Des pertes prévues de 5,6 milliards pour le Québec

Des pertes prévues de 5,6 milliards pour le Québec

Le gouvernement de l’Alberta s’est engagé à tenir un référendum portant sur la remise en cause de la péréquation en octobre 2021. Comme ce programme est constitutionnalisé (Constitution de 1982, art. 36), la menace d’une ronde constitutionnelle semble avoir fait bouger Ottawa (traumatisé par les suites de l’échec de l’Accord du lac Meech qui avait mené au référendum de 1995).

Cette menace de l’Alberta a atteint son objectif. Ottawa consent à revoir le programme de péréquation le mois prochain selon un article du Globe and Mail du 26 février 2021 :

« The next month, the federal finance department commissioned an expert panel, steered by former Alberta deputy finance minister Al O’Brien, to make recommendations on creating a structure for equalization driven by principles, not political deals […] » (1) 

À l’ordre du jour, la révision des paramètres du programme de péréquation, qui implique une baisse significative des transferts au Québec, lesquels représentent 10 % de son budget.

Soulignons que le comité d’experts présidé par l’ex-ministre des finances de l’Alberta, aura à réviser les paramètres pour le calcul des montants de la péréquation. Les deux paramètres retenus pour fin de calcul sont le prix de l’électricité au Québec ajusté à la moyenne nationale et la baisse du montant attribué à l’enveloppe budgétaire du programme.

Les ajustements étudiés de ces deux paramètres signifieraient une baisse de 5,6 milliards de dollars des transferts de péréquation pour le Québec :

« […] and payments to Quebec would decline to $7.5-billion, a drop of $5.6 billion from the amount the province will actually receive in 2021-22 […] » (2)

L’objectif de Jason Kenney est que le montant de la baisse de la péréquation serait transférée au programme de stabilisation fiscale qui profiterait à l’Alberta. Un gain qui justifierait l’annulation du référendum.

Mais peu importe l’issue de cette manœuvre de l’Alberta. Cette baisse de transferts vers le Québec sera inévitable selon la dernière étude de l’Institut Fraser, The Great Convergence (décembre 2020) (3). Cette étude récente démontre que la baisse des capacités fiscales des provinces riches, dues à leurs difficultés économiques, va entraîner une baisse mécanique des paiements de péréquation aux provinces réceptrices. Le phénomène, qui s’est déjà produit entre 2008-2009 et 2011-2012, a entraîné une baisse importante (2,6 points) des paiements de péréquation pour le Québec.

Cette nouvelle donne interpelle tous les acteurs politiques du Québec, plus particulièrement ceux du camp souverainiste qui sont appelés à se porter à la défense des intérêts supérieurs du Québec.

Le camp souverainiste pourrait profiter de ce contexte pour entrer dans le jeu …à la condition de revoir sa position qui s’apparente jusqu’à maintenant à la défense du programme de péréquation. Cette position défensive est celle du Bloc Québécois, résumée par le député Gabriel Ste-Marie qui dénonce que « les particularités du Québec [soient] tout simplement ignorées » par le gouvernement fédéral, et que « face à tout cela, la péréquation constitue un prix de consolation décevant ». (4)

Au moment où l’Alberta et Ottawa s’apprêtent à régler leur contentieux sur le dos du Québec, cette position défensive du camp souverainiste ne ferait que renforcer l’impression de la dépendance du Québec envers « l’argent du fédéral », tout en étant sans effet sur l’issue de l’enjeu.

Il serait temps pour le camp souverainiste de sortir de cette position défensive sur la péréquation pour passer à l’offensive, en s’inspirant de l’histoire de la lutte pour la récupération du pouvoir de taxation direct du Québec. (voir annexe 2)

La péréquation, le ciment de la fédération

Rappelons que dans le contexte de la Grande Crise et de la deuxième Grande guerre, Ottawa s’était accaparé du pouvoir de taxation directe relevant de la juridiction provinciale. C’est afin d’éviter de retourner ces pouvoirs une fois la paix revenue que le fédéral a créé le programme de la péréquation en 1957. Cela a entraîné les premiers ministres Duplessis, Lesage et Johnson (père) dans une lutte historique pour la récupération de nos impôts.

