armés d’une formidable campagne de communication. Cela vaudra pour les forces russes, mais aussi pour l’export. Soukhoi espère une vente de 300 exemplaires à l’export (tandis que le Su-57 intéresse cinq pays) ; s’il réussit son opération de communication, cela pourrait aller bien plus loin à mon avis. Le Su-75 est un “anti-JSF” c’est-à-dire un JSF par effet miroir antagoniste ; un JSF qui marche mieux même qu’on espérât jamais faire marcher le JSF, un JSF-qui-vole, et le Su-75 pourra commencer à draguer une clientèle-export inattendue se constituant dans le troupeau des “cocus du JSF”, – ceux qui ont acheté le JSF en cherchant sur la fin à réduire désespérément les commandes pour ne pas perdre trop de plumes, et qui se retrouvent le bec dans l’eau, avec l’habituel doigt d’honneur yankee.

Je pense que, pour les Russes, il s’agit presque, au-delà de la communication, de l’exportation, voire des capacités opérationnelles, d’un défi d’ordre culturel et civilisationnel. Pour prendre un événement (de communication, toujours), qui survient au même moment, les Russes ont été marqués profondément par un article récent publié par le commentateur fameux Gorge F. Will dans le Washington Post, par sa tenue insultante, sinon tout simplement raciste. Un autre article expose cette question et nous donne une idée du degré de haine entre USA et Russie, de fait des USA instigateurs de toutr ce gâchis irréparable ; article de l’expert et universitaire turc Tarik Cyril Amar, historien à l’université Koç University d’Istanboul sur les matières russe, ukrainienne et d’Europe de l’Est, de l’histoire culturelle de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre culturelle durant la Guerre Froide :

« Qui est vraiment civilisé ? D'après un article paru ce week-end dans le Washington Post, propriété de Jeff Bezos, ce n'est certainement pas la Russie ou la Chine. Si le contenu n'est pas original, son attitude de néo-guerre froide a suscité l'indignation sur Internet.

» L'article de George F. Will affirme que les efforts des “nations civilisées pour dissuader” Pékin et Moscou “commencent à donner des résultats”. Le titre de l'article est frappant, même si l'on s'en tient aux normes post-Russiagate d’aujourd'hui. Il implique clairement que, – pour paraphraser le chef-d'œuvre de Sergio Leone ‘Le bon, la brute et le truand’ – il existe deux types de pays dans ce monde : les civilisés et les barbares (non-civilisés).

» Cette déclaration [le titre], – qu’elle ait été écrite par l’auteur ou par un rédacteur en chef, et dans tous les cas, un membre de la direction a dû donner son feu vert – est une affirmation incroyablement franche d’idéologie raciste dans l’un des journaux les plus influents des États-Unis. Ce titre est si bizarre qu’on le croirait sorti d’une machine à remonter le temps – tout droit sorti de l'époque des guerres de l’opium ou de la ruée [occidentale] vers l’Afrique.

» Et ne vous y trompez pas : cet article est raciste. Parce que le racisme, rappelez-vous, est un fantasme et n'a pas besoin de “race réelle” : il peut facilement être déployé contre des groupes qui ne sont pas qualifiés de “races”, selon n’importe quelle norme : demandez aux Juifs ou, d’ailleurs, aux Palestiniens. Donc, non, les Russes ou les Chinois ne sont pas des “races”. Mais oui, [les Russes] peuvent être la cible du racisme, – et, bien sûr, ils l’ont déjà été dans l’histoire.

Ainsi en est-il du Su-75, – comme d’autres systèmes où les Russes dominent, ; mais celui-là est essentiel car il s’agit de liquider impitoyablement l’image du JSF-raciste, arme technologique de communication du suprémacisme américaniste, dans lequel les  Black Livres Matter sont prêts à s’ébrouer avec délice, imitateurs zélés de leurs anciens maîtres. C’est sur ce terrain d’abord, que jouent les Russes : qu'ils soient cruels, impitoyables, qu'ils humilient tous ces zélés serviteurs du Système, qu'ils tentent de percer leur cuirasse faite d'une bêtise de plomb ; qu'ils jouent à fond dans ce domaine de la culture et de la communication, qui fait l'essentiel aujourd'hui…. De cela, je suis particulièrement convaincus, car la guerre et l’effondrement civilisationnels en cours concernent la culture que charie la communication, avant tout et dans tous les domaines, et de toutes les façons, avant la force, avant la technologie, avant l’armement.

La seule chose qui me préoccupe dans cette bataille de communication où j’espère bien que le JSF aura la tête tranchée, comme fit la guillotine en d’autres temps, c’est que les Russes ne se laissent pas emporter par le technologisme qui aurait fracassé la puissance et la psychologie américanistes. Alors, certes, faites votre Su-75, flanquez-leur une raclée, tapez-leur dessus en Syrie, en Irak, mais surtout, surtout,  évitez de faire du Su-75 un dieu pour cette raison. Ce n’est qu’une machine, et le technologisme est notre mort ; utilisez-le pour liquider les USA, mais gardez-vous bien de trop y sacrifier vous-mêmes.

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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