Sublime Turner au MNBAQ !

Sublime Turner au MNBAQ !

Bien qu’il soit maintenant possible de faire des visites en ligne, l’une des grandes peines de la dernière année pour plusieurs aura été la fermeture des musées et des lieux patrimoniaux. Le Musée national des beaux-arts du Québec s’est donc fait un plaisir de rouvrir alors que son exposition Turner et le sublime, rétrospective de la carrière du peintre britannique J. M. W. Turner (1775-1851), vient d’être inaugurée. 

Considéré par beaucoup d’historiens de l’art comme un précurseur de l’impressionnisme et de l’abstraction, Joseph Mallord William Turner s’inscrit pleinement dans la tradition académique britannique. Cependant, ses paysages font appel au sublime d’une façon inédite pour l’époque. Son traitement de la lumière et des formes dans certaines de ses compositions fait de lui un innovateur au plan pictural.

C’est donc une grande chance pour les gens de Québec que d’avoir accès à ses œuvres qui ne sortent pratiquement jamais du Royaume-Uni. 

Une terreur divine

Mais qu’est-ce que le sublime en art ? Il s’agit, pour l’artiste, de faire en sorte que le spectateur se sente placé face à l’incommensurable quand il est en présence de l’œuvre. En résultera comme réaction un sentiment reposant sur la crainte, la fascination et le respect. 

Pas étonnant que la peinture de paysages soit au centre du sublime. Quoi de plus impressionnant que les forces de la nature quand elles se déchainent ? 

Turner

J. M. W. Turner, La Chute d’une avalanche dans les Grisons, exposé en 1810. © Tate, Londres 2017

Le philosophe irlandais Edmund Burke a une expression particulièrement intéressante pour définir le sublime, il parle de « terreur délicieuse » (delightful horror) comme de l’émotion la plus forte que l’humain est en mesure de ressentir.

Ce sentiment se révèle face à des éléments qui nous dépassent. Si vous avez déjà regardé les étoiles par une nuit noire d’été, vous avez déjà expérimenté ce que Burke décrit : se sentir seul et minuscule, à la fois fasciné et craintif devant l’immensité de la création. 

Il est en effet difficile de ne pas ressentir, ne serait-ce qu’un instant, une forme de transcendance devant le spectacle que nous offrent les éléments naturels.

Pour Turner, le sublime a également une dimension historique et religieuse. Le peintre incorpore dans ses paysages des scènes antiques, mythologiques et des récits de l’Ancien Testament, comme celui du Déluge, qui est présenté dans l’exposition. 

Il n’y a d’ailleurs qu’un pas à franchir entre le sentiment de « terreur délicieuse » de Burke et Dieu. C’est ce que décrit Hegel, un autre philosophe du 18e siècle, quand il affirme que l’idée du divin se manifeste dans le sublime de la nature. 

On peut alors dire, en se référant à Hegel, que l’origine de toutes les religions primitives est ce sentiment qui unit à la fois le respect et la crainte de la nature. Il est en effet difficile de ne pas ressentir, ne serait-ce qu’un instant, une forme de transcendance devant le spectacle que nous offrent les éléments naturels. 

La peinture en 3D

Et c’est exactement ce sentiment que provoquent les œuvres de Turner.

Toute sa carrière, en tant que peintre de paysage, se base sur une intention simple : rendre l’esprit du lieu perceptible pour le spectateur. 

En somme, la toile ne représente pas uniquement un endroit, elle doit être en mesure, au moyen de la lumière et de la couleur, d’en susciter l’esprit chez le spectateur. Il ne suffit pas de représenter les montagnes de Suisse ou les canaux de Venise, le spectateur doit ressentir la même émotion que s’il s’y trouvait en personne. 

Dans le contexte du 19e siècle, la peinture sublime est un peu comme le cinéma 3D d’aujourd’hui avec l’effet ambiophonique (surround). Elle est une expérience qui fait appel aux sens pour nous faire vivre une émotion, et quand elle fonctionne, on se sent emporté ailleurs.

Le MNBAQ l’a d’ailleurs bien compris puisque l’exposition propose trois œuvres immersives contemporaines qui nous permettent d’entrer dans les tableaux de Turner au moyen d’effets sonores et visuels. Le tout est d’ailleurs particulièrement bien réussi, tout comme l’ensemble de la scénographie de l’exposition qui met bien en valeur les œuvres présentées.

Rien de mieux pour se sentir dépaysé en temps de confinement. Bonne visite !


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