Voici la principale raison pour laquelle le premier ministre canadien de l’époque, Louis St-Laurent, avait justifié la création du programme de la péréquation : Ottawa ne voulait surtout pas que le Québec récupère ses pleines capacités fiscales ; il « craignait que l’impôt provincial n’ébranle l’unité nationale ». (5)

Cette crainte était encore partagée récemment par des universitaires fédéralistes : « D’où l’intérêt du programme fédéral de péréquation, qui constitue un puissant mécanisme de renforcement de l’unité nationale. » (6)

Dans le cas où la menace de l’Alberta envers le fédéral ne donnerait pas les résultats escomptés et que le référendum ait lieu, le camp souverainiste aurait davantage de raisons de cesser de défendre ce programme au cœur de la politique d’unité nationale du Canada qui le maintient dans le camp du statu quo de Justin Trudeau. 

D’où l’importance de définir une stratégie plus conforme aux intérêts de la cause souverainiste. Cette stratégie est un retour à la lutte historique pour la récupération du pouvoir de taxation directe du Québec.

Le gambit que les souverainistes doivent jouer est que le Québec renonce à la péréquation pour la récupération de son pouvoir de taxation directe.

De plus, cette stratégie du camp souverainiste pourrait servir à neutraliser les acteurs politiques de l’Ouest, hostiles aux intérêts du Québec et possiblement… en faire des alliés en leurs proposant de s’inscrire eux aussi dans la lutte contre Ottawa pour la récupération de ces mêmes pouvoirs. (voir l’Annexe 2).

Pour ces raisons, le camp souverainiste aurait intérêt à adopter la nouvelle stratégie proposée par Vigile.Québec.

L’équipe éditoriale de Vigile

Références  

  1. https://www.theglobeandmail.com/business/article-how-alberta’s-shrinking-economy-could-shake-up-the-billions-canada/
  2. https://www.theglobeandmail.com/business/article-it-could-be-politically-perilous-to-tweak-the-equalization-formula-to/ – [site de modélisation] – https://financesofthenation.ca/equalization/
  3. https://www.fraserinstitute.org/sites/default/files/great-convergence-measuring-the-fiscal-capacity-gap.pdf
  4. https://lautjournal.info/20190521/un-quebec-independant-serait-viable-financierement
  5. http://ici.radio-canada.ca/emissions/a_rebours/2016-2017/chronique.asp?idChronique=364468
  6. http://policyoptions.irpp.org/

ANNEXE 1 – Retour sur l’historique du bras de fer existentiel entre le Québec et le fédéral sur le pouvoir de taxation directe

Dans le contexte de la Grande Crise et de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement fédéral de Mackenzie King a mis en place la commission Rowell-Sirois de 1937 à 1940 pour justifier la prise de contrôle des pouvoirs de taxation directe de compétence provinciale. Pour défendre l’autonomie du Québec, Maurice Duplessis a mis en place la commission Tremblay de 1953 à 1956, qui constitue la base des revendications du Québec jusqu’à la Révolution tranquille.

Lors de cette confrontation entre le fédéral et le Québec, Maurice Duplessis a arraché 10 % des impôts au fédéral en 1954. En réponse, Ottawa a mis en place le programme de la péréquation en 1957 pour compenser le manque à gagner fiscal des provinces et ainsi contrer la volonté du Québec de récupérer tout son pouvoir fiscal.

C’est donc la récupération des impôts québécois par Maurice Duplessis en 1954 qui a mené Louis St-Laurent à établir le programme de la péréquation en 1957 afin de préserver l’unité du Canada : « Une victoire pour Duplessis, mais une défaite pour le premier ministre canadien, qui craignait que l’impôt provincial n’ébranle l’unité nationale. » (1)

Ce fut aussi une défaite pour le chef de l’opposition libérale à Québec, Georges-Émile Lapalme, qui s’était fié sur la garantie ferme du fédéral de ne pas céder à la volonté de Maurice Duplessis de récupérer des pouvoirs fiscaux du Québec, afin de justifier son refus d’appuyer le retour des impôts. Ce revers a été rapporté par Georges-Émile Lapalme dans ses mémoires, Le vent de l’oubli (Leméac) :

[p.178] « En janvier 1955, 12 mois après l’exploit de Maurice Duplessis, le fédéral se mettait officiellement à genoux et accordait plus que ce qu’il avait refusé aux nôtres. »

[p.176] « Ce qui nous avait été refusé fut accordé à Duplessis dans des circonstances abracadabrantes. »

