Les hauts et les bas du télétravail

Les hauts et les bas du télétravail

Selon l’Institut national de santé publique du Québec, environ 40 % des Québécois travaillent à distance depuis un an (alors qu’avant mars 2020, ce taux se situait plutôt entre 10 et 15 %). Selon plusieurs experts en la matière, le télétravail est là pour rester. Une majorité de Québécois (79 %) se disent d’ailleurs favorables à maintenir le télétravail après la pandémie, nous apprend un récent sondage Léger. Mais ce nouveau mode de travail ne comporte pas que des avantages. Un discernement attentif s’impose. 

Attirant, voire séduisant au premier regard, le télétravail compte un nombre croissant d’adeptes.

Les avantages de ce mode de travail sont effectivement multiples, que ce soit pour le collaborateur ou pour l’employeur. Par exemple :

  • plus grande autonomie ;
  • réduction du stress et du temps passé dans les transports (diminution de l’empreinte écologique) ;
  • meilleure conciliation travail-famille, possibilité de réduire certains coûts (repas, vêtements, essence, location de bureaux, stationnement) ;
  • productivité accrue.

Le télétravail peut aussi contribuer à une amélioration sociale en permettant à l’employeur d’embaucher des salariés handicapés (ou avec des contraintes familiales) et aux salariés de trouver un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, créant ainsi un cadre de travail plus épanouissant.

Des inconvénients bien réels

Sur papier, tous ces avantages pèsent lourd dans l’équation. Or, la théorie se trouve souvent confrontée à une réalité bien différente.

D’abord, le télétravail peut grandement affecter la productivité. Le travail de chez soi s’effectue dans un environnement que l’employeur peut difficilement contrôler et les distractions sont parfois nombreuses (repas, enfants, entretien ménager, animaux, etc.). 

Sur le plan budgétaire, une hausse de certaines dépenses ménagères est possible (électricité, chauffage, assurances, aménagement de l’espace de travail, matériel informatique et de bureau, etc.) et celles-ci doivent être intégrées dans le calcul de la prestation de travail.

« […] notre ère est témoin d’une croissance technologique inédite qui laisse peu de temps au discernement et qui risque de conduire à une société technocratique qui oublierait son humanité. »

Thomas Jauffret

En télétravail à domicile, le mélange vie privée et vie professionnelle peut s’avérer un problème majeur. Notre mode de vie hyperconnecté nous laisse peu de temps de repos. Il est déjà confronté à un flou entre le privé et le professionnel. Le fait de travailler de la maison risque de brouiller encore plus cette limite. 

Mais l’élément le plus nocif du télétravail est sans conteste le sentiment d’isolement. 

En mars dernier, plusieurs centaines de jeunes Québécois âgés de 18 à 34 ans ont exprimé de fortes inquiétudes par rapport à cette pratique et ses impacts sur la santé mentale, surtout à long terme. 

Anxiété, détresse et solitude étaient au nombre de leurs préoccupations. 

L’un des aspects faisant obstacle à l’adoption en masse du télétravail est aussi celui qui touche aux droits du salarié. Les normes du travail et celles sur la santé et la sécurité au travail ne sont pas encore suffisamment balisées pour s’adapter adéquatement au nouvel environnement numérique.

Certaines conventions collectives doivent mieux en tenir compte. Le parti politique Québec solidaire, par exemple, applique déjà une clause de droit à la déconnexion pour ses employés syndiqués et pousse pour qu’un projet de loi en ce sens soit voté par l’Assemblée nationale.

Nul n’est une île

Du côté de l’Église, une approche en nuance privilégie un usage prudent, avec tout le discernement requis. Pour elle, la technique prend souvent des traits ambigus. C’est pourquoi l’Église n’est pas a priori contre le développement des techniques, mais elle se méfie des idéologies technocratiques. Sujet complexe, mais qui peut se simplifier par cette remarque de Benoît XVI dans Caritas in veritate :

« Il faut néanmoins souligner qu’il n’est pas suffisant de progresser du seul point de vue économique et technologique. Il faut avant tout que le développement soit vrai et intégral. » (II, 23)

« Devant chaque innovation, rappelle Thomas Jauffret1, l’Église discerne. Elle interroge. La neutralité technologique n’existe pas ; toute technologie est issue d’un système de valeurs et a des conséquences. Or, notre ère est témoin d’une croissance technologique inédite qui laisse peu de temps au discernement et qui risque de conduire à une société technocratique qui oublierait son humanité. »

Dans sa première encyclique, Laborem exercens, Jean-Paul II distinguait trois dimensions complémentaires dans le travail : aspects subjectif, objectif et collectif. Cet aspect collectif du travail est au centre de l’anthropologie chrétienne, car le travail n’a de valeur qu’avec les autres, parce que l’homme est un être de relation, à l’image d’un Dieu-Trinité.

Selon Pierre-Yves Gomez, membre du Groupe de recherche Anthropologie chrétienne et entreprise, « le travail a une dimension éminemment collective : on ne travaille jamais seul et pour soi, mais toujours dans un contexte social. La voix de l’Église est attendue pour rappeler combien le travail s’inscrit dans une société, crée des rapports humains et nécessite des solidarités2. »

Gomez affirme même que les transformations du travail que nous vivons aujourd’hui ont une ampleur économique, mais surtout sociétale inédite comparable pour le moins à la situation posée par la « question ouvrière » en 1891.

« Il n’est pas interdit d’espérer que les choses nouvelles d’aujourd’hui (Rerum Novarum) appellent une encyclique sur le sujet qui pourrait avoir la pertinence politique et le retentissement de Laudato si’ ».

Voilà une excellente suggestion… pour l’Église et pour le monde.


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  1. Thomas Jauffret, Dieu, l’entreprise, Google et moi. La Doctrine sociale de l’Église à l’ère numérique, Salvator, 2018.
  2. Pierre-Yves Gomez, «Transformations actuelles du travail», Colloque La doctrine sociale de l’Église face aux mutations de la société, Académie catholique de France, 2018.

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