La solidarité internationale à l’épreuve du « nationalisme vaccinal »

La solidarité internationale à l’épreuve du « nationalisme vaccinal »

Un texte de Pierre Leclerc

« Si nous n’acceptons pas le principe de la solidarité entre les peuples, nous ne pourrons pas sortir meilleurs de cette crise. »

– Pape François

Alors que le cap des 100 millions de cas et 2 millions de morts vient d’être franchi, le monde est entré dans une course folle pour l’accès aux vaccins contre la Covid-19. Les nombrilismes nationaux de certains pays riches et l’abandon d’une grande partie de la population mondiale déjà appauvrie sont mis à nu.

La pandémie de Covid-19 représente une menace sans précédent pour la santé, la sécurité et le bienêtre de toute l’humanité. Dans plusieurs pays pauvres ou en voie de développement, elle frappe de manière disproportionnée les plus vulnérables et expose les défaillances structurelles des systèmes sanitaires, sociaux, politiques et économiques causées notamment par le fardeau du remboursement de la dette nationale aux bailleurs de fonds internationaux.

La Banque mondiale estime que la pandémie a fait basculer 88 à 115 millions de personnes de plus dans l’extrême pauvreté en 2020. Ce chiffre pourrait atteindre 150 millions en 2021. Le Programme alimentaire mondial (PAM) évalue à 265 millions le nombre de personnes qui feront face cette année à des niveaux critiques de famine, ce qui représente le double des estimations avant la Covid-19.

Les pays riches, qui ne représentent que 14 % de la population mondiale, ont réservé 53 % des vaccins les plus prometteurs, pour vacciner près de trois fois leur population en 2021.

Derrière cette pandémie se cache aussi un virus plus sournois, celui de l’indifférence nourrie par le « nationalisme vaccinal », les énormes profits des grandes compagnies pharmaceutiques appuyées par un puissant lobby, et un rigide système international de droits de propriété intellectuelle protectionniste.

Comme l’exprime le pape François dans Un temps pour changer, un récent ouvrage recueillant ses réflexions sur la Covid : « La Covid a révélé l’autre pandémie, le virus de l’indifférence ; il trouve son origine dans le fait de constamment regarder ailleurs, en nous disant que parce qu’il n’y a pas de solution magique ou immédiate, il vaut mieux ne pas ressentir quoi que ce soit ».

Nationalisme vaccinal

Selon OXFAM, les pays riches, qui ne représentent que 14 % de la population mondiale, ont réservé 53 % des vaccins les plus prometteurs, pour vacciner près de trois fois leur population en 2021. Le Canada arrive en tête avec suffisamment de doses pour vacciner chacun de ses citoyens cinq fois. 

Se disant solidaire des efforts de lutte à la Covid-19 et de partage des vaccins au niveau international, le Canada a versé plusieurs centaines de millions de dollars pour soutenir deux mécanismes coordonnés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : l’Accélérateur pour l’accès aux outils de lutte contre la Covid-19 (C-TAP) et l’Initiative COVAX.

À ce jour, aucune des compagnies pharmaceutiques avec qui le gouvernement du Canada a signé des contrats d’approvisionnement en vaccins ne collabore à l’Accélérateur.

L’Initiative COVAX vise la distribution de 2 milliards de doses d’ici la fin de 2021, afin de couvrir 20 % de la population dans 92 pays en développement. 

Alors que cet objectif de 20 % reste loin des 70 % de la population à vacciner pour atteindre une immunité collective, COVAX est à ce stade loin d’être en mesure de l’atteindre. On estime que près de 70 des pays pauvres ne pourront vacciner qu’un habitant sur dix en 2021. Avec la multiplication actuelle des variantes du virus, c’est inquiétant.

L’évaluation de l’initiative démontre que certains pays en développement pourraient donc se retrouver sans vaccin jusqu’en 2024, en raison du nationalisme vaccinal que pratiquent les pays riches, dont le Canada. COVAX fait aussi face à des problèmes importants de financement qui pourraient mettre à mal sa mission.

La voix des peuples…

L’industrie pharmaceutique rapporte gros.

L’année dernière, les 10 plus grandes entreprises pharmaceutiques ont réalisé 89 milliards de bénéfice, soit un peu moins de 30 milliards en moyenne tous les quatre mois.

Selon la firme Morgan Stanley, Pfizer a déjà réalisé un bénéfice estimé à 975 millions grâce à son vaccin et devrait engranger 19 milliards supplémentaires en 2021. Moderna devrait tirer plus de 10 milliards de son vaccin en 2022. 

Or, de plus en plus de voix s’élèvent à travers la planète contre cet « apartheid vaccinal ».

La People’s Vaccine Initiativeun mouvement mondial en croissance, regroupant une multitude d’organisations de santé et humanitaires, anciens et actuels chefs d’État, lauréats de prix Nobel et vedettes internationales (Clooney, Damon, Stone, Whittaker, Bono, etc.), réclame un vaccin défini comme « bien commun » disponible pour tous, dans tous les pays et gratuit.

… et celle de l’Église

À cette voix des peuples, l’Église catholique joint aussi la sienne.

Dans une tribune intitulée « Répondre à la pandémie dans un monde d’inégalités – La voie à suivre pour le vaccin », publiée le 23 janvier dans l’Osservatore Romano, le secrétaire général de Caritas Internationalis, Aloysius John, plaide pour ne laisser personne de côté dans la course à la vaccination. « Les vaccins constituent un droit humain fondamental », plaide-t-il, rappelant que l’accès au vaccin est un problème moral et mondial qui ne peut être résolu par des solutions nationalistes. 

Selon lui, l’exclusion des pays les plus pauvres de l’accès aux vaccins sapera des décennies de progrès économique et constituera un risque pour les économies avancées.

« Si nous faisons une distinction entre le Nord et le Sud sans tenir compte des pays qui accueillent la population mondiale, une telle décision reviendra comme un boomerang sur les nations les plus riches […]. Les dirigeants de ces nations sont désormais confrontés à deux options : ils peuvent regarder uniquement à l’intérieur de leurs propres frontières et donner la priorité aux intérêts financiers des entreprises pharmaceutiques, ou ils peuvent renoncer au nationalisme vaccinal et chercher des solutions innovantes qui profitent aux plus vulnérables du monde ».

En octobre, les gouvernements de l’Inde et de l’Afrique du Sud ont présenté une proposition conjointe dans ce sens au Conseil des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), demandant une dérogation temporaire à la propriété intellectuelle sur les produits liés au coronavirus, y compris les vaccins.

Plus de 100 pays, à l’exception du Canada, et 400 ONG appuient cette démarche. Les négociations se poursuivront en février et mars.


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Ex-président du Comité des programmes d’éducation au Conseil national de l’organisme Développement et Paix, Pierre Leclerc a aussi effectué un stage pour étudier le projet Économie de Communion du mouvement des Focolari, dans quatre pays d’Europe. 

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