[p.176] « Ce recul [d’Ottawa (ndlr)] devait se produire d’une façon dramatique et dommageable pour nous, bénéfique pour l’avenir. »

Bénéfique pour l’avenir en effet ! C’est la récupération de ce 10 % de nos impôts qui a permis la Révolution tranquille, tel que rapporté dans l’ouvrage Duplessis, son milieu, son époque, de Lucia Ferretti :

[p.100] « Pour l’instant, personne ne mesure les répercussions futures de cette grande victoire autonomiste ; ce sera après 1960 que le gouvernement Lesage utilisera ce levier financier pour réaliser les grandes réformes qui feront entrer le Québec dans la modernité. » — Frédéric Boily

[p.306] « En fait, Duplessis, par cette décision unilatérale, avec comme arbitre ultime la population, venait de renverser la stratégie centralisatrice élaborée depuis les années 30. L’impôt provincial était la brèche qui allait permettre au Québec de faire sa révolution tranquille dans les années 60. — René Durocher

[p.283] « Il faut être redevable à Duplessis d’avoir préservé l’autonomie gouvernementale du Québec et assurer le maintien du sentiment qu’ont encore les Québécois de former une nation. » — François-Albert Angers

[p.371] « Duplessis est vraiment celui qui a doté le Québec d’un État national »  — Conrad Black

Citons aussi le chercheur québécois, Gérard Bergeron, auteur de l’État du Québec en devenir (1980) :

« Sous Duplessis, en 1954, la législation provinciale de l’impôt sur le revenu des particuliers en révision radicale des arrangements fiscaux du temps de la guerre [est] […] presqu’un coup d’État constitutionnel. »

Dans le contexte de la Révolution tranquille, le Québec va poursuivre le bras de fer avec Ottawa pour la récupération du pouvoir de taxation directe afin de défendre son autonomie et son statut d’État. Mais les gains ne seront pas suffisants pour poser les assises de l’autonomie fiscale de la province. Depuis, le temps a fait son œuvre et Ottawa a toujours le gros bout du bâton fiscal.

À l’occasion du 150e anniversaire de la fédération canadienne en 2017, l’Institut Fraser a publié une étude sur l’évolution de la fiscalité durant cette période. Le journal The Globe and Mail (2) (3) a publié un résumé de cette étude qui démontre l’importance de la captation fiscale pour la politique de centralisation du pouvoir par Ottawa :

REVENUS – « De 1867 à 1913, la grande majorité des revenus du gouvernement fédéral provenait des droits de douane. Ensuite, lors de la Première Guerre mondiale, l’effort de guerre exigeait de nouveaux revenus, c’est ainsi que le Canada a introduit les impôts sur le revenu personnel et sur les entreprises et les taxes de vente. L’impôt sur le revenu personnel est devenu le poste de revenu le plus important, à lui seul 51 % des revenus d’Ottawa cette année (2017). »

DÉPENSES – « Au cours du premier demi-siècle du Canada, le gouvernement fédéral a concentré ses dépenses dans les salaires, les biens et services, la défense nationale et les infrastructures de communication et de transport. Les deux guerres mondiales ont exigé des dépenses militaires massives. Après les deux guerres, il y a eu une montée en flèche des dépenses pour nourrir la croissance d’un État-providence global, qui comprend les transferts provinciaux pour les soins de santé. »

Cette évolution historique de la centralisation fiscale par Ottawa (4) a eu pour résultat de réduire l’autonomie du Québec et de le placer dans un état de dépendance vis-à-vis le fédéral. C’est exactement ce que voulait prévenir Maurice Duplessis en créant la commission Tremblay. (5) (6)

Dans une étude publiée en 1981 par le gouvernement fédéral, Fédéralisme et décentralisation, où en sommes-nous?, des chercheurs reviennent sur le rapport de la commission Tremblay dans le but d’en réduire sa pertinence dans un contexte de crise constitutionnelle. L’étude conclut que la centralisation fiscale a mené de facto à la remise en cause de l’ordre constitutionnel de 1867 sur le partage des compétences entre les provinces et Ottawa :

[p.50] « Ainsi, le concept d’autonomie dans une fédération moderne ne désigne plus une forme d’indépendance dans des domaines définis par la constitution. Il désigne plutôt une capacité d’agir ou d’influencer le cours des choses. » (7)

La centralisation fiscale a donc entraîné la nullification de facto de la Constitution de 1867 sur le partage des compétences entre le fédéral et les provinces. Un prélude à la centralisation politique de la fédération, de jure en 1982.

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Références (annexe 1)

  1. http://ici.radio-canada.ca/emissions/a_rebours/2016-2017/chronique.asp?idChronique=364468
  2. Tracking the federal government’s finances since Confederation 
  3. A Federal Fiscal History: Canada, 1867-2017
  4. http://www.groupes.finances.gouv.qc.ca/desequilibrefiscal/fr/pdf/historique_fr.pdf
  5. https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageNotice.aspx?idn=52955
  6. https://www.sqrc.gouv.qc.ca/documents/institutions-constitution/position.pdf
  7. http://publications.gc.ca/collections/collection_2016/bcp-pco/CP46-3-8-fra.pdf 

ANNEXE 2 – Des alliés objectifs à l’Ouest.

La volonté d’autonomie à l’Ouest

Dans le contexte où l’Alberta s’inspire de la doctrine politique d’autonomie du Québec pour défendre ses intérêts énergétiques (1), on pourrait rappeler que l’autonomie véritable suppose que l’Alberta cesse de se définir comme une province pour se définir comme un État. En rappelant la proposition présentée par la délégation du Québec (le 24 juillet 1968) que : « L’appellation “ État ” devrait remplacer celle de “ province ” qui est un autre reliquat de l’Empire, qui implique une idée de subordination et qui, surtout en français, a un sens péjoratif. » (2)

Le camp souverainiste pourrait du même coup suggérer à l’Alberta d’adopter la même position que le Québec visant la récupération de son pouvoir de taxation directe. Une proposition pertinente dans le contexte de graves difficultés économiques, qui lui permettrait  de combler le manque à gagner de son secteur énergétique.

Le camp souverainiste, avec une telle prise de position, pourrait ainsi transformer les adversaires hostiles aux intérêts du Québec en alliés objectifs contre Ottawa. Une stratégie pour empêcher que le contentieux Alberta-Fédéral ne se règle sur le dos du Québec.

Voici une courte liste d’acteurs politiques de l’Ouest qui pourraient être réceptifs à une proposition de la lutte des provinces pour la récupération de leur pouvoir de taxation directe :

Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta

Jason Kenney pushes « fair deal » for Alberta at first UCP annual meeting since election

« Despite antipathy in the province towards Quebec, which many conservative voters here see as taking advantage of the equalization program, that province was repeatedly held up as a model for how Alberta could exercise more control over its destiny. » (3)

Jack M, Mintz, Tom Flanagan, Ted Morton

Moment of Truth : How to think about Alberta’s Future

[p 268] « The government also insisted that it would continue to seek a transfer of tax points because that was a campaign commitment, and it would study Quebec’s experience with collecting its own taxes before reaching a final decision. »

[p.276] « […] the only way Alberta can grow and prosper economically is through the continued development of its energy and related industries and if it can’t do it under the Canadian federalist system, Albertans will be obliged to look at an alternative political regime. »

Opinion: Securing Alberta’s future

« The strategies of the past generation have not worked. For Alberta to secure its future, it is time for a new one. » (4)

Maverick Party

  • Maverick Party, le Bloc québécois de l’Ouest canadien (5)
  • Maverick Party stands alone in push for Western independence — for now (6)
  • A new regional political party in Western Canada would be popular with voters, poll finds (7)

The Buffalo Declaration (8)

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Références (Annexe 2)

  1. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1756469/wexit-alberta-mouvement-independance-quebec
  2. https://www.sqrc.gouv.qc.ca/documents/institutions-constitution/position.pdf
  3. https://www.theglobeandmail.com/politics/article-jason-kenney-pushes-fair-deal-for-alberta-at-first-ucp-annual/
  4. https://nationalpost.com/opinion/opinion-securing-albertas-future
  5. https://www.ledevoir.com/politique/canada/589758/le-bloc-de-l-ouest
  6. https://nationalpost.com/opinion/john-ivison-maverick-party-stands-alone-in-push-for-western-independence-for-now
  7. https://nationalpost.com/news/politics/a-new-regional-political-party-in-western-canada-would-be-popular-with-voters-poll-finds
  8. https://buffalodeclaration.

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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec

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